C'est une autre armée qu'il faut à Marseille !

Ce n’est pas parce que vous iriez prier la Bonne Mère que vous retrouveriez l’ambiance marseillaise de Pagnol. Les réparties exceptionnelles de César, la naïveté de Panisse, le romantisme de Fanny, les expressions ostentatoires de sa mère, l’attirance pour l’aventure de Marius, les rodomontades d’Escartefigue ou le langage châtié de Monsieur Brun appartiennent depuis bel lurette au patrimoine historique d’une ville carrefour de la mondialisation. En fait Marseille synthétise les difficultés sociales, économiques et morales d’une vaste cité ouverte sur le reste du monde, ballottée par les tempêtes historiques de la décolonisation. Marseille ne parvient pas à surmonter les crises d’épilepsie du bassin méditerranéen et devient au fil des ans allergique à tous les traitements prometteurs qu’on lui destine mais dont les doses varient selon les périodes. Il n’y a aucun traitement de fond mais des cautères successifs sur la jambe de bois d’une part de délinquance. Rien de différent de ce qui se passe ailleurs en matière de lutte contre des phénomènes éruptifs amplifiés médiatiquement au gré des manques de l’actualité. En définitive il sera impossible face à ce constat de gommer l’image négative d’une cité ayant de tous temps et sous tous les régimes marqués, comme tous les grands ports ouverts sur le monde, par une insécurité supérieure à celle des autres villes.

Marseille « n’est pas à feu et à sang, c’est plutôt une ville paisible ». Alain Gardère, préfet réputé sarkozyste délégué pour la défense et la sécurité dans la préfecture des Bouches-du-Rhône, a tenu à rassurer son monde la classe politique est sur le pied de guerre pour trouver une solution à la vague de règlements de comptes ayant provoqué selon les statistiques médiatiques 19 morts depuis le début de l’année. En 2011, une vingtaine d’affaires, liés pour la plupart au trafic de drogue, avaient été recensés dans le département, faisant 16 morts dont 15 à Marseille. Ces chiffres froidement analysés ne sont pas proportionnellement supérieurs à ceux de la… Corse ou de bien d’autres métropoles moins « visibles ». En fait c’est la résultante de la situation particulière de ce port « carrefour » en déclin qui a remplacé des trafics licites par des échanges qui le sont moins. La mer n’est plus le support d’arrivée des « marchandises » interdites car elle permet des contrôles plus stricts et plus faciles que les apports routiers. Les drogues entrent dans la péninsule ibérique et remontent par camion pour être distribuées dans la ville. Le pastis ne coule plus à flots et le « Picon-citron-curaçao » a été remplacé par des mélanges plus destructeurs et moins folkloriques.

Il y a quelques années, dans un article du journal Le Monde (que je n’ai pas conservé), on parlait d’une étude sociologique faite sur certains quartiers de Marseille et destinée à expliciter la montée du vote Front national. Le parallèle était fait entre la disparition considérable des associations traditionnelles sur le terrain et les phénomènes constatés. Notamment il existait un lien direct entre la disparition des « amicales laïques » autour des établissements publics d’enseignement et les situations conflictuelles. Les cartes étaient frappantes puisque lentement se sont installés des relais communautaristes n’ayant fait que renforcer les clivages, les rivalités, les enfermements sociaux et les haines. Au cours des 30 dernières années tout ces creuset du vivre ensemble ont été détruits sur l’ensemble de la ville de Marseille mais aussi sur tout le territoire français par le désengagement des enseignants vis à vis de l’éducation citoyenne populaire. Le phénomène n’est pas typiquement marseillais mais il a eu des conséquences graves croissantes dans des zones urbanisées dans lesquelles le vivre ensemble a été progressivement remplacé par la loi de la jungle calquée sur celle du monde économique du profit à n’importe quel prix.

