J’ai appris, en plusieurs décennies de vie publique, qu’en politique il ne fait jamais, mais véritablement jamais bon être porteur de mauvaises nouvelles. Tout doit être positif ou au moins présenté comme positif, car les gens, quel que soit leur rôle, n’aiment que ce qui les rassure. J’ai été et je reste un admirateur inconditionnel de Pierre Mendés France. C’est par lui que je suis entré, à l’époque, au PSU de Michel Rocard et c’est lui qui guide une bonne part de mes pas sur les chemins du quotidien. J’ai lu et relu les livres qui résument sa pensée, car c’est un véritable réconfort de se souvenir qu’il ne fut en aucune manière le chantre de la facilité.
Pour lui rien n’était impossible pourvu qu’on sache inlassablement l’expliquer au peuple, et qu’on lui dise la vérité. Ainsi, voici une déclaration de Pierre Mendès France à l’Assemblée nationale après le revers militaire de Cao Bang (1950) en Indochine : « […] Il faut en finir avec des méthodes qui ne relèvent ni de la puissance, ni de l’habileté, ni de la force, ni de la politique, avec une action constamment velléitaire, équivoque, hésitante, et dont la faillite était éclatante, longtemps avant les difficultés militaires de ces derniers jours. En vérité, il faut choisir entre deux solutions également difficiles mais qui sont les seules vraiment qu’on puisse défendre à cette tribune sans mentir…. La première consiste à réaliser nos objectifs en Indochine par le moyen de la force militaire. Si nous la choisissons, évitons enfin les illusions et les mensonges pieux. Il nous faut pour obtenir rapidement des succès militaires décisifs, trois fois plus d’effectifs et trois fois plus de crédits ; et il nous les faut très vite... L’autre solution consiste à rechercher un accord politique, un accord évidemment avec ceux qui nous combattent. Sans doute, ne sera-ce pas facile… Un accord, cela signifie des concessions, de larges concessions, sans aucun doute plus importantes que celles qui auraient été suffisantes naguère. Et l’écart qui séparera les pertes maintenant inéluctables et celles qui auraient suffi voici trois ou quatre ans mesurera le prix que nous payerons pour nos erreurs impardonnables… », Journal officiel, 1950 Ces propos, liés à un conflit auquel il mettra provisoirement un terme, résume parfaitement le courage en politique. Mendès allie la lucidité et la franchise. Autant de vertus que notre société ne supporte plus, que les gens qui comptent exècrent, que les médias oublient au nom d’un parti pris absolu, que les élus ne veulent plus entendre. Il faut la fermer pour être heureux !
De réunions en réunions, j’affirme que les deux réformes en cours, traitant des collectivités territoriales, conduiront à la perte de la République telle que nous la connaissons, mais c’est souvent avec ironie, indifférence ou même mépris que les auditoires répondent. Ils ne croient pas les « oiseaux de mauvais augure » qui annoncent une première année 2011 terrible financièrement pour le Pays et ensuite, dès la réélection de qui vous savez, un plan d’austérité sans pareil, suivi d’un verrouillage institutionnel méthodique de toute forme d’opposition. Dire la vérité dans ce monde, c’est s’exposer à d’inévitables représailles, à une féroce jalousie et plus encore à une recherche effrénée des raisons pour lesquelles vous tentez de vous mettre en avant. Seulement « parler vrai » devient suspect ! On a d’autant plus d’ambitions qu’on la ramène!
Pierre Mendès France a toujours payé cette propension (comme d’ailleurs Michel Rocard, a une certaine époque) à énoncer ce qui ne devait pas être énoncé. « La démocratie est d’abord un état d’esprit » a-t-il écrit. Le pauvre, s’il voyait où elle en est arrivée, il aurait bien des doutes sur l’état d’esprit de ceux qui l’animent. « Une décision ne peut être prise valablement que si les chefs politiques, et aussi les militants, à tous les niveaux, ont exposé et représenté face au pays les thèses entre lesquelles il est appelé à choisir. […] Ils doivent faire apparaître et comprendre les facteurs et les ressorts durables des alternatives qui s’offrent. Chacun soutient alors les solutions qui semblent meilleures en fonction de son éthique personnelle. La discussion publique fait éclater les contradictions, les dissentiments; loin de les redouter et de les masquer, l’homme politique les souligne au besoin pour faciliter l’arbitrage de l’opinion. Rien n’est plus néfaste que le comportement fréquent qui, pour favoriser des coalitions successives, dissimule les divergences, affirme que « ce qui nous unit est bien plus important que ce qui nous divise », slogan apaisant qui permet de former des majorités […] mais en les condamnant à l’impuissance ». C’est ainsi, ces propos sont d’une autre époque, car désormais il suffit de se ranger sous une étiquette pour obtenir un label préservant des critiques.
