J’ai beau faire tous les efforts possibles, j’ai un mal infini à apparaître autrement qu’un « vieux gros » sur cette nouvelle passion qu’est devenue le selfie… En fait ce « self service » photographique consistant à se mettre en scène devant un lieu, un monument ou avec une personnalité tenue avec passion par le cou devient la marque absolue du modernisme estival. il sert de carte postale collector. La photographie posée n’a plus d’intérêt car elle manque de spontanéité. Il faut de l’instantané, de l’improvisé, du dangereux, de l’exceptionnel et être au centre du sujet. C’est moi avec d’autres !
Sortir sa perche spécialisée à narcissisme exacerbé, constitue une preuve d’appartenance à la caste des pratiquants des nouvelles technologies. Les ratés sont ceux qui prennent leur image à bout de bras… en offrant ensuite un portrait proche de celui que l’on obtient en parcourant une galerie de glaces déformantes. .
En été l’autoportrait réaliste, posé, qui avait probablement demandé tant de temps à Van Gogh pour laisser une trace de son oreille coupée, s’exécute désormais en quelques centièmes de secondes. L’art du positionnement du visage par rapport au fond revêt toute son importance. Quel est l’élément principal entre la face « déformée » ou le cadre dans lequel il s’insère ? Comme le corollaire de cette opération de « self contrôle » réside dans la diffusion rapide sur les réseaux sociaux afin d’épater la galerie, le décor doit être bien choisi ! « J’y suis et j’y reste pour la postérité » : tel est le message délivré par un cliché positionné devant un monument, un paysage, un contexte valorisant pour l’ego de celui qui le lance!
Les concours de grimaces, les déguisements, les maquillages offrent également matières à se transformer en son propre modèle. Faute de recul par rapport à l’appareil les effets sont accentués et conduisent à l’autodérision… avec ces clichés manqués qui deviennent cultes. Le « sellfies » peuvent être soignés ou minables mais peu importe l’essentiel c’est de les diffuser comme preuves de son empreinte dans un environnement réputé extraordinaire. Et dans ce domaine on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Dans la société estivale moderne il est en effet indispensable de mettre en scène son bonheur individuel ou collectif. Tout se montre ! Tout de se démultiplie ! Tout s’expose ! Comme l’ego surdimensionné constitue une preuve de sa capacité à exister vis à vis des autres, le selfie sert d’attestation personnelle de célébrité. Ce vedettariat de l’instant est aussi renforcé par la présence dans le cadre aux cotés de celui qui regarde le « petit oiseau » sortir, de l’une de ces personnes qui occupent plus ou moins le devant de l’actualité médiatique.
Les chasseuses ou les chasseurs de selfies sont alors prêts à tout. On les voit sur la route du Tour de France se retirer au dernier moment tels des toreros inconscients devant un coureur déchaîné afin de récupérer le cliché magique ! Ils n’auront qu’un flou artistique aux cotés d’un fou courant. On entre sur une pelouse pour se coller à un joueur de football et saisir une proximité inédite. Même approche de la postérité avec une demande formulée à une femme ou un homme du monde politique (j’ai vu par exemple oubleir les coureurs du critérium de Castillon pour « selfier » avec le député Jean lassalle). Inutile d’ajouter que le rêve suprême envahissant les esprits du pratiquants du selfie se niche dans l’approche d’une vedette du cinéma, de la chanson ou du théâtre mais jamais d’un Prix Nobel !
Le cliché devient culte et suivra toute la vie comme un trophée encore plus prestigieux que ne peut pus être un autographe dénué de toute originalité. La poids des mots d’une dédicace est effacée par le choc des images arrachées par insistance ou opportunisme sur un attentat, un accident, une calamité climatique ou un drame collectif.
Le selfie tourne au phénomène de société et s’affiche comme le révélateur de ce monde tourné vers l’individualisme. On verra bientôt des mariés se photographier durant l’affirmation de leur engagement. Des enfants transformeront la traditionnelle photo de classe en co-portrait avec un enseignant sympa ! Certain(e)s adultes tombent davantage amoureux de leur image sur l’écran d’un téléphone mobile que sur des photos classiques. Comprenant l’absurdité de leur passion il se suicideront et à l’endroit même où leur sang coulera, naîtra une fleur, qui ne s’appellera plus « Narcisse » mais « selfie » !
L’individualisme allant jusqu’à l’égoïsme a trouvé son outil idéal et des concours de photos de nombrils sont en préparation de telle manière que l’on aille jusqu’au summum de l’art ! Regardez autour de vous l’été du selfie est en route !
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Autoportrait, egoportrait, comme disent nos cousins de la « Belle Province ».
Bien sûr c’est un peu plus long à écrire et à dire (c’est vrai qu’on est tellement pressés, pas une minute à perdre !) mais au moins tellement moins niais et plus élégant, conforme aux racines latines de notre langue nationale, et de pas mal de nos langues vernaculaires..
Quant au concept même de la « chose », je n’en dirais rien, ne voulant pas exprimer ici une opinion qui me classera comme insupportable vieux râleur, ce que d’ailleurs je suis en réalité.
Pour revenir à ce célèbre peintre connu pour sa chambre très modestement meublées et aux ouvertures très symétriques. Au temps de ce célèbre peintre se photographier par soi même n’existait pas encore et c’est ainsi qu’il peignait sa vie plutôt triste.