Le jour où Philippe Le Jeune est « monté » à Paris au début des années 80 il ne savait pas trop quelle serait sa destinée professionnelle. Passionné de photographie il espérait simplement entrer dans un réseau qui lui permettrait de lancer une carrière dans le secteur artistique. Pas si facile que ça. Du moins si l’on n’acceptait pas de débuter dans des taches obscures. « Ce fut en définitive assez facile de trouver du boulot dans ces années-là. A la suite d’un concours de circonstances je me retrouvais embauché aux studios Lorelle (1). Cette boîte haut de gamme appartenait au groupe Filipacchi dans lequel se trouvait Paris-Match. On y travaillait sur toutes les reproductions de documents photographiques ou sur des clichés hors normes pour diverses utilisations. La boîte était dirigée par Mme Gallois, femme du célèbre général spécialisé dans l’arme atomique, et fille du fondateur. Je devenais alors assistant d’ un technicien chevronné qui me forma à toutes les astuces permettant d’obtenir des résultats exceptionnels. » Philippe Lejeune verra donc défiler des milliers de photos d’absolument tous le styles. Il s’agissait de les préserver afin de constituer des banques
« Nous les alignions sur un fond spécial que nous préparions avec des bandes autocollantes qu’il nous fallait polir à la main de telle manière que les clichés tiennent en ligne parfaitement à plat face aux appareils Il ne fallait pas d’épaisseur qui aurait été néfaste à notre travail. C’était long et fastidieux mais indispensable. Les studios Lorelle devaient fournir des résultats irréprochables. » Philippe raconte que pour effacer par exemple les reflets sur des œuvres « gondolées » malgré un éclairage spécial à 45 degrés, il apprit qu’il fallait placer de la vaseline sur la partie luisante. Un véritable boulot artisanal mais à une échelle de petite entreprise.
« Un jour j’ai vu débarquer un homme assez massif, habillé comme un montagnard avec des chaussures de marche aux pieds qui apportaient des milliers de clichés. Il sollicitait leur reproduction afin de préserver ce qu’il présentait comme un véritable patrimoine. Cet homme semblant venir de la campagne s’appelait Roger Corbeau. Un nom qui ne me disait rien avant que j’apprenne que c’était le plus célèbre photographe de plateaux de cinéma. » Lui aussi était monté à Paris en 1932 et avait réussi grâce à Marcel Pagnol qui avait découvert par hasard son travail a devenir le spécialiste des portraits de vedettes. Il ne cesse dès lors de travailler avec les réalisateurs les plus prestigieux, d’Abel Gance à Claude Chabrol, de Jean Cocteau à Robert Bresson et à Orson Welles … Il possédait donc des trésors accumulés sur le tournage des films les plus célèbres.
Durant des semaines Philippe eut donc à préserver le patrimoine du cinéma français. « Il avait débuté en 1932 avec « Jeffroi » de Pagnol puis « Angèle » l’année suivante. Il avait travaillé ensuite sur plus de 150 longs métrages dont certains sont maintenant considérés comme des chefs-d’œuvre. Imaginez il y avait les photos de tournages avec Raimu, Fernandel, Harry Baur, Sacha Guitry, Jean Marais, Arletty, Danielle Darrieux, Bernard Blier, Lino Ventura, Paul Meurisse et plus près des années 80 Orson Wells, Michel Piccoli et tant d’autres. Il avait obtenu la confiance de tous les grands metteurs en scène français. ». Celui qui est devenu plus tard photographe de presse et ensuite photographe indépendant spécialisé dans les clichés soignés et artistiques a toujours conservé une attirance particulière pour le monde du spectacle.
Grâce à Jean-Marc Faubert journaliste de Sud-Ouest spécialisé dans les concerts qui me permettait de le suivre dans les salles où passaient les grands noms du music-hall il a pu approcher Gainsbourg, Coluche et quelques autres. Il a aussi nourri une passion pour le cinéma. Philippe a appris les techniques ce qui lui a permis de réaliser un court-métrage et de tourner des vidéos. Qui sait si quelque part les photos de Roger Corbeau n’ont pas joué un rôle essentiel dans cette vocation ? Passionné par l’épisode du jour où les armées alliées ont effectué le débarquement du 6 juin 1944 sur les 80 kilomètres de plages normandes il accumule les clichés de reconstitution de cet épisode de l’histoire européenne.
Le jour où il est entré chez Lorelle il a appris que le métier de photographe ne s’arrête pas à la prise de la photo mais qu’il y a tout un travail technique pour transmettre une œuvre finie. Cette règle l’a accompagné durant toute sa vie professionnelle. Même si ce n’est que de loin qu’il a été associé à Paris Match il a conservé durant des années la devise du « poids des mots et du choc des photos » il a conservé l’envie depuis sa jeunesse d’associer l’écriture et l’image. Il va donc bientôt sortir un livre résumant toute ses passions puisqu’il traitera du… débarquement en Normandie. Une manière de reproduire le passé et de le protéger.
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Bonsoir Jean-Marie,
je ne connais pas Philippe, mais je sais ce que je dois à Jean-Marc Faubert. Grâce à lui j’ai pu rencontrer Léo Ferré. une amitié qui a duré jusqu’au… 14 juillet 1993. Que la Toscane était belle. Avec le temps, va…
Au fait, Jean-Marie. Je croyais connaitre Philippe Lejeune, mais celui-là est sorti de l’Ecole normale supérieure – comme toi – puis s’est tourné vers le monde universitaire en se spécialisant dans l’histoire de l’autobiographie. Lire son « Pacte ».