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La princesse de Noël à l’orange

Alors que mon épouse emballe à la chaîne les multiples petits présents (cadeaux est un mot que je n’aime pas) destinés à offrir une pépite de plaisir à leur destinataire, je songeais à ceux que ce foutu Père Noël auquel il fallait faire semblant de croire le plus longtemps possible, avait pu m’apporter. Difficile, car il n’y a pas de trace indélébile dans ma mémoire de ces merveilles que l’on conserve toute sa vie tant ils ont été précieux. Mais quand je vois le désintérêt extrêmement rapide des enfants et même des adultes pour ce qu’ils ont reçu, je ne me culpabilise pas d’avoir oublié ces gages d’affection de fin d’année.

La tendance forte actuelle serait de revendre vite les « cadeaux » pour se faire du fric puisque le seul repère de la reconnaissance est celui des comptes en banque. Malgré des disparités selon les régions, mais surtout en fonction de l’âge, la revente de présents se démocratise d’année en année : E Bay prévoit 3 millions d’annonces en ligne du 25 décembre au 3 janvier, dont 300 000 dès le jour de Noël. D’ailleurs toutes les plates-formes sont déjà en ordre de bataille pour récupérer ces transactions ne concernant pas que les jeunes.

L’acte de recevoir n’engage désormais que celui qui donne comme si désormais, il n’y avait plus aucune valeur à cet acte. Et pourtant, c’est dans cette translation entre l’espoir d’offrir et la réception qu’en fait l’autre que se joue la vraie réussite du jour particulier du 25 décembre. Il a été cultivé par le secteur marchand au plus haut point avec justement l’emballage aux apparences exceptionnelles, le volume qui renforce l’idée de l’importance de l’offrande, la marque qui donne le prestige. Jamais peut-être cette gabegie de faux-semblants a autant régné sur le monde.

Pour m’en convaincre, j’aime à revenir sur l’une des rares confidences de mon père sur cette période de fin d’année. Alors qu’après avoir émigré de San Stefano di Zimella vers Talange et l’enfer terrifiant des maîtres des forges, la famille avait posé son maigre baluchon dans une annexe de la propriété de Virlis à Cursan. Un retour à la terre souhaité après une inadaptation complète au travail dans l’usine sidérurgique où œuvrait le frère aîné Luigi considéré comme le « capo di famiglia ». La filière d’immigration reposait autour des amitiés nées durant la guerre mondiale contre les Tedeschi dans les Abbruzes. Elle fonctionna pour eux. 

Angelo, le bien nommé, avait dégotté pour son camarade d’armes Silvio une place de domestique agricole dans cette propriété détenue par une jeune héritière « italophile » vivant au Maroc. Mon père l’idéalisait. Elle était pour lui une princesse qui effectuait des apparitions pour « constater si tout allait bien ». Lors de l’une des toutes premières visites aux alentours de la fin des années 1920, pour Noël, elle ramena des oranges. Mon père avait cinq ans. 

Le matin de Noël, elle vint chez les Darmian en offrit à chaque enfant une boule soigneusement pliée dans une fine couche de papier blanc. Rien de plus simple. Mon père n’avait en mémoire que ce geste de la gente dame se penchant vers lui, lui disant en italien « Ecco cosa ti ha portato Babbo Natale… » et lui donnant une bise. Toute sa vie, cette orange l’a hanté. Il ressentait encore le profond plaisir enfantin de recevoir pareil présent, mais il m’avoua un jour à sa façon qu’il avait été torturé par l’offrande.

D’abord déplier le papier sans le déchirer fut déjà un moment délicat, car même cette protection fine et soyeuse lui paraissait belle et digne de respect. Ensuite un sentiment partagé l’envahit. Comment accéder à ce qu’il pensait être délicieux (il n’en n’avait jamais mangé) sans détruire la nature même de ce qu’il admirait ? Il passa la nuit avec son cadeau. Il ne m’a jamais raconté quand et comment il avait fini à la tentation. N’empêche que je suis certain que jusqu’à la triste et douloureuse fin de sa vie, il a vénéré la dame à l’orange plus que le Père Noël.

Il n’avait d’ailleurs disait-il, jamais trouvé un fruit ayant une prestance et un goût similaires. Il n’en mangeait que rarement et ne les trouvait jamais à sa convenance. N’empêche qu’il ne souffrait pas le dédain que l’on pouvait avoir pour les agrumes. Lorsqu’il était en vacances (rares) chez les cousins près de San Remo, il remarqua que dans les rues il y avait des orangers dont tout le monde négligeait les fruits. Il se mit en tête de les ramasser avant son retour en France. Il ramena aisément une belle récolte pour en faire de la marmelade. Pas question de laisser perdre pareil trésor. Le résultat ne fut pas à la hauteur de ses espoirs. La première qui tenta de déguster la production paternelle resta au lit quelques jours. Il ne toucha jamais plus une orange et revint à son rêve !

Cet article a 7 commentaires

  1. christian grené

    Bonjour Jean-Marie.
    Je me demande parfois si ce n’est pas moi qui fut le plus joli cadeau fait à mes parents puisque né le 25 décembre 1948, comme un certain Noël Mamère; à Saint-André de Cubzac, comme un certain J.-Y. Cousteau. Le hic, quand j’étais enfant, c’est que venu le jour de mon anniversaire le cadeau tombé de la hotte faisait office de cadeau pour l’autre « événement ». Beurk!..
    A ta santé quand même, Jean-Marie!

  2. J.J.

    Quelle belle, émouvante et touchante histoire. J’aurais bien mangé une orange pour illustrer ce beau quasi conte de Noël, mais mon régime ne me le permet pas…

    Mes cadeaux de Noel, vu leur rareté, je ne les ai pas oubliés : une petite voiture à ressort qui se remontait avec une clé, un petit avion en « kit », comme on ne disait pas à l’époque, que le jeune beau frère d’une petite camarade avait bien voulu me monter, et le plus beau, qui m’a longtemps intéressé, instruit et et distrait : une série de cartes représentant en gros les provinces ou régions de France, découpées en départements avec de belles et illustrations correspondant aux spécialités et ressources de chaque secteur.
    Le jeu consistait à mettre un petit carton de loto tiré au sort sur chaque département. D’autres renseignements concernant le département figuraient également sur ce petit carton. J’y ai généralement joué seul, mais je ne m’en lassais pas,

    Quant j’ai eu passé l’âge légal de croire au Père noël, (auquel je n’ai pas cru longtemps, suite à une étrange histoire), je recevais pyjamas , chemises(dont une en toile de parachute, dont je n’étais pas peu fier), dictionnaires et autres cadeaux utiles.

    1. facon jf

      désolé pour ce lien et cette mauvaise traduction venant d’un site confessionnel j’ai pas trouvé mieux …

  3. François

    Bonjour !
    Un instant, laissez vos croyances ou incrédulités, vos certitudes ou vos doutes sur un coin du bureau encombré et visionnez jusqu’à la fin sans zapper:
    https://youtu.be/8dFPgfhBxOs
    ☺☺ ♫ JOYEUX ♫ NOËL ♫ À ♫ TOUTES ♫ ET ♫ TOUS ♫ ☺☺
    Amicalement

  4. Philippe CONCHOU

    Pas de souvenir des (rares) cadeaux recus pour Noël dans mon enfance.
    Mais j’utilise tous les jours le mug « Roue Libre » que tu m’as offert il y a quelques années, comme quoi…

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