Il a remonté la Garonne pour se retrouver dans la salle du conseil de la Mairie de Lège Cap-Ferret. Alain Giresse devenu toulousain depuis maintenant 25 ans n’a jamais vraiment rompu les amarres avec cette Gironde qui l’a vu grandir à tous points de vue. Il promène toujours, depuis plusieurs mois, sa silhouette absolument intacte de lutin agile des stades autour du château du Haillan ou dans la tribune des invités du Matmut Atlantique. Le revoir, partager en toute liberté avec lui quelques minutes de ces échanges d’antan a constitué pour moi un privilège dans la mesure où les aléas de la vie nous ont éloignés depuis longtemps. Il aura fallu que une rencontre organisée par les « philosophes du football de Lège-Andernos» pour que nous évoquions nos chemins réciproques.
Lui n’a cessé de bouger, de s’engager et de vivre des expériences plus ou moins réussies comme entraîneur ou de sélectionneur. Pour ma part je suis « demeuré » et c’est ce qui lui permet lors de nos retrouvailles de me lancer dans un grand sourire un « Bonjour Monsieur le Maire ! » dont je ne sais s’il constitue un signe de complicité ou une pique amicale (1). Depuis la remise de la légion d’honneur à laquelle j’avais eu le privilège d’assister le 20 août 2012 au nom du conseil général, le chevalier de Langoiran a conservé sa gentillesse, sa simplicité et son extraordinaire résilience.
Entre 2003 et 2019, celui qui avait essuyé un sévère échec au Paris Saint-Germain sous l’ère Biétry a pris la direction de l’Afrique. Souvent présenté comme un tantinet casanier, très attaché au terroir et à un entourage familier, Alain Giresse après être passé par le Maroc, a zigzagué de Libreville à Tunis en passant par Dakar ou Bamako. Un parcours dont il parle avec un plaisir réel. « J’ai vécu des expériences fabuleuses et dont je conserve des souvenirs, malgré les inévitables incertitudes du foot et des pays où je suis allé, extrêmement heureux car là-bas tout était à construire » explique-t-il avec un brin d’émotion.
« Quand je suis arrivé au siège de la Fédération du Gabon en mars 2006 on m’a présenté le matériel dévolu à la sélection. Il y avait sur une étagère deux piles de maillots. L’une bleue et l’autre jaune et dans une caisse de vieux ballons rappés. Rien d’autre. En fait la Fégafoot ne possèdait rien d’autre. En fait partout où je suis allé les fédés n’ont que très peu de moyens et la sélection dépend en grande partie du ministère des sports auprès duquel il faut aller chercher les fonds quand ce n’est pas directement auprès du Président Bongo. » Le nouveau sélectionneur s’est donc mué en commercial « J’ai trouvé une oreille attentive avec le patron d’Airness qui a accepté de me soutenir et j’ai pu disposer du minimum de matériel »
Un sélectionneur en Afrique quand il s’appelle Alain Giresse jouit néanmoins de quelques privilèges comme celui d’accéder au personnages influents de l’Etat. « Au Mali, je voulais absolument, avant la coupe d’Afrique des Nations en 2012, emmener l’équipe en stage hors du pays pour échapper à l’ambiance locale compliquée ne permettant pas une préparation sérieuse. Quand j’ai demandé à la Fédération il n’y avait pas d’argent. Je suis remonté au Ministre de sports qui n’en voyait pas la nécessité. J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé au palais présidentiel pour obtenir un rendez-vous. Dans l’après-midi j’ai été reçu par Toumani Touré qui allait être chassé du pouvoir par un coup d’Etat. Il m’a demandé : « que voulez-vous Alain ? » Je lui ai parlé du stage… « vous pensez que c’est indispensable ?… Alors c’est réglé ! » Il a pris le téléphone et appelé le ministre des sports? En deux minutes c’était plié. J’ai eu mon stage. »
Il conserve en mémoire le retour du Gabon le alors que le Mali venait seulement de terminer sur le podium à la troisième place. « C’était la première fois dans leur histoire. Le parcours entre l’éroport et le palais présidentiel a été exceptionnel. Vous avons progressé au milieu d’une marée de motocyclettes et avec des milliers de personnes sur le bord de la route. Une liesse incroyable. J’avoue avoir été ému. Je n’avais jamais connu pareille ambiance. Lors de la réception Toumani Touré m’a demandé comment j’avais réussi pareille performance. Je me suis tourné vers la fenêtre de son bureau qui était éclairé et je lui ai dit: tout s’est joué là Président ! Il a souri et était heureux ! » Alain Giresse finira par quitter le Mali compte-tenu de la situation politique très tendue et peu sûre. « De tous les pays où je suis allé c’est le seul où ma famille n’est jamais venue » précise-t-il. Il y reviendra trois ans plus tard mais renoncera définitivement en 2017.
Au Sénégal où il avait sous ses ordres un certain Sadio Mané (« un super garçon que j’ai connu à ses débuts ») qui l’avait conduit dans son village natal de Bambali. « Un voyage inoubliable car j’ai découvert la pauvreté du Mali et de l’Afrique en général. Il n’y avait rien, absolument rien que des maisons en terre avec des toits végétaux. Mané a financé un dispensaire, une école et aide les enfants les plus méritants. Mais quelle misère… ce qui me fait mal au cœur c’est que dans ces pays tous les gamins rêvent de venir en Europe. C’est dramatique. J’ai eu beau expliquer que la vie était différente et aussi dure pour celles et ceux qui ne réussissent pas, il n’y a rien à faire. Il faut convenir que quand tu ne manges pas à votre faim, que tu risques ta vie en permanence, que la corruption est partout la tentation d’aller voir ailleurs te tenaille ! Les millons, les millards d’aides il n’en voient que des miettes. » Alain Giresse affiche son inquiétude pourun continent qu’il a appris à aimer.
(1) Elie Baup avait pris l’habitude de m’appeler « le Maire » afin de me chambrer puisque en fait il me comparait ironiquement à « Lemerre » alors sélectionneur de l’équipe de France
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Cher Jean-Marie,
c’est là une tranche de ma vie que tu racontes pour autant que j’ai côtoyé Alain Giresse durant dix ou quinze ans. C’est lui qui a exigé de son éditeur que ce fût moi qui écrive sa biographie (1982), au terme d’une Coupe du Monde en Espagne restée présente (?) dans la mémoire des 47 à 77 ans. Ah! Séville et ces villes que j’ai visitées pendant 5 à 6 semaines.
Laura mia, sache que Gigi était heureux d’être là parce que lui aussi descendant de réfugiés espagnol.
Ce n’est pas grave. Le point de gravité n’est pas là.
Ce que je trouve et que je ressens est la difficulté de s’adapter physiquement et mentalement. Pauves africains qui viennent jouer au foot en France qui laissent leurs habitudes de vie au pays parce que chez eux beaucoup meurt de faim et se révoltent. Cela ressemble à de l’esclavage.
A bientôt