Une part de la poudrière marseillaise repose sur deux phénomènes qui font tâche d’huile dans le pays : l’absence totale de contrôle (faute de moyens et de règles plus strictes) des ressources issues de l’économie parallèle et le principe voulant que, pour ne pas avoir de crise sociale majeure liée au chômage, on ferme les yeux sur des trafics qui permettent à des familles de survivre. La suppression massive de fonctionnaires pouvant intervenir sur ces situations qui dépendent des Groupes d’intervention régionaux (GIR), créés par une circulaire interministérielle du 22 mai 2002 ne permet plus de faire face à la montée de ces trafics. Ces entités entités pluridisciplinaires chargées d’agir contre la délinquance sous tous ses aspects en utilisant l’ensemble des moyens législatifs et réglementaires, au plan pénal certes mais également fiscal, douanier et même administratif… sont pourtant beaucoup plus efficaces que les chars d’assaut ou les parachutistes. Quels moyens donnent-on à Marseille à ce GIR pour vraiment prendre le problème de base : attaquer la délinquance qui rapporte illicitement comme l’a fait au grand moment de la mafia, l’administration américaine ou italienne à l’égard de la mafia ? Toutes ces organisation ne reposent que sur le profit illicite et donc sur l’incapacité de la République a d’abord faire respecter ses propres principes de vie collective… La fraude est immense et avérée mais faute de moyens elle galope en toute impunité. Il faut réactiver les contrôles fiscaux. Il faut oser demander des justificatifs de train de vie. Il faut instituer en France une obligation de déclaration de domicile en Mairie avec une attestation différente de la quittance du gaz, de l’eau ou du téléphone car c’est devenu une vaste fumisterie. Il faut lutter contre ces filières clandestines mais en sachant que ce sont des centaines de familles à la base qu’il faudra socialement prendre en charge ! En fait c’est une armée discrète de « contrôleurs » courageux qu’il faut envoyer à Marseille et créer ces postes décimés par une politique ultra libérale ayant considéré que tout contrôle était une atteinte à la liberté !

Quant à Marseille il ne faut pas en faire des tonnes à la manière « Borsalino ». Voici un extrait de « la gloire de mon père » de Pagnol parlant des quartiers de Marseille il y a presque un siècle et surtout de l’Armée des hussards noirs d’une République ayant d’autres ambitions que la nôtre : « J’en ai connu de ces maîtres d’autrefois. Ils avaient une foi totale dans la beauté de leur mission, une confiance radieuse dans l’avenir de la race humaine… Ils méprisaient l’argent, le luxe (…) Un vieil ami de mon père sorti premier de l’école normale avait dû à cet exploit de débuter dans un quartier de Marseille : quartier pouilleux, peuplé de misérables où nul n’osait se hasarder la nuit. Il y resta de ses débuts à sa retraite, quarante ans dans la même classe, quarante ans sur la même chaise. Et comme mon père un soir lui disait

  • tu n’as donc jamais eu d’ambition ?
  • -Oh , mais si, dit-il. Et je crois que j’ai bien réussi. Pense qu’en vingt ans mon prédécesseur a vu guillotiner six de ses élèves. Moi en quarante ans je n’en ai eu que deux et un gracié de justesse. Ça valait la peine de rester là ! »
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Cet article a 6 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Ô Jean-Marie, tu me fends le coeur!
    Toujours aussi convaicant ton billet, d’autant plus que j’ai vécu près de 30 ans dans les quartiers Nord de Marseille avant de prendre retraite à 50 km de là, porte du Luberon, à Pertuis …
    Très amicalement,
    Gilbert SOULET
    Ps) attention : … » surmonter les cri s es » …

  2. facon jean françois

    Bonjour,
    l’analyse est bonne et les solutions aussi, hélas! Il y a loin de la coupe au lèvres. Je doute de la volonté du gouvernement de tuer l’économie parallèle. A preuve les reculades successives sur tous les sujets à commencer par la taxe à 75% qui se vide peu à peu de sa substance. Comment éradiquer le trafic de stupéfiants véritable assistance respiratoire des cités? Un guetteur de 10 ans qui palpe 80€ net par jour peut-il aller à l’école pour apprendre un métier? Comment sortir de la spirale  » Le dealer vend de la poudre pour acheter des Nike et le marchand de Nike vend des godasses pour acheter de la poudre » ??? Comment prendre des mesures contre nos amis du Maroc premier fournisseur de résine pour l’Europe?
    Les « hussards de la République » et les bénévoles laïques ont déserté le terrain, décimés par l’âge et l’usure des critiques permanentes de ceux qui ne font rien. La relève potentielle s’est repliée sur les îlots protégés des lotissements surveillés par les « voisins vigilants » et la vidéo. Le terrain « sensible » est maintenant occupé et il sera très difficile de le reconquérir, avec des principes laïcs et humanistes, face aux religieux radicaux et au F. haine.
    Bonne journée

