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Pastilles d’été (5) : le pêcheur précoce

Chaque fois que je passais dans la boutique tabacs, épicerie, bazar de Mme Troquereau à quelques pas de l’école, outre les calabres, ces bonbons en réglisse parsemée de sucre, en forme de croissant de lune, je n’avais d’yeux que pour les lignes de pêche toutes prêtes exposées sous verre. Bien évidemment il m’aurait fallu quelques dizaines de francs que je n’avais pas pour accéder à mon rêve de pêcheur en eau douce.

Je contemplais avec envie ces splendides bouchons multicolores effilés ou dodus susceptibles d’annoncer des prises que j’imaginais exceptionnelles. Il me faudra attendre encore de longues années avant de pouvoir assouvir cette envie de luxe.

En fait la vraie solution passait par l’auto-confection des lignes. Un travail qui demandait un budget très inférieur et un processus particulièrement élaboré. La première étape consistait dans le choix du bambou support parmi la touffe compacte qui poussait sur l’arrière de notre lieu de vie. Il le fallait à la fois le plus altier possible, souple, flexible et solide surtout dans sa partie terminale.

Soigneusement nettoyée avec un couteau affûté récupéré dans le terroir du buffet de la cuisine la gaule naturelle reflétait le type de poissons espéré et surtout son adaptation au lieu de pêche. En allant chez madame Laitue l’homologue créonnaise de la « mère » Troquereau avec une petit pécule gagnait par de menus travaux il devenait possible d’acquérir les éléments de la ligne idéale.

Un débat avec mon frère sur la « grosseur » du fil, la grosseur et le poids du flotteur, les différentes tailles des hameçons, la discrétion des plombs se discutaient âprement selon les espoirs de prise. Montée et installée sur une écorce de pin travaillée aux deux extrémités les lignes ou parfois sur un bouchon de bouteilles de vin coupé en deux parties, la ligne faite maison devait être testée très rapidement.

Il suffisait pour cela de descendre jusqu’au trou d’eau proche du pont sur La Pimpine pour tester l’ouvrage. Une certaine appréhension comparable à celle de tous les inventeurs au moment de la première sortie de leur création nous mettions notre réalisation à l’eau. Les observations portaient sur la verticalité du bouchon dans le maigre courant, la place des plombs par rapport aux nécessités des adaptations au fond potentiel. Les réglages ultimes effectués, une opération délicate suivaient : dégoter les appâts adaptés. Un travail parfois assez compliqué.

A coté de son abattoir, l’oncle Claude, boucher de Sadirac possédait un ossuaire où il stockait dans une cabane aux planche disjointes les rebuts de son magasin. Dans une odeur pestilentielle les mouches en avaient fait une immense nursery à asticots. Peu importe le contexte nous pouvions en rentrant de classe aller chercher dans un bocal de confiture garnie de sciure récupérée dans l’atelir de menuiserie de maxime, ceux qui devaient nous valoir des pêches miraculeuses.

L’autre option consistait à soulever tous les pots de fleurs, les jardinières, les pierres pour dénicher ces vers de terre filiformes très mobiles sensés aguicher l’appétit des poissons. La quête en plein été de lombrics relevait parfois de l’exploit. Il fallait des heures pour dégoter ces appâts de premier choix destinés au menu fretin de La Pimpine essentiellement constitué de goujons !

Nous avions un concurrent sérieux sur le « trou » du Pont : le mari de la cheffe de gare, marin au long cours passait ses journées à terre à venir griller des paquets de Gauloises en taquinant le vairon. Il les mettait dans une grande boite de conserves pour collectivités et j’ai toujours pensé qu’il les relâchait pour pouvoir les rattraper le lendemain.

Nous avions notre Edorado secret. Niché au milieu de la forêt proche du château du Grand Verdus , un vaste étang artificiel inaccessible car totalement invisible, constituait une réserve naturelle exceptionnelle. Tanches, carpes, gardons y pullulaient mais étaient difficilement accessibles en raison des conditions de pêche. Arbres morts, bancs de roseaux, rives escarpées, branches penchées sur l’eau constituaient un cimetière pour les plus belles lignes.

