Mes grands-parents, mon père, mon
oncle, ma tante et maintenant ma mère ont quitté le monde dans
lequel ils étaient enracinés. Il était très limité ! Sadirac
pays des cruches et des pots dont ils connaissaient tous la terre
ingrate pour les cultures mais féconde pour les potiers. Avec eux,
ils ont emporté inexorablement près d’un siècle de souvenirs
d’un parcours villageois que les générations actuelles ne peuvent
pas seulement imaginer. Ils ont laissé un trou dans le sol, celui de
leurs racines qui les avaient nourris et faits grandir. Celles des
« Darmian » allaient loin, très loin, là-bas dans la
plaine du Po près de Vérone. Avec plus ou moins de difficultés ils
avaient maintenu justement un lien entre leur terre d’adoption et
celle qui les avaient accueillis. Désormais, avec leur disparition,
les mailles du filet des origines se sont élargies et nous aurons
beaucoup de mal au fil du temps à ne pas y laisser passer le vent de
l’oubli. Et pourtant ! Jamais avec mon frère nous n’avons
eu autant envie de garder en nous ce suc précieux des racines.
Dans
la période actuelle, avec ses positions indignes sur les migrants ou
sur les réfugiés il faudrait que toutes celles et tous ceux qui
ont, directement ou indirectement, n’aient pas peur de clamer leur
appartenance à cette immigration consentie qui a fait la France.
Arrivés, sans papiers ni titre de séjour en France en 1922 soit il
y a 97 ans, Silvio et Pasqua Darmian ressemblaient étrangement à
ceux qui cherchent actuellement une autre vie dans notre pays.
L’oublier c’est se condamner à mourir de froid dans une société
recroquevillée sur ses peurs et ses croyances d’un autre âge mais
éternelles dans l’esprit malsain des Hommes. Nous affirmons, avec
nos enfants et nos petits-enfants, que notre chance c’est justement
de pourvoir faire référence à un parcours très répandu que
certains s’efforcent de nier, de dissimuler ou d’exorciser comme
s’il s’agissait d’une tare indélébile d’être issu d’une
immigration qui fut aussi discutée que celle de notre époque.
Nous
allons donc, pas assez souvent à mon gré, avec un plaisir immodéré
sur les traces italiennes de cette famille arrivée dans la région
de Vérone pour une première étape ancienne sur le chemin de
l’intégration. Souvent il y a un brin d’étonnement de la part
de nos interlocuteurs qui voient dans la terminologie « ian »
une origine arménienne à notre famille. Or le patronyme est persan
(1) ce qui signifie qu’après le départ de mon fils pour le Canada
nous en serions à une troisième étape de l’immigration !
C’est dire combien la théorie totalement démagogique d’une
France « aux ancêtres gaulois » me sort par les yeux !
Même parmi les Gaulois, les origines tribales n’étaient pas
identiques…
Chez parfois la tentation de Vérone, celle qui me donne l’espoir de me désintoxiquer de ce débat débile sur ce que doit être une « identité nationale » me conduit justement à aller respirer l’air de la région de celles et ceux qui ne sont pas tous des descendants de Romains ! Les cris odieux des groupuscules rassemblés dans des manifestations anti-migrants m’affolent et finissent comme les gaz inodores du monoxyde de carbone par m’asphyxier! Le climat devient irrespirable dans notre terre des droits de l’Homme et du Citoyen remplacés par la Bible, le Coran, la Thora, le programme simplificateur du RN ou je ne sais quel bréviaire sectaire. Je sais pertinemment que l’air de l’Italie du nord n’est pas si pur et respirable que ça. Il y a aussi de rudes relents de racisme dans la plaine du Po… comme ailleurs dans toutes cette Europe qui a toujours craint les envahisseurs mais qui ne s’est jamais gêné pour aller coloniser les autres continents !
Même si le mot me déplaît j’ai parfois besoins de m’offrir un « pèlerinage » laïque avec l’espoir secret de retrouver, malgré tout, les derniers fils du cocon des origines. La vox-populi intoxiquée par les miasmes du marécage des idées toutes faites voudrait que l’appartenance à une nation entraîne la disparition des liens avec ses origines (langue, culture, traditions) alors que nous souhaitons justement le contraire : ne jamais les perdre de vue afin d’en transmettre durant encore quelque temps, une partie ou une trace. Ce n’est pas une tache facile mais nous nous sommes certains que, faute de savoir d’où ils viennent nos petits-enfants perdront une vraie part de leur identité. Et ce n’est pas en tentant de la convaincre que leurs ancêtres étaient Gaulois qu’on les enrichira culturellement et socialement.
Nos parents ont été (à moitié) macaronis ou ritals selon les circonstances… Ils sont devenus, eux qui appartenait au 500 000 immigrés italiens arrivés sans papiers et parfois victimes de la ghettoïsation en 1921-22, de bons Français par naturalisation familiale en 1936 soit il y a presque jour pour jour 83 ans… Silvio et Pasqua ont attendu 15 ans pour obtenir cette parution au journal officiel d’une République qu’ils avaient préférée à celle de Mussolini.
C’est leur patience, leur abnégation, leur envie de se construire une autre vie, ailleurs, autrement qui nous ont toujours inspirés dans nos « presque » 7 décennies de parcours aussi rectilignes que possible au cours duquel nous avons butiné les valeurs qui furent les leurs et qui sont les nôtres. L’oublier serait les renier ! L’oublier serait se renier. Hier soir, à Créon lors de l’ouverture du festival franco-italien de cinéma les cours, les statistiques, les analyses m’ont convaincu que l’immigration n’a de poids et de consistance que pour celles et ceux qui en ont partagé les réalités quotidiennes. Le reste n’a vraiment aucun intérêt…
(1) Darmian (Perse): شهرستان درمیان) est un comté dans la province du Sud Khorassan en Iran dont la capitale est Asadiyeh.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
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Il n’est pas besoin d’arriver d’un pays éloigné pour être un étranger.
On peut toujours être un étranger pour « l’autre ».
La phobie anti migrant et anti étranger se trouve aussi, larvée, au sein même de notre pays. Une partie de mes ancêtres, d’origine « arverne », sinon gauloise, ne fut pas accueillis à bras ouverts en débarquant en Charente, vers la fin du XIX éme siècle.
Moi même, au cours de mes vagabondages et pérégrinations professionnelles (accord de proximité…), j’ai parfois senti cette défiance à mon arrivée dans un village.
Bien qu’originaire de la région, et peut être par mes racines, depuis bien plus longtemps que certains habitants, parlant aussi le patois local, pour eux, j’étais quand même un étranger. Et parfois on me le faisait sentir, parfois avec orgueil .
Le bon Georges a su décrire très bien cette fierté mal placée.
https://youtu.be/mMKtC40NB-E
Erratum : lire , « ne fut pas accueilliE », au lieu de « ne fut pas accueillis »
Corrado Gini est l’inventeur de l’indice de Gini, c’est un statisticien italien. En temps que minuscule statisticienne, cet indice n’offre pas un monde meilleur, il classe les pays et bien entendu les individus également de 0 à 1 selon les inégalités des revenus comme les régions de l’ensemble de l’Europe en ont été ainsi.
Il pourrait être plus sérieux de s’inspirer de l’économie marxiste et de sa philosophie en partie car tout n’est pas réalisable.
Il faut bloquer le capitalisme comme le propose Paul Jorion.