Thomas Voeckler se cache dans un coin du camion podium du Conseil général de la Gironde. Il se penche et écrit avec application sur un bout de papier, après quelques instants de réflexion. Il plie soigneusement le message et le glisse discrètement dans la main de son voisin. Un regard furtif de ce dernier et le pli va un peu plus loin au sein du groupe des coureurs cyclistes professionnels qui se préparent à entrer sur le circuit de Castillon la Bataille pour y disputer le Critérium du jour. Par-dessus une épaule, je découvre le contenu de cet envoi délivré par l’homme aux pois rouges ; « 1 .- Froome ; 2.- Voeckler 3.- Vino, 4.- Gilbert… Le maître des cols a donné l’ordre d’arrivée qu’il a décidé et que tout le peloton devra respecter. Tout ce qui se déroulera sur les 30 tours du circuit relève du spectacle et de la mise en scène réussie pour ces milliers de gens, essentiellement venus pour approcher, beaucoup plus longtemps que sur le ruban de ce Tour qui s’éclipse en quelques secondes, les vedettes de la télé. Peu importe pour eux, ils ont la foi et ils n’ont d’yeux que pour leurs favoris. Incontestablement « Saint Thomas », qui ne se croit vainqueur que quand il voit la ligne, et « Alexandre le Conquérant » venu de l’Asie centrale, possèdent la plus belle notoriété ! Tous deux sont arrivés de manière différente sur les lieux de ce que le public va assimiler à un exploit. Le Français, avec femme et enfants dans un vaste et rutilant camping-car, le Kazakh, avec un coéquipier dans une Audi grise… L’un a prévenu qu’il ne serait disponible pour les invités et les partenaires qu’apès avoir déjeuné avec les siens et l’autre descend seul de son véhicule, de bleu clair vêtu, une caquette de « bad boy » rivée à l’envers sur la tête. « Vino » respire le bonheur. Il est rayonnant comme un champion olympique qui retrouve un lieu familier. Personne ou presque auprès de lui. Il avance sous les platanes majestueux du parc du château en dentelle de pierre de Pitray. Moment privilégié pour celui qui, comme moi, a toujours en sommeil dans son esprit le virus du journalisme. La foule a le dos tourné et les flutes de champagne en mains. Je ne résiste pas et je vais à sa rencontre.
« Félicitations !
- Merci
- Vous avez été un maître tacticien dans cette course
- (sourire éclatant). L’expérience ! Il fait un signe en se passant la main sous la gorge en se haussant du col. Les Anglais en avaient trop dit et trop fait. A 5, on ne peut pas détruire tout le monde dans un peloton. Il fallait être au bon moment et au bon endroit. J’y étais…
- Vous avez été très malin avant l’arrivée, en partant sur la droite dans le virage ?
- (sourire radieux). L’expérience !
- Alors les jeux, c’est comment ?
- C’est grand, très grand. On a failli se perdre et ne pas trouver la ligne de départ » (rires). Vino est heureux comme un gosse qui a fait la nique à tous ses copains et plus encore à tous ceux qui le poursuivaient de leur acrimonie. « Le village, ce n’était pas mal et pour le Kazakhstan, tout va bien puisque nous avons déjà 3 médailles ! » Nous sommes désormais 4 ou 5 autour de lui et les téléphones portables commencent à sortir.
- Ce sera la grande fête au pays…
- Je n’y serai qu’après la Classica de San Sébastien. Le président a prévu une tournée dans les villages avec ma médaille. Ce sera grandiose… Je le sens !
- Vous avez la médaille ?
- Oui ! » Air mystérieux et signe de la tête à son chauffeur, qui brandit un sac en toile blanche. Il en sort le symbole olympique que tant de sportifs voudraient avoir dans leur vitrine aux souvenirs. Un instant magique. Il se la passe autour du cou, toujours aussi heureux et amusé. Il me la tend avec une fabuleuse simplicité et me voici avec dans la main une médaille d’or olympique. Même si c’est dérisoire et enfantin, je suis ému… Rien d’une breloque, mais une énorme galette de pur soleil. D’autres mains se tendent. Le groupe a grossi… et les commentaires vont bon train.
- Elle est vraiment en or ?
- Je ne sais pas. A moitié ?
- Que faites vous la saison prochaine ?
- Pour garder les sponsors de l’équipe, je signe encore pour une saison. Ils repartiront comme ça pour 4 ans ! »« Vino » n’a pas envie d’être sérieux. Il va promener sa gueule d’ange et son bonheur sous les platanes, avec la même disponibilité qu’il mettra à venir de table en table dès la fin de son repas. Photos avec les enfants, les jolies ou les moins jolies filles. Le critérium ne le préoccupe guère. Il savoure sa revanche, lui, l’ange victorieux passé au statut de démon honteux pour redevenir voleur de gloire promise à d’autres.. Lui qui fut vilipendé, banni, contraint à prendre du recul et à venir s’installer quand plus rien n’allait chez son ami, goûte à ce retour auprès de Georges Barrière « l’avocat », le « confident », le « bon pasteur ». L’accolade est simple, vraie, authentique au milieu de la foule qui a grandi. Tout le monde veut sa photo… Je m’éloigne. C’est trop tard ! Oui, je sais, c’est ridicule, mais je savoure le privilège que j’ai eu de caresser l’une de cette parcelle dorée de gloire tant enviée cet été.
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