Les animaux des Indes croyantes

Le peuple des animaux profite abondamment de la plus grande réserve protectrice du monde qu’est le territoire indien. Il s’y sent bien et vit sur ses rentes religieuses comme le feraient les ouailles d’un monastère. Chaque espèce à ses territoires, ses protecteurs, ses us et coutumes et surtout son rôle social. La ménagerie divine indienne est surpeuplée.

De sacrées vaches maigres ou dodues se prélassent ainsi  au milieu d’hommes et de femmes malheureux, préoccupés par leur suvie, mais nul ne songerait à réclamer leur peau pour y nicher des fleurs comme le chante Brassens. Les textes sacrés hindous racontent en effet que la femelle zébu (la vache selon la définition française n’existe pas) a été créée par Brahmâ, divinité à l’origine du monde, le premier jour du mois de Vaishâkha (avril-mai), en même temps que le brahmane. Elle est donc aussi sacrée que lui et a la même valeur spirituelle. C’est clair et indiscutable ! Elle est considérée comme l’animal de compagnie des dieux Krishna et Shiva. Krishna ayant passé son enfance au milieu des bovidés et des chèvres, quand il fut confié par ses parents indignes à un couple de vachers, il est donc logique désormais que les marmots indiens passent à leur tour leur prime jeunesse parmi les bouses chauffantes. Les chèvres suivent de près, mais elles n’ont pas autant de prestance et de respectabilité que leurs « partenaires » qui, si elles ont une bosse, ne se consacrent pas trop au travail, se contentant de ruminer leurs idées sacrées dans les ruelles fraîches ou sur le macadam chaud et douillet des autoroutes. Les chiens divaguent et vaquent à leurs occupations canines, la truffe sur le sol  odorant, bénéficiant eux-aussi de la mansuétude d’un peuple qui ne songe pas un instant à les chasser des espaces publics. Tout le monde s’accommode de cette surpopulation zoologique et se fait un sacré plaisir à lui offrir des nourritures précautionneuses, car dans une autre vie, ils pourraient bien meugler au lieu de klaxonner, bêler au lieu de babiller et aboyer au lieu de crier ! Le principe de précaution joue à plein !

En fait, les plus populaires sont les animaux déifiés puisqu’ils entrent dans les temples et bénéficient d’un statut particulier de stars des cieux. Avec Hanumân, le dieu-singe, patron des lutteurs, dieu de la sagesse, manieur d’arguments massue, on entre dans le gotha mondain. D’une fidélité complète et permanente à Rama, son Maître spirituel, il passe sa vie entière, ses actions, ses jours et ses nuits à servir son Maître ou à jouer des entourloupes aux touristes ou aux honnêtes travailleurs. À l’origine, Hanumân était le gardien des propriétés (alors qu’il passe son temps terrestre à les piller) et tout fondateur d’un nouveau village se devait d’ériger sa statue bariolée. Malgré leurs nombreux saccages, ses représentants sur terre sont, après la vache et le serpent,  les animaux les plus sacrés. Les « culs rouges » ou les « longues queues » arrivent donc dans la hiérarchie après ces cobras dépourvus de crochets, à la longueur de vie limitée, qui se dressent hors de paniers de chanvre comme les vigies des Dieux, veillant sur les méfaits des Hommes. De la flûte ils n’en ont rien à cirer, mais en revanche ils connaissent la musique, utile à soutirer mécaniquement quelques roupies aux touristes désireux de faire un effet Canon !

Dans les divinités animales, il reste le plus populaire, le plus joyeux, mais que l’on ne voit pas au Rajhastan car il préfère les plaines humides ou les forêts profondes. Rondouillard, souriant, avenant, doté de quatre bras et d’une seule défense sur un corps ventripotent, il répond au doux nom de « Ganesh ». En fait, cet « éléphant man » est le dieu de la sagesse, de l’intelligence, de l’éducation et de la prudence, le patron des écoles et des travailleurs du savoir. C’est le dieu qui lève les obstacles des illusions et de l’ignorance… un sacré labeur par les temps qui courent ! Il est partout. Il lève sa trompe au grand air ou paré de tenues des mille et une nuits; il fréquente les temples tout entiers à sa gloire; il orne les maisons huppées. L’éléphant est en représentation permanente sur les murs, dans les palais, dans les livres, sur les perrons, sur des chars dédiés à son culte, sur le bord des routes, mais naturellement, on ne le retrouve qu’au Fort Amber de Jaïpur où il est condamné au mythe de Sisyphe, consistant à hisser vers le sommet somptueux d’une barre rocheuse des touristes en mal d’émotions fortes. Un cornac moustique entre les deux oreilles il hisse dans un balancement accentué, à la force de ses jarrets surpuissants, les couples juchés sur son dos…. Le Dieu est aussi balourd qu’un albatros échoué sur le pont d’un navire. Ganesh consacre sa force tranquille à transporter vers le ciel pur ces gens dont il a plein le dos ! Il parait que parfois ses colères sont redoutables et que son entretien demande des ressources conséquentes. Ganesh aime la bonne chère alors que ses fidèles crèvent la dalle ! C’est un beau contraste !

Pendant ce temps, les ânes trottinent cahin-caha, les dromadaires se hâtent lentement, des écureuils de poche jouent à je t’aime moi non plus avec les objectifs des photographes, les perruches caquètent dans les feuillages, les cochons d’Inde, évidemment, remuent la vase des rues, les buffles s’immergent dans les eaux apaisantes des lacs ou des fleuves, et les merles siffleurs attendent un temps des cerises qui n’arrivera jamais. En tout cas, tous savent que si l’Homme reste en Inde un loup pour l’Homme, eux peuvent continuer à rêver en paix !

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Cette publication a un commentaire

  1. suzanne marvin

    trés agréable description du statut des animaux en inde….bien observé…léger et joyeux…..amusant….si l’on peut oublier un instant que pour les humains de ce pays c’est tout le contraire , surtout vu de chez nous………..
    mais eux ont la convictiond’une autre vie meilleure……

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