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Le jour où « Mousse » a adopté Justin (1)

Modeste hommage à « Mémé P. », à Albertine et Yvette, mes collègues et amies. par un ami de Roue Libre sous pseudonyme François Guernu. Une histoire vraie d’antan. 

Justin venait de traverser le plateau où le chemin court entre des murs de pierre sèche, à la cassure si franche qu’on les dirait taillées par d’habiles maçons. C’est de ces pierres que sont bâties les maisons de cette région, et cette régularité naturelle ainsi que l’absence de joints de mortier donnent à ces bâtiments une élégance et un charme discrets.

Devant ses yeux s’étendait la vallée dont la douceur des méandres, le moelleux des près, la rondeur des touffes de saules et des vergnes contrastent en été avec la sévérité des peupliers rigides et les pentes sombres des coteaux boisés. Il s’engagea par le chemin qui descend au flanc de la colline vers le moulin de P.

Des touffes de noisetiers et d’ « ajars » (érables champêtres) aux branches flexibles formaient une voute au dessus du sentier, et il avait l’impression de s’engager dans un tunnel. Les branches et les herbes étincelaient du givre qui s’était déposé au cours de cette froide nuit de janvier. Ses sabots sonnaient clair sur les pierrailles du chemin. Soudain, un merle qui cherchait fortune en essayant de gratter le sol sous les mousses gelées traversa en voletant le chemin en poussant des pit ! pit ! pit ! effarouchés, et se perdit dans les buissons.

Justin avançait machinalement, sans guère profiter de la splendeur naturelle de ce matin de givre ensoleillé. Il pensait à sa pauvre existence d’enfant abandonné, aux années de presque bonheur, quand il allait à l’école, accompagné par sa « Mémé » qui consacrait son temps et sa tendresse aux enfants de l’Assistance publique dont elle avait la charge. Il pensait à cette famille où il venait d’arriver, où sa vie était devenue presqu’heureuse, où, en échange de sa bonne volonté on lui offrait un confort certain, une nourriture agréable, des ordres et des conseils donnés sans colère. Il en oubliait presque ses anciens maîtres, le régime de famine, le grabat crasseux, les coups et les jurons endurés, sans compter les journées de travail qui n’en finissaient pas, sous la pluie glaciale, le soleil brûlant, ou la bise qui paralyse le corps et les mains.

Il vivait mieux maintenant, se donnant au travail avec plus de cœur, mais quel avenir ? Ah, qu’il était désireux de sortir au plus vite de cette enfance prolongée, toute sa vie était dans son espoir d’être plus tard un homme qui aurait des amis, un foyer, des enfants peut être, un homme qui pourrait partager avec ses semblables joie, tendresse et amour. Pour l’instant il n’était que celui qui échange ses bras contre une subsistance assurée. Mais point d’élan du cœur de la part de ceux qu’il fréquentait, personne qui ne lui donne un geste d’amitié, personne envers qui en somme il puisse avoir reconnaissance.

La Thérèse, sa patronne était bien une brave femme, mais c’était une patronne tout court, ni mère ni amie. Elle n’avait point de ces attentions qui vous vont droit au cœur, comme un morceau délicat mis de côté à la cuisine, ou un menu cadeau rapporté de la foire. Il n’était à vrai dire ni plus ni moins bien traité que les autres hommes de la maisonnée.

C’est plongé dans ces pensées mélancoliques qu’il aborda les derniers mètres du sentier en pente qui rencontre la route longeant la puissante rivière, et qui forme à cet endroit une place où les pratiques du meunier rangeaient leurs charrettes en attendant que le blé devienne farine, son et menu son.

A ce moment, il entendit les jappements du chien du meunier qui surgit du portail comme un boulet et vint lui faire fête.

« Mousse ! Mousse ! ». Justin flatta la grosse tête carrée du dogue qui frétillait de joie contre ses jambes. Le poil ras de la superbe bête laissait se dessiner la musculature puissante et le tracé des grosses veines.

Mousse geignait de joie et soufflait avec puissance sur les talons de Justin qui continuait son chemin. Il abordait maintenant la « chaussée » (le gué) qui permet, grâce aux blocs de pierre disposés dans le courant, de traverser la rivière, sans se mouiller les pieds, quand les pluies ne l’ont pas trop gonflée,.

Ce matin une vapeur ténue s’élevait au dessus de l’au qui resplendissait et rosissait sous le froid soleil. Le chien toujours sur les talons, Justin entama la traversée. De temps à autre, Mousse s’élançait en courant, sautant malgré le froid dans l’eau peu profonde, faisant jaillir des gerbes étincelantes, et tirant une langue rouge. Bientôt ils abordèrent l’autre rive. Là se dressait un petit bâtiment de moellons grossiers où le meunier rangeait ses engins de pêche. Le mur, du côté de la rivière était baigné de soleil. Une grosse pierre plate sous la petite fenêtre aux carreaux poussiéreux et tapissés de toiles d’araignées invitait au repos (..)

(A suivre)

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Cet article a 3 commentaires

    1. François

      Bonsoir @ Laure Garralaga Lataste !
      …. avec ce soleil, notre langue va sécher car il faut attendre lundi !
      Je vais trainer près de la place de la Prévoté: si … par hasard… un rosé bien frais … sur le compte de l’auteur … ! ! ! !☺
      Respectueusement.

  1. christian grené

    Le premier épisode de cette histoire donne soif. La morale: qui a bu aboiera.
    Muchos besos a Laurita.

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