Les réformes tous azimuts permettent de masquer le caractère vicié des politiques. Il suffit de lancer des chantiers dans tous les secteurs pour diluer la grogne pouvant par contre se concentrer sur un seul sujet. Les leçons de la réforme des retraites, du CPE, de la réforme du bac ont été retenues. Il en va ainsi pour le rapport publié sous la signature d’Edouard Balladur qui évoque un sujet dont il est un éminent spécialiste puisqu’il n’a jamais assumé un mandat local ! Durant toute la semaine les médias se sont extasiés sur un « big-bang » déstabilisateur pour des élus ayant comme seul objectif, celui de préserver leurs fonctions réputés « juteuses » surtout quand on publie des informations sommaires absolument déconnectées de la réalité.
Les propositions de Monsieur Balladur, vues de loin et surtout sans aucune analyse politique (au sens large du mot) paraissent en effet totalement inédites et révolutionnaires alors qu’elles ne sont que le fruit d’une volonté déjà affirmée il y a trois ans par un certain Nicolas Sarkozy, Ministre de l’intérieur. L’avantage de posséder un quart de siècle de pratiques sociales permet de décoder ces propositions. Je siège depuis 13 ans dans la commission de coopération intercommunale de la Gironde et je peux donc affirmer que le coup est préparé depuis déjà longtemps !
En effet depuis 2005, les gouvernements successifs ont simplement mis en œuvre la machine à revenir sur la décentralisation en reprenant le contrôle sur des collectivités locales qui échappaient à ses fonctionnaires d’autorité. C’était et ça reste le premier objectif de la réforme!
Le second vise à américaniser la structuration du pays et donc à rendre les fonctions électives réservées à des « professionnels » plus aisément influençables car tributaires des partis. Toutes les propositions tournent simplement autour de ces principes marquant une rupture avec tous les principes républicains. Encore une fois le parisianisme va conduire les « grands » du monde politique à s’étriper sur la forme sans jamais oser aborder le fond. Or ce sont les grands principes de la démocratie, réputée permettre à tout citoyen de devenir acteur de la gestion de sa vie, qui sont en cause !
Par exemple le bon peuple va s’extasier sur la diminution du nombre d’élus ayant en charge son quotidien. Lui a-t-on dit que les conseillers municipaux ou les conseillers communautaires dans le monde rural ou périurbain exercent strictement bénévolement leurs fonctions ? Quelle est donc l’efficacité d’une mesure (en une période où l’on vante les vertus de la démocratie participative) qui écartera des personnes motivées, de la gestion de leur territoire ? Diminuer le nombre d’élus favorisera la professionnalisation pas la démocratie!
Qui a souligné que si l’élection à la proportionnelle paraît juste elle creuse, dans les faits, une écart irrémédiable entre les candidats issus du système des partis contrôlé depuis Paris et celles et ceux qui concrètement se défoncent sur le terrain sans jamais se retrouver en position éligible ? En fait l’élection proportionnelle n’a jamais favorisé la compétence, le dévouement, la générosité, la liberté d’action mais elle verrouille durablement l’accès aux fonctions électives et elle favorise l’indifférence vis-à-vis du terrain. L’élection se joue dans les partis mais plus dans les urnes… Qui ose l’expliquer ? Qui veut se révolter contre cette professionnalisation annoncée des mandats électifs ? Qui dénoncera ce qui sera une atteinte à l’égalité d’accès aux fonctions électives?
La diminution du nombre des régions vise ensuite, à terme, à mettre un terme à la République « une et indivisible » ou « l’égalité d’accès aux services publics » pour aller vers un état fédéral à l’américaine. Le rapport Balladur en accroissant la taille des structures régionales avec des compétences renforcées, les transforme en « Etats » remis entre les mains d’un gouverneur élu par des conseillers territoriaux professionnels. Depuis des mois les penseurs de la Droite travaillent sur cette nouvelle donne pouvant conduire à la création des « Etats-Unis de France » permettant ensuite la création d’un régime présidentiel intégral.
La fusion exigée des communautés de communes en 2006 par le Ministère de l’Intérieur trouve sa véritable justification : il fallait préparer au meilleur moment (avant les élections municipales et cantonales) la mise en place des « territoires » déjà dans les cartons ! Quand l’Etat voulait amalgamer les communautés du Pays Cœur entre Deux Mers pour faire une entité de 62 000 habitants ignorait-il que les « conseillers territoriaux » étaient en préparation ? Quand il veut refaire la Communauté du Haut Entre Deux Mers, qu’il a tuée dans un passé récent, prépare-t-il l’émergence d’un candidat Ump potentiel ou est-ce seulement pour des raisons d’efficacité au service des habitants ?
