Désormais les rayons dédiés à la rentrée scolaire ressemblent à une fourmilière un lendemain de pluie avec des mamans affairées qui vont d’une étagère à l’autre, liste en main, pour dénicher les objets indispensables à leur progéniture. Cette période est en effet celle des investissements dans le matériel destiné à favoriser la réussite tant espérée des écoliers. Les bonnes résolutions s’inscrivent en pensées sur les pages blanches de cahiers, sur celles colorées des agendas ou sur les recharges encore vierges des classeurs. Le meilleur moment de l’année se situe justement dans ces instants où on effectue des choix très inspirés par la pressing du marketing car on se promet intérieurement de faire mieux que l’an passé. En fait la synthèse de ces sentiments s’effectue dans le cartable. Ce mot désuet a perdu bien de sa symbolique puisqu’il est remplacé par des sacs à dos monumentaux ou sur des valises sur roulettes. Les temps ont changé et à l’époque du numérique triomphant les écoliers ou les collégiens se trimbalent des kilos de savoir théorique cumulés comme si cette densité reflétait le sérieux des études.
Le cartable en cuir soigneusement entretenu au cirage par une mère soucieuse de la bonne présentation de sa progéniture ou en carton bouilli pour les moins fortunés, n’a vraiment plus la côte. Manquant de volume et d’originalité il est devenu un un objet pour le musée de cette communale dans laquelle on se distinguait par ses résultats mais pas nécessairement par ses choix vestimentaires ou matériels. Bizarre de constater qu’il fut une époque où les têtes étaient certainement plus pleines que les « serviettes » faisant l’aller-retour entre l’école et la maison.
Le cartable contenait les fameux cahiers du jour à faire signer chaque…fin de semaine par les deux parents ou ceux dits de compositions pour les contrôles avec notes, moyenne et classement. Ah ! Quel bonheur d’offrir de bonnes appréciations ou quelle peur de devoir avouer des faiblesses caractérisées…gardées au frais dans ce havre provisoire de paix familiale. Il arrivait aussi souvent qu’il abrite des sacs de billes, des bateaux sculptés dans des écorces de pin, des cordes à sauter ou des frondes interdites quand ce n’était pas la serviette de table, la fiole de vin pour la cantine ou le « chouane » acheté en passant chez le boulanger. Garde-manger, garde- savoir, garde-confidence, garde-jeux, cache aux trésors dérisoires, le cartable d’antan avait une véritable valeur. Le plus précieux accompagnait l’entrée au cours préparatoire avec son fameux livre de lecture syllabique. Il y avait une véritable fierté chez le petit qui passait chez les grands !
Sur les rayons des supermarchés il existe encore des cartables décorés des grandes vedettes des dessins animés ou des séries enfantines standardisés démontrant que les marchands sont dans le temple scolaire. Ces signes extérieurs de la loi du marché ne préoccupent guère une société du mimétisme organisé. Peu importe le prix il faut que le fiston ou fifille aient un matériel Dora, Spider man, Batman, Barbie ou Reine des neiges car c’est n’en doutez pas un facteur important de sa réussite. Il pourra y ranger son téléphone mobile devant assurer sa sécurité, sa tablette avec quelques jeux vidéos et peut-être des Pokémons virtuels. Il y trouvera sa barre chocolatée pour couper sa faim quelques temps avant d’aller au restaurant scolaire où forcément le menu du jour ne conviendra guère. Il ne ramènera plus de carnets de notes puisqu’elles seront au collège consultables sur internet et qu’elles ont disparu à l’école élémentaire. Le cartable servira à déplacer d’énormes classeurs ou cahiers bourrés de feuilles photocopiées destinés à éviter la perte de temps de l’écriture. L’essentiel devient dès le plus jeune âge l’avoir plutôt que l’être. On va commencer à avoir cependant un peu peur de cette rentrée qui approche même si l’envie de retrouver les copines et les copains titille un peu quelques esprits saturés de sermons des grands-parents sur l’utilité de l’école. On a oublié dans un coin de la chambre ce cartable contenant un vrai sentiment d’échec ou on va songer à garnir celui qui porte la réussite. Il ressortira inexorablement de l’oubli estival !
Les premiers d’entre eux, le plus souvent fabriqués par les parents ou un artisan du village, avaient la forme d’une musette ou d’une gibecière, imitant donc les sacs à gibier des chasseurs. Portés en bandoulière, ils laissaient les mains libres pour jouer. Au début du XIXe siècle, ils furent fabriqués simplement avec de la toile éventuellement renforcée par du carton ou du cuir, parfois brodée au point de croix par la mère de famille. On pouvait le trouver aussi en cuir, avec des poches doubles se rabattant en portefeuille, et d’une solidité permettant son utilisation successive par plusieurs enfants. Désormais les consommateurs d’école veulent du neuf, de l’éphémère, du clinquant… et si elle ne le permet pas c’est forcément de la faute à l’aménagement du temps scolaire ou à la méthode d’apprentissage de la lecture !
Jean-Marie Darmian
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