Le lieu m’a toujours fasciné par son calme, sa sérénité et sa beauté. J’avais vraiment l’impression d’être l’un de ces explorateurs découvrant un lieu magique au milieu de nulle part. Il y avait en plus un zeste d’exotisme puisque les calicobas constituaient des pries faciles se ruant sur tout hameçon. La tableau de pêche était souvent très fourni mais tout a fait immangeable sauf par les chats.

Heureusement selon la météo les gardons sauvaient la journée. Mon plaisir n’en était pas moindre. Les martins-pêcheurs battaient des records de vitesse, les martinets effectuaient du rase étang avec une virtuosité inimaginable, les poules d’eau s’enhardissaient chaque fois un peu plus. Cette eau sombre, ce cadre poétique au lever du soleil et le frisson de la transgression d’une interdiction conféraient à ces journées de vacances un caractère exceptionnel.

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Cet article a 3 commentaires

  1. BORTOLETTO Françoise-Micheline (dite Michou)

    Est-ce que l’amour de la pêche a perduré au delà de l’enfance ? Avez-vous goûté plus tard au plaisir de la pêche au carrelet, nombreux en bordure de Garonne et de Dordogne…….. Personnellement je n’ai jamais eu le goût de la pêche, peut-être parce que j’étais une fille….. Mon mari était pêcheur, peu à la ligne qu’il pratiquait parfois sur la jetée de Bélizaire au Cap-Ferret mais au carrelet que nous avions en bordure de la Dordogne, à Saint Sulpice de Faleyrens, je vous rassure s’il y a des espèces en voie de disparition ce n’est pas à cause de lui car les prises n’étaient jamais très importantes et même souvent nulles……. Mais ce lieu représentait pour nous un havre de paix, très souvent il était le théatre de retrouvailles entre Ami(e)s ou en Famille ; après avoir chargé dans l’utilitaire les tables et les tréteaux, sans oublier le casse-croûte mon mari partait avec les hommes pour l’heure de la marée, plus tard femmes et enfants les rejoignaient, et sur le coup de midi j’arrivais avec ma voiture en apportant le déjeuner que j’avais soigneusement préparé à la maison, lorsqu’il y avait des grillades de prévues dans le menu elles se faisaient sur place….. Lorsque la maladie a frappé mon mari nous l’avons vendu……. je garde de ce lieu de merveilleux souvenirs et il faut bien le dire une certaine nostalgie……

  2. DEnise Greslard Nédélec

    Ton récit fait affluer mes souvenirs d’enfant, auprès d’un père qui pratiquait la pêche à la ligne en bord de Seine ou de Marne (et plus tard au filet et au casier aussi en mer).
    Il m’a initiée vers mes 7 ou 8 ans, avec une petite gaule que nous avions fabriquée ensemble. Le plaisir de choisir les plombs dans un petit magasin de pêche ou bourriches, épuisettes de toutes tailles et rouleaux de fils de calibres à n’en plus finir faisaient face aux aquariums à vers et appâts. Fascination complète pour ces grouillements multiples! Ces derniers étaient chers alors le premier poisson pêché de type ablette servait, déchiré en petits morceaux, d’appât pour des plus gros, faute de mieux. Mais pas les poissons-chats!
    Mon frère aîné n’était pas très féru de ce « jeu » alors j’étais la reine du jour quand je remontais un petit poisson brillant au bout de ma ligne. Quelle fierté! Ma mère et mon très petit frère étaient priés de ne pas courir sur la berge pour ne pas effrayer la poiscaille qui ferait le repas du soir. Nous partions de bonne heure le dimanche matin et passions ainsi la journée en bord de rivière, pique-nique et baignade comprise. C’était le temps béni ou on pouvait déplier sa nappe dans n’importe quel recoin sous les arbres et barboter les pieds dans la vase en pistant les écrevisses sans qu’un panneau l’interdise. De vrais souvenirs de douceur ….. Merci.

  3. J.J.

    Les calicobats (appelés également perches arc en ciel) ! Ils ont disparu comme ils étaient arrivés, on n’en voit plus une arête.

    Tes textes ont un inconvénient : captivé par la lecture de tes souvenirs de pêcheur, j’ai négligé ma surveillance et laissé le riz prendre ua fond de la casserole….

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