Le Préfet n’aurait ainsi, avec des grandes « régions-états » qu’un seul interlocuteur politique aisément contrôlable et pas une conjonction d’élus locaux impossibles à maîtriser. La réduction de 22 à 15 « régions » n’a pas d’autre but ! Il n’y aura plus dans le pays qu’une douzaine de personnes clés élus au second degré. Ils estomperont facilement les mandats nationaux de députés et surtout de sénateurs qui constituent des obstacles sur le chemin de la prise de contrôle intégral de l’Etat ! On va vers une gouvernance à l’Américaine !
Les ouvriers (déjà rares), les employés, les artisans, les agriculteurs, les retraités, les petits fonctionnaires, les sans emploi n’ayant pas fait l’IEP ou l’ENA, n’ayant pas été dans un cabinet ministériel ou n’ayant pas été conseillers d’un homme influent sont en 2014 condamnés à occuper les strapontins de la vie publique. En fait avec cette réforme qui concentre les pouvoirs locaux, qui les met sous tutelle, qui les contraint à assumer les charges qu’un Etat « fédéral » ne pourra plus jamais assumer, qui les place au cœur des désignations purement politiques, le gouvernement actuel cherche à estomper les effets négatifs du suffrage universel local.
Par exemple le canton de Créon disparaîtra : c’est désormais une certitude. C’est certainement une bonne chose pour la démocratie vue de Paris mais il faudra m’expliquer que pèseront Salleboeuf, Saint Léon, Cursan, Blésignac, Créon, Carignan, Fargues ou Croignon…ou toute autre commune vis-à-vis de Bordeaux, Mérignac, Talence, Lormont dans la nébuleuse d’une métropole régionale à la taille de celles des Etats-Unis de France ? Ce ne seront que des hameaux sans importance dont les habitants attendront indéfiniment les services que les autres auront eu sans problème. Est-ce que la démocratie y gagnera ? Qui pourra émerger de ces communes pour assumer une responsabilité de gestion au niveau de la métropole ? Les maires deviendront des auxiliaires administratifs de l’Etat dénués de tout pouvoir créatif, ligotés par leur dépendance financière vis-à-vis de l’Etat, privés de toute liberté d’action car privés de moyens humains et matériels, condamnés à être des « sous-élus » pourtant confrontés aux dures réalités quotidiennes.
Edouard Balladur comme tous les membres de sa commission si révolutionnaire n’ont pas du voir un habitant depuis longtemps… dans leur permanence électorale. Dans le fond c’est probablement ce qui leur a permis d’être aussi sévères et aussi révolutionnaires car ils savent que les élus locaux, les vrais, celles et ceux qui se défoncent au quotidien pour être dignes du mandat qu’on leur a confié n’ont jamais eu que le droit de la fermer !
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Comme souvent les mots sont justes et l’analyse lucide. Je croise au quotidien les maires de Gironde dans mon métier et ils sont lucides eux aussi et ont les craintes que tu évoques dans ce billet.
Mais as-tu pensé qu’en étant le dernier Conseiller général du canton de Créon nous allions pouvoir ouvrir une réserve ou un parc naturel ? 😉 L’élu local est en voie de disparition … et avec lui le sens politique du quotidien … et il ne faudra pas venir pleurer !
Oui, ton expérience, et ta connaissance de la vie politique locale, font que tu appréhendes les intentions souterraines du pouvoir en place avec une finesse d’analyse et une lucidité désespérement effrayantes! Eh oui, Edouard Balladur, chargé de réformer une « organisation » territoriale, en place depuis des dizaines d’années à la satisfaction de tous, n’a jamais connu, de l’intérieur, la vie d’une collectivité locale. Il n’a jamais eu à s’occuper, au jour le jour, – et même nuit après nuit – des problèmes que rencontre une population qui a sans cesse besoin de sentir que son élu est proche de lui, disponible en permanence, et prêt à l’aider à résoudre ses problèmes au quotidien. Tout ce qui a préoccupé le Comité Balladur, c’est de complaire à un chef d’Etat paranoïaque, ne supportant aucune contradiction, ni aucun partage du pouvoir, c’est de faire barrage à la décentralisation, voulue par Gaston Defferre et qui reconnaissait aux responsables locaux, et aux citoyens qui les avaient élus, une certaine indépendance dans leurs choix. Le résultat ce sera cette fois encore, comme ça l’a été dans d’autres domaines, que l’on va complètement déstructurer l’organisation existante, que l’on va éloigner l’élu de ses administrés, et rendre impossible le contact direct avec les citoyens… L’Etat, par contre n’aura plus que quelques interlocuteurs irresponsables, qu’il tiendra bien en mains. Et bien sûr, le découpage sera effectué de telle sorte que les élus émanent, en aussi grand nombre que possible, d’une majorité favorable au pouvoir en place.
