Le 24 septembre 1911, la nuit étoilée enveloppe la grosse ferme de Lhoste Blanc à Créon. A quelques mètres de la voie ferrée elle a été cédée il y a quelques années par le greffier du juge de Paix de Créon, Pierre Dordet à un commissionnaire assurant la liaison entre la bastide et le centre de Bordeaux. Pierre Teillet, effectue essentiellement le transport des fûts de vin blanc du Créonnais vers les restaurants, les caves ou les bistrots qui le revendent à la chopine. Il part en général au milieu de la nuit du lundi au mardi et du vendredi au samedi pour être présent chez lui le lendemain afin de régler les affaires. Il a en charge également les commandes des particuliers et des commerçants locaux qui se procurent des produits manufacturés chez les grossistes de la ville centre.
Pierre Teillet est reconnu comme un homme digne de confiance. Les vendeurs lui confient l’encaissement des marchandises transportées et il effectue l’avance pour ce qu’il achète. Avec ses deux chevaux et sa charrette qu’il a également acquise pour l’exercice de son métier il effectue quasiment du porte à porte dans tous les quartiers bordelais pour livrer avant de satisfaire les demandes de ses clients. Parfois quand il n’a pas le temps de tout faire, il couche en ville et ne rentre qu’au cours de la matinée du lendemain. Son épouse et son fils ne s’inquiètent pas de ses absences nocturnes.
Pourtant à six heures le samedi 25 septembre, la présence devant la remise de la charrette les panique. Pas de trace de celui qui habituellement la conduit. Tête basse les chevaux attendent que l’on s’occupe d’eux. Inquiet le fils court aussitôt réveiller sa mère. « Pars à pied vers Bordeaux. J’ai peur que ton père ait eu un accident. Et le chien ? Où est le chien ? » L’épouse de Pierre Teillet sait que le labrit baptisé « Rabatjoie » en raison de son caractère belliqueux ne quitte jamais son maître. Il effectue tous les trajets et l’accompagne dans toutes ses démarches. « Où peut être passé Rabatjoie ? J’en suis certaine, il est arrivé quelque chose à ton père. File ! »
L’adolescent n’a pas parcouru trois kilomètres sur la route qu’il aperçoit au lieu(dit Bel Air à mi-chemin entre le village de Lorient et Créon, au attroupement. Les silhouettes des gendarmes Villenave, Soumet et Guiter ainsi que celle de cultivateurs du coin, Bardin et Gas de Sadirac ou Guimlberteau de La Sauve ne le rassurent pas. Une masse sombre est allongée sur le sol. Dès son arrivée sur les lieux les adultes viennent à sa rencontre et le retiennent. « Ne t’approche pas. C’est horrible ! » lance l’un des militaires présent. Paul a reconnu les vêtements de son père. Il se met à crier, échappe au contrôle du gendarme pour découvrir une mare de sang autour de la tête broyée de celui qui est méconnaissable. Le fils hurle, pleure et il faut lui permettre de s’asseoir sur le talus pour le calmer. Son désespoir est au maximum.
Il est six heures et quart. Visiblement Pierre Teillet a été abattu de deux coups de feu. Dans le journal La Gironde, le reporter envoyé sur les lieux décrira ainsi la scène : « Teillet était couché sur le dos à moins d’un mètre du bord du chemin. Sa boite crânienne était affreusement fracassée et des éclats étaient jailli de tous les cotés sur la route. La substance cérébrale formait une bande de bouillie mélangée à la terre. Il portait également une seconde blessure à la hauteur de l’aine. Sa sacoche habituellement dissimulée sous la pèlerine avait disparu ». Le gendarme Villenave questionne le fils qui lui apprend que la charrette se trouve chez lui. Ce dernier souhaite retourner au plus vite prévenir sa mère.
En arrivant à Lhoste Blanc Paul est accueilli par Rabatjoie qui est lui-aussi rentré au bercail. Les gendarmes et Bernard David le Maire de Créon prévenu à la demande de la Maréchaussée tente d’apaiser le douleur de Mme Teillet. Sa vie vient de basculer en ce 25 septembre. La nouvelle s’est répandue dans la bastide. Le crime soulève l’indignation générale. Dès l’ouverture les cafés de la Place font le plein. Aux habitués sont venus s’ajouter les curieux. En effet les quelques personnes ayant emprunté la route entre Lorient-Sadirac et Créon ont pu découvrir la « scène du crime » et pimentent leur récit de moult détails sur le cadavre. « C’est affreux ! ». « Il était tellement brave ! », « on finira pas retrouver le salaud qui a fait ça ! » Certains crièrent déjà vengeance. Ce n’était rien à coté des réactions à la sortie de la messe du dimanche 26 septembre… La sidération laissa la place à la colère.
Ce fut le jour où Créon débuta la plus longue enquête judiciaire de son histoire ! L’affaire du crime du commissionnaire passionna la France ! Elle ne faisait que débuter…
(A suivre)
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