Prise à bras le corps avant d’être soulevée et installée sur l’arrière-tarin dans une position qui semble la tétaniser entre les jambes de son kidnapper, la brebis attend fataliste le sort qu’on lui réserve. Engoncée dans une abondante couche de laine pas très fraîche, elle ignore qu’elle va bénéficier de soins « capillaires » particuliers. Dans l’enclos aménagée à l’ombre de la vaste terrasse de Fort Médoc Joël entame devant un nombreux public, la mise à nue de sa « cliente » résignée. La « tonte des moutons » sort que certains prétendent réservée au contribuables, relève pour lui de la banalité du boulot quotidien.
Avec une précision et une dextérité résultant d’un professionnalisme reconnu, Joël décolle les bandeaux ou les touffes d’une toison devenue étouffante pour celles qui la portent depuis la fin du printemps. « En général je passe deux fois par an dans les troupeaux, Là c’est celui d’une soixantaine de têtes qui entretient l’espace de la forteresse et c’est un peu tard. Heureusement qu’il n’a pas fait trop chaud car les animaux auraient eu du mal à supporter l’épaisseur de leur laine. Maintenant il reste à espérer qu’il n’y aura pas des températures trop basses la nuit et le matin dans les prochains quinze jours car ils risquent d’avoir froid s’ils sont laissé dehors. »
Tout en discutant Joël commence son œuvre en taillant et en nettoyant les sabots de sa prisonnière avant de lancer sa tondeuse électrique « Il lui faut aux alentours de deux minutes pour chaque brebis » ajoute sa compagne Louise qui l’assiste en récupérant soigneusement la tonte pour la stocker dans un sac spécial. Un gamin montera ensuite dans le récipient en toile épaisse pour fouler aux pieds la récolte et la rendre moins volumineuse.
« Dans une journée il est capable d’en tondre jusqu’à 180 mais la moyenne est à 150 » ajoute Louise avec fierté. Quand on sait que chaque animal tondu rapporte seulement 1,60 € cette intensité de l’activité prend sa vraie valeur. « Je ne suis pas payé à l’heure mais au nombre de tontes » précise Joël. « Le marché de la laine est au point mort. Les hangars sont pleins et le kilo brut est tombé à 20 centimes ce qui est dérisoire. Les Chinois maîtrisent la demande et donc le marché. Il m’arrive de plus en plus que les éleveurs nous laissent maintenant les ballots à évacuer. Nous en avons partout à la maison que nous ne pouvons pas vendre. » Le couple ne semble pourtant pas traumatisé par cette situation car il n’a jamais cru dans les bénéfices de la toison d’or !
Joël a trouvé sa vocation en « regardant un reportage à la télévision ». Il a appris son métier sur le tas avant de se perfectionner en sillonnant le monde. « Nous sommes partis durant deux ans en Nouvelle Zélande qui est le plus grand pays pour l’élevage des moutons et le plus magnifique pour ses paysages. Là-bas sur une seule propriété on trouve 18 à 20 000 têtes. La tonte mobilise une équipe d’une cinquantaine de personnes dont une quinzaine de tondeurs qui se déplacent d’élevage en élevage avec cuisinières, transporteurs, récupérateurs de laine et tout le reste. Tous ou presque sont maoris. Au début c’est dur de s’intégrer. J’étais le frenchy et donc ils me testaient. J’ai tenu le coup et à la fin j’étais parfaitement intégré. J’ai beaucoup appris à leur contact. Ensuite nous avons bourlingué avec Louise.»
Tous deux évoquent leur travail par «plus de 45 ° en Espagne au pic du soleil ou les particularités italiennes.« Nous étions dans le Nord. Là-bas dans les montagnes ils mettent une clôture et enferment tous les animaux : les vaches, les chèvres, les moutons et le poules. A toi de te débrouiller et de faire le job en plein air et quel que soit le temps. Une fois qu’il pleuvait les patrons nous ont proposé de tondre sous les ponts. Nous pensions que c’était une plaisanterie. Mais non il nous emmenés sous une arche ! Ici nous avons maintenant une clientèle fidèle sur la Gironde, les landes, le Lot et Garonne et la Dordogne. » La brebis est relâchée, nue comme un vers et visiblement gênée par cette situation. Elle regagne penaude le troupeau où se trouvent toutes les « tondues » au corps immaculé semblable à celui d’une touriste anglaise débarquant dans un camp de nudiste. Les autres « vétus » de leur volumineux « lainage » attendent leur tour.
Joël a terminé en quelques minutes son ouvrage avec un dextérité ayant préservé l’intégrité physique des animaux. Soigneusement rasé son crane attire les plaisanteries d’une personne âgée ! « Et vous qui vous tond ? » demande la dame. La réponse fuse : « Ma femme et c’est tous les quinze jours ! Je suis content d’elle ! » L’effeuilleur de moutons sourit : « comme ça ma clientèle voit ce dont je suis capable !
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Ce Roue Libre ravive des souvenirs d’enfance…
Dans les années 50, j’ai pu assister à cette tonte qui, parfois se terminait par des bêlements… Disaient-ils « merci » ? Se plaignaient-ils ? Comment savoir ? Ce que j’ai repéré, c’est que tous et toutes semblaient avoir honte d’exposer ainsi leur nudité !
Autre souvenir évoqué par cette tonte… celle de « femmes collaboratrices » après la Libération…
« Tonte de la honte » !… Honte pour ces femmes jetées en pâture à la vindicte de la populace, honte à cette populace qui les injuriait, leur crachait dessus…
« Tonte de la honte » !…
J’ai raconté ça aussi dans mes souvenirs d’enfance, si ça vous intéresse vous le trouverez dans le lien :
https://journalboutillon.com/wp-content/uploads/2020/06/Angoul%C3%AAme-sous-loccupation.pdf
@ à J . J .
Je viens de lire les « Mémoires et analyses » de Pierre Péronneau qui consolident mon passé… Tout est dit et bien dit… Et quand on relit l’Histoire officielle, on mesure le gouffre qui continue de grandir entre Mémoire et Volonté d’oublier…
Buenos dias, Laure!
Bonjour J.J. qui, amateur d’anagrammes et autres contrepèteries, connait mieux que personne Alcofribas Nasier, l’auteur des « horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel, roi des Dipsodes et fils du grand Gargantua ». Parce que c’est là qu’on fait la connaissance de Panurge, dont je suis l’un des moutons, voguant sur les mers pour consulter l’oracle de la Dive Bouteille. Je ne sais pas qui je préfère de Jean-Marie Darmian et… François Rabelais.
@ à Christian
Tu mets en avant 2 figures emblématiques… La première au niveau de notre département ! La seconde au niveau national !