La pluie, le soleil, le vent, les mots : merci !

Merci... merci... merci...

L’esplanade du jardin des Invalides ressemble étrangement à ces espaces de vacances désertés quand la bise est venue. Les giboulées de mai ont fait des ravages parmi les troupeaux de touristes qui n’ont jamais été aussi fraichement « débarqués ». Ils cherchent refuge sous les arcades de la rue de Rivoli ou sous la pyramide du Louvre. Il fait un temps à ne pas mettre un retraité dehors et surtout à ne pas faire sortir un Président de la République, fut-il encore plein de bonnes intentions. Par couples, au milieu des bourrasques, des gardes immobiles tentent d’échapper à un climat loin d’être au beau fixe. L’entrée en fonction de François Hollande s’effectuera dans une ambiance alternant brefs espoirs chaleureux et grisaille pluvieuse, le tout pimenté d’un vent à vous emporter toutes les promesses !

Pour accéder à la monumentale statue de Jules Ferry, prestement lavée de tous soupçons de noirceurs historiques, le passant, accroché à son parapluie, doit effectuer un vaste détour. Plus question de laisser le Président batifoler dans la foule et ignorer le carcan du protocole. Le peuple qui lui a donné sa confiance vivra l’hommage au législateur laïque sur une ligne d’horizon calfeutrée et éloignée. On ne peut pénétrer dans l’enceinte que par un pieux mensonge ou une connivence avec un entremetteur bienveillant. Inutile d’en dire plus. Je suis le quatrième « pèlerin de l’école publique », arrivant deux heures avant le début d’une cérémonie prévue entre ombre et lumière. Rien n’est encore prêt, sauf les caméras institutionnelles privilégiées qui campent, telles des échassiers emmitouflés dans des préservatifs encombrants, sur une estrade en fond de la zone réservée. Bien évidemment, la « salle de plein air » a été couverte d’une structure transparente, sans parois, et au-dessus du pupitre, les services officiels ont monté une couverture identique destinée à éviter que le ciel qui tombe sur la tête des Gaulois présents, ne noie totalement leur Président.

Dans la file d’attente, peu d’officiels en cette heure précoce. Une famille de Toulousains a pris position devant moi. La jeune fille, particulièrement motivée, ne laisserait sa place sous aucun prétexte. Papa est beaucoup moins motivé et maman ne veut pas laisser sa progéniture socialiste seule dans cette froidure automnale et humide. Un Toulonnais arrive avec un accent qui réchauffe l’esprit. Et un Parisien nous apporte les nouvelles de l’Elysée, avec un film de Guaino, rencontré dans la rue avec ses gardes du corps. Une rencontre émaillée de piques sévères, car le réalisateur n’a pas pu s’empêcher de tacler celui qui avait quitté le palais présidentiel par la petite porte pour regagner son domicile proche. Le nouvel arrivant n’a pas digéré le comportement haineux et vindicatif des fans de Nicolas Sarkozy, massés devant l’Elysée pour conspuer Hollande et ovationner leur idole déchue, car victime de l’injustice du suffrage universel.

Lentement, le groupe grossit, et nous attendons que les barrages cèdent pour passer des populaires aux « présidentielles ». Tout le monde cherche à enfreindre les règles de la relégation. L’arrivée massive de collégiens et de lycéens, débarquant pour occuper les meilleures places dans une joyeuse cohue, nous ôte tout espoir de conquête. Les temps changent : la jeunesse est devenue prioritaire ! Il faudra se contenter des strapontins de l’histoire, ceux qui permettent seulement de dire plus tard : « j’y étais! mais… je n’ai pas tout vu ! »

Les parapluies fleurissent sur les premiers rangs. Les tests des micros s’enchaînent. Toulouse et Toulon ont entamé une confrontation rugbystique, pendant que les « gens qui comptent » filent vers les places réservées. A leur mine renfrognée ou réjouie on met aisément un terme au secret du suffrage universel. Certains viennent y gagner une rédemption et d’autres espèrent éviter un acte de contrition. Tous savent ce qu’ils ont réellement accompli durant les 10 ans qui viennent de s’achever… mais tous viennent honorer l’évangile laïque de Saint Jules selon Hollande ! Il va falloir tenir bon. Je me tasse dans mon recoin comme un sans papier ayant peur d’une expulsion décrétée par Guéant. Je n’insiste pas trop pour franchir la rubalise restrictive.

Avec près d’une demi-heure de retard, pour être encore plus « mitterrandien », le Président entre par le côté… droit de la scène sous une ovation juvénile. Derrière lui, tout de blanc vêtue et rayonnante, sa compagne. Les « civils » des voyages officiels s’agitent dans tous les sens avec des regards perçants de sioux sur le sentier de la guerre. François Hollande est là, à quelques dizaines de mètres, cerné par micros et caméras, ravis de constater que le soleil est revenu sur la morne plaine des Tuileries, essuyant encore de grosses larmes, dont on ne sait si elles sont de crocodiles sarkozystes malveillants, ou de joie bienfaisante d’une école enfin libérée. Le vent emporte au loin les mots qui sonnent aux oreilles comme autant de formules oubliées. Le vrai bonheur fut celui de se réapproprier des valeurs et des principes que l’on croyait rangés définitivement au rayon des pieux souvenirs : l’école: « lieu d’émancipation », mais aussi « lieu de l’égalité, celle des chances, qui ne connaît comme critères de distinction que le mérite, le travail, l’effort ». « L’école (…) arme de la justice, et la justice c’est la mixité sociale » ; « une nouvelle hiérarchie des valeurs, au sommet de laquelle la science, l’intelligence, la volonté d’apprendre et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées », plus « que l’argent » ; « message de confiance à l’Education nationale ». « Aux professeurs des écoles, aux enseignants du secondaire, aux universitaires, aux chercheurs, mais aussi à tous les agents du plus modeste au plus prestigieux. Je veux vous dire, vous êtes au service de la France »… J’ai fait le plein. Inutile d’espérer qu’il viendra jusqu’à nous. Par habitude je gagne la sortie car c’est là qu’il saluera le monde. Mon intuition est bonne. Il arrive. Il ne résiste pas aux appels de la foule. Je croise son regard. Il est loin, très loin, imprégné de joie intérieure mais aussi déjà préoccupé. Il avance vers le groupe. Je suis obnubilé par « ma » photo. Je happe de la main gauche (téléphone oblige !) sa main au passage » et je lance « Merci ! ». Un écho bizarre revient dans les hurlements : « Merci ! » Il n’en finit pas de remercier ces gens qui lui ont permis d’entrer dans une bourrasque de soucis similaire à celle qui s’abat brutalement sur Paris. « Merci…merci… merci… » La statue de Jules Ferry semble s’incliner !

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