Mon camarade récemment disparu Guy Georges ancien secrétaire général de l’ex-Syndicat National des Instituteurs et porteur du projet de « l’école fondamentale » avait une formule simple qui résumait parfaitement ce que je pense de l’école actuelle « un enfant nul, ça n’existe pas !». Et pourtant combien de fois ai-je entendu, dans ma carrière d’instituteur, ce jugement péremptoire ! Il est même devenu très à la mode puisqu’on est passé du singulier…au pluriel avec une nouvelle synthèse : « ils (elles) sont nul(le)s ! J’en peux plus !» Il faut bien se rendre à l’évidence, il y a dans une société normalisée dans tous les domaines, des « maîtres étalonneurs » qui jaugent et malheureusement jugent des élèves sur la base d’échecs répétés face à des obstacles trop hauts ou mal placés pour eux. Il faut reconnaître que dans tous les secteurs de la vie sociale on assiste de plus en plus à une montée en puissance du regard négatif porté sur l’individu réputé « anormal ». Les handicapés n’échappent pas à ce phénomène alors que l’on parle sans cesse comme solution miracle d’une école, au sens large du terme, inclusive… ce serait parfait si elle était autre que ce qu’elle est !
En lançant un appel à projet autour du thème « l’un… l’autre » dans les établissements d’accueil de personnes de tous âges en situation de handicap le conseil départemental de la Gironde a souhaité justement démontrer qu’il ne doit pas y avoir en ce monde formaté de frontières permettant de déterminer la « réussite ». L’objectif de permettre à des adultes handicapés de se retrouver pour construire une œuvre commune nécessitant un vrai travail pluridisciplinaire se révèle extrêmement ambitieux. Y ajouter une communication hors des murs habituels, vers tous les publics, constitue une gageure supplémentaire que se sont donnés en Entre-Deux-Mers les porteuses de l’idée de faire monter sur scène des gens peu habitués à sortir de leurs habitudes et souvent recroquevillés sur eux-mêmes depuis des années.
Sur des scénarios entièrement créés et écrits par eux, avec l’aide de Nelly Amar (animatrice de troupe de théâtre en Creuse) et Fabienne Idar (directrice de l’association créonnaise Kaléidoscope) ils effectuent depuis des semaines une « tournée » de présentation de leurs deux « piécettes » théâtrales fruits d’un long travail entamé depuis de longs mois. Extraordinaire moment où personnels d’encadrement ou soignant, actrices ou acteurs venus de 3 établissements différents fédérés par l’envie de construire une œuvre solidaire se retrouvent pour communiquer aux autres dans le sens le plus large une rafraîchissante envie d’offrir le meilleur d’eux-mêmes. Des uns aux autres sans filtre ! Point de scène prestigieuse, point de technique ravageuse, point de mise en scène ésotérique : le plaisir brut de réussir à sortir de la « prison » consciente ou inconsciente de son handicap. Que d’efforts, que de trac voire d’angoisse, que de naturel dans ces histoires construites autour de la défense d’un ours et d’un enlèvement conduisant à l’amour imprévu ! Deux saynètes magiquement révélatrices de leurs perceptions de la vie des autres.
Après une heure de dépassement de soi, toutes et tous laissent percer leur immense joie d’avoir réussi en ayant vécu cette terrible peur de ne pas pouvoir être à la hauteur de leurs espoirs. Émouvant, prenant, attachant, interpellant, ce spectacle ne peut pas laisser indifférent quand on est attentif à ce que la pratique culturelle apporte dans la vie quotidienne d’absolument tout un chacun. En l’occurrence c’est dans ce cas puissance dix ! Mémoriser des textes (coordination des dialogues), porter une gestuelle inhabituelle (danse), décliner une chanson ou avouer à travers un choix de personnage son ambition cachée ne sont rendus possibles que par le talent de Nelly Amar dans la création de masques style comedia del arte. Dissimulés derrière ces superbes « artifices » les comédien(ne)s parviennent à libérer leur peur initiale de l’échec. Une part de leurs rêves d’évasion traverse les récits puisque rien ne les empêche de devenir chanteuse, policier d’élite, sorcière, pirate, mannequin, chasseur repenti, coiffeuse ou princesse potentielle… Personne n’en perd pour autant sa personnalité et la réalité de handicap !
