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Retour sur la constance des faits divers exploités

Je me suis plongé dans l’écriture d’un nouveau bouquin. La journée de hier me conforte dans l’idée que la place et l’impact sur la vie sociale pris dans les médias par les faits divers les plus horribles s’accroît, au fil du temps. La pression des réseaux sociaux et la course à l’audience qui traverse toutes les heures au minimum, le système médiatique audiovisuel incitent à une exploitation maximum des crimes, des violences diverses , des comportements déviants en tous genres. Toute action criminelle est condamnable et doit être condamnée. Le problème c’est qu’il faut accepter que ce soit « TOUS » les événements dramatiques qui mobilisent l’attention des transmetteurs d’informations qui le soient et pas seulement certains. J’ai eu envie de fouiller dans l’actualité locale 150 ans en arrière pour ressentir l’ambiance provoquée par ces moments dramatiques sur un espace territorial similaire.

Le bouquin (si je parviens au bout de mon envie) traitera de cinq crimes différents que je reconstitue aussi fidèlement que possible à travers tous les documents qu’il m’est possible de consulter. Un voyage dans une autre approche de l’enquête. Faute de certitudes scientifiques l’essentiel de cette étape importante reposait sur les témoignages humains. Cette différence essentielle rendait forcément le travail des rares policiers extrêmement long et aléatoire. Su l’un des assassinats ce sont par exemple plus de 250 personnes qui sont auditionnées directement par les magistrats et il y en aura 158 citées à la barre lors du procès en Cour d’Assises. Sans moyens particuliers, trois ou quatre gendarmes en zone rurale comme dans  le Créonnais placés sous les ordres directs et constants du Parquet, et un policier bordelais voire deux interviennent sur le terrain. Ils se font aider par des citoyens volontaires qui participent activement à la recherche des coupables.

Les Maires jouent un rôle essentiel. Ils sont vraiment associés à la démarche judiciaire et même parfois utilisés dans leur statut d’officier de police judiciaire pour réaliser des actes rapides d’appui aux représentants de la Justice en charge de l’instruction. Les policiers des polices municipales, les garde-champêtres lorsqu’ils existent, participent eux aussi sans aucun problème au travail des enquêteurs « officiels ». Leur connaissance du terrain est en effet très précieuse pour aller très vite vers des suspects potentiels. Dans l’une des affaires qui sera évoquée un aubergiste et un instituteur joueront un rôle essentiel dans sa résolution. La rumeur publique dangereuse constitue aussi un appoint essentiel. 

L’autre constante c’est la présence au plus près des actes institutionnels des reporters des journaux locaux ou des correspondants des quotidiens nationaux qui « vivent » en direct au milieu de ce petit groupe constitué des magistrats, des policiers, de leurs aides. Ils rapportent à la manière d’un feuilleton quotidien sur la durée, les moindres détails de la procédure, les paroles même des témoins ou les pistes évoquées. Tout va vite. Très vite. Malgré une absence de mobilité facile, à la fin du XIX° siècle et au tout débat du XX° les « nouvelles » se propagent très vite dans un cercle d’un dizaine de kilomètres. Ceux qui savent lire se nourrissent des articles réguliers qui ne cachent absolument rien. Les autres récupèrent des bribes dans les rencontres de comptoirs, de travail ou de lavoirs. Très vite une opinion dominante se forme et influence fortement l’enquête.

Absolument toutes les opérations judiciaires sont suivies par des dizaines d’habitantes et d’habitants, puis par des centaines. Ces groupes ou ces foules assistent à faible distance aux autopsies, aux arrestations, aux perquisitions et manifestent parfois une hostilité menaçante à l’égard des suspects. Cette passion pour les séquences policières ou judiciaires va jusqu’à positionner des spectateurs devant les prisons ou sur les routes empruntées par les gens soupçonnés ou arrêtés. Lorsque les faits divers débouchent sur des procès on retrouve ce même engouement avec des salles combles, des files d’attente et des cordons de sécurité militaires. Une exigence de rapidité, d’efficacité et de sévérité émanait violemment de l’opinion dominante. Le toujours « plus sévère » , même impossible, constituait la doctrine. Le crime a toujours fait recette. 

Les coupables sont souvent des récidivistes alors que pourtant la peine de mort existe. Le vol constitue la motivation la plus courante dans des drames affreux. Les sommes peuvent être d’ailleurs dérisoires ou exceptionnelles. La manière dont se déroulent ces crimes n’a rien à envier aux plus grands scénarios des films d’horreur. L’émotion populaire débouche toujours il y a cent cinquante ans, sur des exploitations politiques surtout au début d’une III° République chancelante. Le laxisme des institutions est pointée du doigt. Les lenteurs de la justice sont vilipendées. La peur de l’autre quel qu’il soit et surtout s’il est différent ou de passage monte très vite. Bref le comportement humain me semble éternel. Vivement que j’ai fini pour donner à lire… avec l’espoir de convaincre que si les techniques ont progressé les esprits eux ont stagné.

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Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

     » La peur de l’autre quel qu’il soit et surtout s’il est différent ou de passage monte très vite. »
    L’autre est souvent le vagabond, le cheminot, le « bohémien » ou « camp volant ». Ou parfois même celui qui simplement énonce la « vérité ».
    Le marginal aussi attire la suspicion : l’antimilitariste ou celui qui exprime des idées « rouges », anar, anticlérical brrrrr.

    « Mais les brav’gens n’aiment pas que
    L’on suive une autre route qu’eux. »

  2. Christian C.

    Une salve d’encouragements pour ce nouveau projet !
    Cinq crimes, cela doit en faire des pages et des pages d’archives à romancer.
    J’avais beaucoup apprécié la restitution du crime créonnais.
    A suivre donc le 1er épisode, saison une. 😉

  3. faconjf

    bonsoir,
    en écho à votre article, l’avocat honoraire De Castelnau , analyse pour nous et de son point de vue, les affaires actuelles en cours. Que l’affaire judiciaire soit récente ou très ancienne la pression populaire sur la justice s’exerce principalement sur les faibles… Pour les puissants c’est une autre histoire!!
    https://www.vududroit.com/2024/09/cartouche-du-22-septembre/
    Bon courage à vous dans vos recherches et bonne restitution nous aurons plaisir à vous lire.
    Dormez bien, du sommeil du juste évidemment ;-))

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