Hier soir, j’ai pris concrètement conscience des dégâts irrémédiables que va causer la perte de l’autonomie financière des Conseils généraux. Mardi, à Paris, je retrouverai mes collègues conseillers généraux de France pour décider de la manière la plus appropriée de résister à l’étranglement des départements. Je l’aurai expliqué. Je l’aurai démontré, face à celles et ceux qui ont bien voulu au moins l’entendre, mais désormais, il va me falloir annoncer la vérité : dès 2010 les communes, les syndicats intercommunaux, les associations peuvent se préparer à une disette absolue qui va conduire à la famine budgétaire.
Certains de mes collègues ne le comprennent pas : ils n’auront pourtant plus les aides habituelles, les financements espérés, les réponses rapides antérieures… Ils n’y croient pas encore, et ils espèrent que « leur » conseiller général les sauvera ! Et je suis certain qu’ils ne veulent pas envisager le refus de tous leurs dossiers actuels et futurs ! C’est de la faute des oiseaux de « mauvais augure » plutôt que de celle de ces gens qui annoncent, quand tout va mal, que le meilleur moyen de servir le Pays c’est de le fracasser pour mieux le contrôler. Ils préfèrent l’anathème au débat, l’irrationalité partisane à la raison objective.
Pauvre Pierre Mendés France, mais pourquoi ne l’écoute-t-on pas : « Le régime, en accélérant le divorce entre les structures officielles et les masses, en concentrant tous les pouvoirs dans les mains d’un seul, en faisant constamment éclater le mépris du souverain pour ses sujets, privés de tous leurs droits de citoyens, a porté jusqu’à la rupture une tension qui n’était pas apparue jusque-là. Le refus, érigé en système, de reconnaître les droits, les aspirations, la souveraineté du citoyen dans l’organisation politique, complète d’ailleurs des structures aveugles et également autoritaires dans l’entreprise, l’université, la région ». C’était il y a plus de 40 ans. Comme quoi on peut avoir raison avant les autres !
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Citer PMF en cemoment me parait très opportun mais on a l’impression que l’on parle d’un OVNI à nos entourages .Pourtant la République est à faire relire à tous nos politiques et gestionnaire car elle reste d’actualité.
D’accord comme souvent avec toi , la démocratie est en danger!
Pourvu qu’on ne s’en aperçoive pas trop tard.
Continue à te battre et si tu as besoin d’un coup de main …
Yvon
Allocution prononcée par François Mitterrand, Président de la République, dans la cour d’honneur de l’Assemblée nationale, le 27 octobre 1982, à l’occasion de l’hommage solennel à la mémoire de Pierre Mendès France (extraits) :
« […] II faudrait être bien inattentif pour croire que l’action de Pierre Mendès France fut limitée aux quelque sept mois et dix-sept jours passés de juin 1954 à février 1955 à la tête du Gouvernement de la République. Un été, un automne et quelques jours. L’histoire ne fait pas ces comptes-là. Léon Blum, pour un an. Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour toujours ».
Cet homme qui fut brièvement mais pleinement homme de gouvernement avait pour le Parlement un respect qui ne fut pas, il faut le dire, payé de retour.
Les témoins se souviennent de la clameur qui couvrit ces propos en ce jour du 5 février 1955, alors qu’abattu par une coalition d’intérêts contraires – et sans doute s’était-il refusé à compter tous les suffrages qu’il eût pu réunir –, il tentait, contre les usages, d’exposer les sentiments qui étaient les siens et l’ampleur de la tâche qui attendait son successeur.
J’ai vécu avec lui ce moment
et j’entends encore son cri :
» Le devoir interdit tout abandon « .
Tout Mendès France était dans ce double aveu : la peine qu’il ressentait à se voir privé du moyen de poursuivre la politique qu’il croyait bonne pour le pays, la conviction qu’une politique juste serait tôt ou tard reprise par d’autres, après lui.
J’ai gardé jusqu’ici pour moi le récit de cette scène que nous avons été quelques-uns à partager. Dans le bureau du chef du Gouvernement au Palais Bourbon, Pierre Mendès France, le visage dans les mains, refermé sur lui-même, puis nous regardant, creusé de chagrin et laissant échapper cette plainte à mi-voix : « J’ai fait ce que j’ai pu. Que deviendra la République ? » […] »
Oui que deviendra la République ?