Tant que les personnages célèbres qui décèdent sont plus âgés que vous, leur départ n’a qu’un impact affectif lié à l’admiration ou l’estime qu’on leur portait. Le décès de Dick Rivers sonne tout autrement pour moi puisque nous n’avions que deux années d’écart ! Là les choses sérieuses se profilent. C’est plus qu’un chanteur de rock qui s’en va mais toute une époque, celle de mon adolescence. Même si je n’ai vraiment jamais vraiment apprécié celui qui « twistait à Saint-Tropez », il figurait dans les références qui émaillaient les confrontations « idéologiques » sur le rock. Au sein du monastère laïque qu’était l’école normale d’instituteurs du château Bourran de Mérignac, les débats étaient on ne peut plus sérieux sur la pureté de ce rythme endiablé venu d’Outre-atlantique. Dick Rivers, fortement inspiré par Elvis Presley (Il était très fier d’avoir été le seul rocker français à être photographié avec lui) et surtout Gene Vincent, représentait pour certains le canal historique de cette musique brisant les tabous du début des années 60. Cette filiation était fortement contestée par d’autres qui voyait dans un certain Eddy Mitchell le seul transmetteur authentique des vertus du rock ! Aucun ne se référait à Johnny !
Né officiellement le 12 mai 1961 le groupe des « Chats sauvages » allait marcher sur les microsillons des « Chaussettes noires » qui avait sorti son premier 45 tours en début d’année ! La concurrence entre les deux groupes et leurs deux chanteurs allait grandir, l’un né à Nice, Hervé Forneri, fils d’un commerçant boucher l’autre Claude Moine, natif du quartier de Belleville à Paris issu dans un milieu modeste puisque sa mère était employée de banque et son père,travaillait à la Société des transports en commun de la région parisienne. Jamais ils n’échapperont pour bien des gens de leur génération, à leurs origines sociales. Dick fut considéré par les analystes comme le représentant du « rock bourgeois » quand Eddy illustrait le « rock prolo » !
Imprégnés tous deux de culture américaine ils avaient été devancés dans les transistors et les « mange-disques » par un certain Johnny Hallyday ! Le trio allait fracturer la France des jeunes d’alors. Les « Chats sauvages » déchirèrent l’image des « Chaussettes noires » puisque les deux groupes émergèrent quasi simultanément. Un admirateur du premier groupe ne parlait pas nécessairement à l’adepte du second. Surtout qu’en 1961 il y avait eu le slow « Daniela » un titre qui rompait avec les adaptations des standards américains mais qui plaça au sommet du fameux hit-parade l’ensemble d’Eddy Mitchell mais qui lui fit perdre son label d’origine. Il est vrai que le virage a aussi été pris par un Johnny ayant fait un triomphe, en solo, avec « Retiens la nuit » ! Dick, lui resta droit dans ses santiags avec la sortie de « Est-ce que tu le sais ? »(une adaptation de What’d I Say, de Ray Charles), « C’est pas Sérieux » (adaptation d’un titre de Cliff Richard et The Shadows), ainsi que »Twist à Saint-Tropez » qui demeure leur morceau emblématique. L’esthète se retira sur sa colline. De gré ? De force ? Chacun a son avis !
En 1961 déjà, alors qu’il n’est pas en odeur de sainteté au Golf Drouot, le rocker était venu poser devant la salle pour des photographes, le poing levé en guise de protestation. Les purs et dursapprécièrent cette fidélité aux valeurs contestataires portées par cette musique que Le Figaro considérait comme dépravée et sauvage ! N’empêche que les chapelles anti-yéyé, garantes de l’âme du rock’n’roll vacillèrent peu à peu. Plus de concerts agités avec sièges brisés, coups de poing faciles et « minettes » en folie… On se rangea d’autant plus que Dick et Eddy allèrent faire cavalier seul abandonnant leurs « chats » et leurs « chaussettes » pour filer vers des horizons musicaux plus ou moins fidèles à leur parcours d’origine. Ils eurent des chemins différents mais seul Eddy deviendra une valeur durable de la chanson française ayant résisté aux modes ou s’étant adapté aux airs du temps. Dick ne fit que des sorties sporadiques d’estime !
Considéré comme un esthète, un puriste, un dinosaure il ne reviendra jamais dans les pas des géants des années 60 ayant traversé parfois des périodes de disette avant de retrouver le chemin du succès. Il en gardera une certaine amertume. Il restera dans l’ombre de ceux qui ne furent jamais ses « amis ». Jamais le chanteur des « Chats sauvages » ne reniera pourtant ses passions d’antan. Avec « Maman n’aime pas ma musique » (1975) ou « Nice, baie des Anges » (1984), il assumera son vrai amour du rock des années 1950 qui disait-il a disparu « le jour où Elvis Presley est parti à l’armée ».
Il l’emporte aussi avec lui, sans obsèques nationales bien de mes souvenirs d’adolescent liés à « Be bop a lula » ou « Jailhouse rock »… il y a des moments ainsi où l’on sent que le temps passe plus vite que l’on fait semblant de le croire à un certain âge ! « Dans ma caisse américaine, je suis le plus fort. Toujours un peu voyou, un peu rock, je ne peux plus sortir dehors. Toutes les filles ramassent mes chewing-gums pour leurs livres d’or Et si les gens m’appellent l’idole des jeunes Ils n’ont pas vraiment tort. Mais dites-moi pourquoi Maman n’aime pas ma musique ! Oh ! Dites-moi pourquoi Maman n’aime pas ma musique ! » Nous Dick on t’a aimé ne serait-ce que pour ta fidélité à ce en quoi tu croyais
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Souvenirs, souvenirs… Comme le temps passe. Au revoir Dick