Elle avance lentement en claudiquant, appuyée sur sa canne dite anglaise. La traversée de la Place de la Prévôté doit lui paraître durer une éternité. D’ailleurs elle marque une pause, regarde autour d’elle comme si elle cherchait un soutien. Elle m’interpelle alors que je suis en route vers le Bistrot des Copains pour aller « corriger » un « galopin ». « Monsieur le Maire. S’il vous plait ». En m’approchant je lui signale que je ne suis plus le premier magistrat depuis belle lurette. « Oui, je sais mais on m’a parlé de vous monsieur l’ancien maire ! Je peux vous prendre quelques minutes ? J’ai besoin de vous raconter mes malheurs »
Elle reste immobile attendant que j’approche. Comme nous sommes sur le passage des automobilistes très pressé de traverser le centre ville, il nous faut nous déplacer vers un coin sécurisé. Yolande que je ne connais guère avance péniblement s’excusant de sa lenteur. « Je voulais vous dire que j’ai peur. Tout cet été j’ai eu peur et je continue à avoir peur. » Difficile de ne pas écouter cette personne qui me semble être plus âgée que moi. « Vous voyez dans quel état je suis ? J’ai été mordu à la fesse par un chien et j’ai perdu une bonne partie du muscle. Je marchais paisiblement dans le rue devant chez moi quand il m’a attaqué par derrière. Je n’ai pas eu le temps de me protéger. je ne l’ai pas vu arriver. Je me suis retrouvée au sol. » Cette femme presqu’inconnue me conte par le menu sa détresse. Je sens bien qu’elle a besoin de parler mais je suis incapable de lui répondre.
« Je vis seule. Les propriétaires de l’animal ont tout vu l’ont rappelé et l’ont vite planqué chez eux. Ils ne se sont pas du tout occupé de moi, me laissant sur le sol car le choc m’avait projeté à terre. » explique celle qui revit inlassablement la scène. « J’étais choquée et en sang. Il a fallu que je me débrouille pour me relever. Rétrospectivement je me suis vue perdue! » Je ne sais pas comment réagir. D’autant que ces événements ne sont plus portés à ma connaissance et que je découvre ce qui est resté confidentiel. J’écoute et il me semble que c’est déjà pas mal. Que faire d’autre ?
«Les secours et les gendarmes sont venus avant que je sois évacuée. En m’écoutant et en voyant ma blessure ils m’ont demandé si je voulais porter plainte. Comme je connaissais les propriétaires que j’avais vu de loin, j’ai refusé car je sais qu’ils ont de graves difficultés. Ma fille compte-tenu de la gravité de la blessure m’a secouée et m’a obligée à revenir sur ma décision le lendemain. Il a fallu qu’elle se batte pour que la Gendarmerie de se déplace pour m’entendre puisque je ne pouvais pas bouger et que j’avais annoncé que je ne portais pas pliante. Ils ont enquêté quelques jours après et le chein n’était plus là! » Elle hésite, tremble, parle sans que j’ai la possibilité d’intervenir. Pour celle qui souffre dans sa chair mais ce n’est qu’une conviction, car elle n’a pas de preuve, le molosse dangereux n’était pas déclaré.
Elle avoue son désespoir. « J’ai découvert que les maîtres n’étaient pas assurés pour leur chien que je n’ai jamais revu. Au tribunal qui les a jugés en urgence, ils ont été condamnés mais pour moi ce n’est pas le plus important. Je n’ai aucune illusion sur l’exécution du jugement. Ce qui me tracasse c’est que malgré toutes mes demandes je ne sais pas ce qu’est devenu cet animal agressif et incontrôlable. Ca me hante. Je suis certaine qu’ils ont été le lâcher dans la nature loin de Créon. » Yolande frappe à toutes les portes pour tenter de dénicher une information car c’est certain pour elle « ce chien récidivera ! » Elle a peur pour les autres.
Son été a été pourri par cette obsession. Elle a rencontré le Maire (le « vrai ») qui a « tout fait pour l’aider » mais sans réussir à trouver ce qu’était devenu le chien. Elle a relancé la Gendarmerie : sans résultat ! La dame qui n’arrive à conserver son équilibre qu’avec le soutien de sa canne voudrait que je lui propose une solution. « On ne peut pas laisser ce genre de situation sans réponse. Qu’ont-ils fait du chien ? » Et pour justifier ses craintes elle me parle d’une « attaque d’une dame de soixante ans par des animaux non déclarés en Dordogne en Juillet. Est-ce le même chien ? » (1)
Alors que sur le chemin de la terrasse où mes rencontres ont toujours été plus heureuses, celle-ci a des allures sombres. « Monsieur l’ancien maire faites quelque chose ! » implore-t-elle. Je bredouille quelques mots de réconfort et je lui assure que je vais tenter de me renseigner sur la situation. J’ai bien du mal à lui dire que je n’ai plus aucun pouvoir en la matière. Comme bien des gens que je rencontre, cette dame espère que je réalise encore des « miracles. » Je la quitte un peu lâchement. Elle repart en boitant enfermée dans ses angoisses. Probablement déçue. Probablement encore plus angoissée.
Sa blessure n’est pas que physique. Yolande a perdu confiance dans une société qui ne respecte plus aucune règle ce qui constitue pour elle une plaie ne semblant pas prête à cicatriser. Elle doute de la fiabilité du système devant la protéger. Une rencontre… qui me ramène en arrière sur bien d’autres événements similaires qui conduisent tant de gens à la révolte.
(1) Samedi 10 juillet, vers 15 h 45, à Vézac en Sarladais, une femme âgée d’une soixantaine d’années a été attaquée dans son jardin par deux « american staffs », deux chiens de seconde catégorie reconnus comme dangereux hébergés chez ses voisins. (Sud-Ouest du 16 juillet)
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C’est souvent que je m’interroge… » Comment a-t-on pu en arriver là ? »
Merci Jean-Marie pour ta réponse… : repli sur soi, absence de droit à l’erreur, égoïsme collectif, administration kafkaïenne…
Ce récit que tu nous contes aujourd’hui est glaçant. Mais également bouleversant, car comment rester insensible et inactif devant une telle histoire ? Il y a forcément une issue pour cet animal qui n’a pas fuit de lui-même la justice des hommes.
Les gendarmes s’ils veulent s’en donner les moyens peuvent savoir extraire la vérité de son maître.