Et c’en sera fini de la décentralisation, dont tout le monde avait estimé qu’elle constituait un appréciable progrès, même si les élus locaux manquaient de moyens, et même s’ils n’avaient souvent que « le droit de la fermer ».Mais au moins, ils faisaient un travail de terrain inestimable.
En te lisant, on sent bien que tu as une nouvelle fois raison… Mais ne perdons pas espoir, tout a un début et une fin. Et ce pouvoir en place semble maintenant proche de la sortie !
JMD lors de l’intervention sur ton site du groupe de travail Balladur j’ai eu raison de leur faire la réponse où je leur disait
qu’ils étaient à la botte du président et que je n’en croyait pas un traitre mot sur le fait qu’ils tenaient compte de toutes les suggestions émises dans ce groupe.Au jourd’huit ils en font la démonstration.
Il faudrait qu’ils arrètent de vouloir nous prendre pour des idiots; la langue de bois ne fait pas avancer la confiance pour leur politique mais peut nous permettre de nous servir de leurs mensonges et de notre programme politique basé sur une véritable prise en compte des besions des citoyens déjà plus que spoliés et de plus en plus démunis de tout.
Cela demande une véritable mise en oeuvre d’une vrai république démocratique qui fait appel à l’égalité, un réel équilibre social et une reconnaissance du travail et de sa valeur
ainsi qu’une démarche républicaine ce qui entend que l’état soit au services de tous. De réguler et encadrer le libéralisme pour une pratique qui permettra une véritable relance,mais aussi et surtout une garantie de la diversité de production.Et non aux profits et aux versements des bénéfices considérables qui sont les fruits du travail réalisés par les salariés; aux seuls actionaires.
Je sais que cela n’est pas facile mais, réalisable.
Aussi ne laissons pas passer la droite au pouvoir, lors des élections Européennes.
A nous d’utiliser tous les moyens que nous possédons et, de continuer d’être présent sur les médiats malgrés tous les freins concernant l’information que le pouvoir en place utilise pour désinformer les citoyens. Car ils font en sortent que les interventions du PS passe dans biens des cas en dehors des plages de grandes écoutes
ce qui fait dire à la plupart des citoyens
que la gauche est inexistante et cela est faux, et le progamme du PS existe et est déjà en débat au sain du parti mais aussi dans la vie publique.
Continuons à nous battre contre ce pouvoir et sachons restés unis pour un vrai changement.
Et merci pour toutes ces informations si précieuses que tu nous transmet et faisons en sorte avec nos propres moyens et avec ceux qui nous accompagnent d’aller ensembles vers un véritable changement au bénéfice de tous.
Plus que jamais il nous faut informer , comme tu le fais de façon si juste, dans tout lieu et en toute circonstance car j’ai toujours espoir d’une prise de conscience des administrés.
ce pouvoir vacillant ne réussira pas tout…
Moi, non plus je ne suis pas forcément d’accord avec cette réforme.
Mais, je me pose une question : les élus locaux n’ont-ils pas un peu participé, malgré eux, à ce mouvement en créant des intercommunalités sans aucune légitimité de territoire ou de compétence?
Je ne sais pas comment c’est en gironde, mais dans bcp d’endroits, ces com com, syndicats, pays ont été mis en place pour faire plaisir à untel ou untel mais pas pour améliorer le service public ni pour réellement mutualiser. Du coup, on se retrouve avec des résultats parfois aberrants.
Il était donc facile pour une majorité politique de profiter de cet effet d’aubaine. De là à convaincre les français, fâchés avec les fonctionnaires (un peu grâce à notre cher président il est vrai), il n’y avait qu’un pas… qui a été franchi.
A la lecture de ton analyse concernant la réforme des collectivités, sache que je partage ta légitime inquiétude. Les élus que nous sommes doivent dores et déjà se mobiliser afin de ne pas laisser faire tout et n’importe quoi.
Néanmoins je reste convaincu que des réformes sont nécessaires à condition qu’elles se fassent dans la concertation et le respect de chacun.