La patience, la force de conviction et la passion pour les autres de toute une équipe a permis à ces femmes et ces hommes de tous les âges de se prouver d’abord à eux-mêmes, puis aux autres, leur capacité à exister hors de la quotidienneté, hors de leurs fragilités personnelles. C’est une preuve qu’il est toujours possible, avec de la bienveillance, de donner une chance à chacun(e) de démontrer qu’il a en lui des talents cachés ou insoupçonnés. « J’avais jamais encore vu mon fils aussi heureux de rejoindre son foyer pour cette aventure ! Rien n’avait réussi jusqu’à présent à l’intéresser… » m’expliquait la mère du « mousse » tombant amoureux de la princesse. C’était certainement le plus beau compliment qui puisse être adressé à cette opération d’une grande humanité puisque permettant une « inclusion » sociale par la création, la rencontre et le partage. Personne n’est nul ! Personne ne pas partager une réussite. Au contraire tout le monde a en lui, un savoir-être à sa mesure. « L’un… l’autre ! » : un échange d’une brûlante actualité dans bien des domaines.
(1) Cette création soutenue par le conseil départemental et la Fondation SNCF sera présentée (entrée gratuite) le jeudi 8 mars à 19 h dans les locaux de la ludothèque de Créon puis dans un IME à La Souterraine avant un plateau télé sur France 3 Limousin
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Dans le même état d’esprit, à signaler : LE FESTIVAL DE L’IMPRÉVU, début septembre à Montembœuf en Charente.
Sous le patronage du consulat de Groland, des troupes d’amateurs venant de divers établissement accueillant des handicapés, proposent des spectacles en alternance avec des artistes connus, exemple : Fatals Picards, Chicago Blues, Thomas Fersen etc…
Ce festival a un succès considérable.
Magnifique ce projet.
Il y a 10 ans environs dans le cadre de la fête des moulins j’ai participé avec d’autres au spectacle du moulin de Perissac (le moulin de la chataigniere),
La veille nous avons réservé et offert une soirée aux enfants handicapés d’un institut de Libourne. Je retrouve ici un peu de cette chaleur humaine qui aide à les autres à se reconstruire. Il est vrai que cette fête à rassembler beaucoup de spectateurs parce que nous avons joué à guichets fermés.
Important que les handicapés soient mélangés à ceux qui croient ne pas l’ être. En dehors de l’ appréhension légitime qu’ ils peuvent avoir face aux barrières et aux règles qui les écartent, il n’ y a rien de tel pour heurter un handicapé que de lui faire des facilités, des « cadeaux ». Les « cadeaux », c’ est la condescendance. C’ est humiliant et n’ a pas plus de prises que l’ anguille. Déjà qu’ il n’ a pas toujours son intégrité physique, le handicapé souhaite vivre avec son intégrité morale. Les actions qui sont décrites ici me semblent positives mais attention au vocabulaire…
@jj lalanne, oui je comprends votre raisonnement. Est ce que présenter un spectacle réalisé par des handicapés, ou présenter un spectacle à des handicapés est condescendant ?
Le spectacle n’ est pas condescendant en soi mais « présenter à », ça, ça l’ est. Pour avoir été entraîneur et ami, pendant nombre d’ années, d’ un champion du monde handicapé, décédé juste avant des JO qu’ il aurait dominé largement, je sais ce qui choque. Ce qui ne veut pas dire que l’ on ne peut rien faire mais il faut le faire de manière égalitaire et ne pas oublier que les mots ont un sens. Entre un « handicapé » et un « valide », l’ handicapé n’ est pas toujours celui que l’ on croit. D’ ailleurs mon ami concourait en catégorie handicapé aux championnats du monde ou JO parce qu’ il y était obligé mais dans toutes les autres compétitions, il concourait en catégorie « normale », ne voulant pas être victime d’ un distinguo.
@J.J. Lalanne :Important que les handicapés soient mélangés à « » »ceux qui croient ne pas l’ être » » »
Elle est là la question : qui donc peut prétendre qu’il n’est pas, d’une façon ou d’une autre, handicapé ?
Tout dépend de ce que l’on met dans le mot.
En cherchant bien, honnêtement, chacun de nous peut se découvrir un handicap.