  3. JEAN COURTIOUX

    Mon cher Camarade,
    Je vais avoir 81 ans, j’ai connu Marseille l’été lorsque j’étais jeune musicien puisque j’étais pianiste dans l’orchestre qui animait les matinées et soirées dansantes de l’Hôtel de la Méditerranée, sur le vieux Port et dont le propriétaire était Mémée Guérini. La clientèle se bornait à n’être que des marlous, des trafiquants de drogue ou d’armes, de pulpeuses putains que leus souteneurs surveillaient du coin de l’oeil, des règlements de comptes soit dans le bar, soit au rez-de-chaussée ou dans la rue, ce qui nous faisait frémir de peur, nous musiciens, moi n’ayant qu’une idée, me cacher derrière le piano à queue pour éviter les coups. Alors, pourquoi se poser des questions qui reflètent un manque total de culture et une méconnaissance coupable de la socioloie des grands ports, tous astreints à ce même genre de vie parallèle ? (Si tant est que Marseille, qui m’a vu partir et revenir en bateau pour l’Ile Maurice en 49, soit encore un de ces grands ports mythiques). Ne cerait-ce pas là que se situe le vrai problème, un port qui a perdu sa vraie vocation et ne saurait la retrouver qu’avec une vraie politique de relations maritimes internationales de commerce, tourisme, sous-tendue par un Etat fort et plein d’ambition pour notre facade maritime que l’Europe entière nous envie ?

  4. Nadine Bompart

    Pfff, tout le monde s’en fout des « règlements de compte » à Marseille.
    Comme aux États-Unis, ils laissent les gangs se déchirer entre eux, tant que ça ne déborde pas trop sur les « braves gens »…
    Ce ne sont pas des « pauvres respectables » ça Monsieur, que de la vermine, et même pas Française en plus, alors qu’ils se flinguent entre eux, ça fera toujours ça de moins à nourrir en prison!

  5. cubitus

    Marseille a toujours été le Chicago hexagonal. Le phénomène s’est accéléré ces dernières années.Toutes les catégories sont touchées. On pourrait appeler ça des Guérini aux Guérini. Traffics et magouilles, les deux parfois plus ou moins imbriqués. Côté traffic, il y a un manque de moyens évident, les forces de police ont fondu comme neige au soleil. Côté magouille, trop de tiédeur à agir et pression sur les juges. Quand à faire intervenir l’Armée, j’ai rarement entendu une proposition aussi débile. Voudrait on traiter une ville française comme Kaboul ou Bassorah ? Tant qu’à faire, pourquoi aussi ne pas engager les mercenaires de Blackwater ? Venant d’une sénatrice, ça laisse songeur sur son appréhension de la réalité. Il faudra quand même un jour que nos élites parlementaires de quelque bord qu’elles soient, sortent enfin de leurs tours d’ivoire et des ors de la République auxquels elles sont tant attachés pour comprendre un peu ce qui se passe sur le terrain et affronter concrètement les graves problèmes auxquels les français sont confrontés. Et cela autrement qu’en période électorale où leur souci premier n’est pas de comprendre ce qu’il se passe, ça ils s’en moquent éperdument, mais de convaincre le gogo qu’ils sont meilleurs que le voisin, lui bourrer le mou avec en ligne de mire non avoué un statut de privilégié et des indemnités de fonction bien intéressantes.
    Peut-être ce jour là trouveront ils les bonnes solutions et ça leur évitera de dire des âneries..

  6. J.J.

    L’armée est déja intervenue à Marseille, c’était la Wermacth, en janvier 1943…..
    Résultats ?

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