La fonte des glaces constitue un vrai débat sur la planète. Désormais considérée comme inexorable elle va avoir des conséquences sur tous les étés de la fin de ce siècle. Recul des côtes océanes avec disparition de certaines îles jugées paradisiaques, changement de nature du peuplement des mers et surtout des zones de vie de bien de ses animaux, réchauffement général des eaux… les éléments naturels négatifs se déchaînent. Pourtant depuis des siècles des tonnes de glaces disparaissent, englouties par des gens alléchés par un rafraîchissement de plus en plus sophistiqués. Ce constat n’inquiète personne. Bien au contraire. Il y a même des gens que cette perspective réjouit passablement surtout au bord des plages ou aux terrasses des cafés. Pour leur chiffre d’affaires le phénomène devient même parfois décisif et ils guettent avec angoisse les évolutions météorologiques !
Bien avant l’arrivée des réfrigérateurs et autres congélateurs la période estivale constituait une vraie manne pour les glaciers. Pas forcément ceux qui parfument leur fabrication mais ces gens qui distribuaient des pains sur les camping, dans les restaurants ou sur les fêtes. Avec un pic d’un coup sec il taillait sur mesures une portion de leur parallélépipède rafraîchissant afin de satisfaire les demandes individuelles. A l’origine ce commerce avait des origines absolument naturelles puisque aux temps chauds les marchands après avoir récolté de blocs de glace d’origine naturelle à la surface des étangs et des cours d’eau gelés et l’avoir stockée dans des glacières aménagées dans le sol gelé avant de la livrer par bateaux ou par trains dans le monde entier.
Désormais les livreurs de glaces ne vont que dans les criées, les poissonniers et peut-être quelques autres professionnels soucieux de la qualité de leurs produits. Et par ailleurs l’évolution des glaçons, tous artificiels, a nettement évolué. Pas question dans mettre dans un verre de rosé ou de vin blanc (on prétend qu’il y aurait des anglo-saxons qui les plongent dans leur vin rouge) mais ils sont acceptables avec bon nombre d’apéros lors des soirées de partage de l’euphorie estivale. Les habitués des pince-fesses disent même prendre un « drink on the rocks ! » ce qui donnent de la classe à de vulgaires bouts de glaces !
La fonte prématurée des glaces existe aussi dans tous les lieux spécialisés ou généralistes liés à la restauration. Les habitudes sont millénaires voire séculaires avec une démocratisation incontestable de la production de desserts glacés. Les sorbets glacés étaient en effet déjà connus des Perses. Les Romains et les Grecs fabriquaient des recettes avec du miel et des jus de fruits refroidis dans des trous remplis de neige ce qui limitait quand même les utilisations estivales. On doit le lancement de ces production à base de fruits à Marco Polo revenant de la Chine qui au XIIIe siècle. Il rapporta une recette avec un ruissellement réfrigérant d’un mélange d’eau et de salpêtre sur le récipient contenant la préparation. Les glaces ont d’abord été réservées aux tables royales et papales, mais à la fin du XIXe siècle, des marchands de glaces déambulaient déjà dans les rues des cités, avec un succès jamais démenti. Désormais c’est sur les plages que de vaillants vendeurs lancent leur slogan autour des marques phares de crème glacée dans la fournaise ambiante. Ils vantent les mérites d’esquimaux surdimensionnés ou de cônes mirifiques… car le cornet à deux boules n’a plus la cote.
Celui qui offrait ce fameux choix entre une savant assemblage de parfums. Les hésitations devant la liste traduisaient simplement un plaisir anticipé du gamin ne pouvant se résoudre à éliminer les plus exotiques ou les plus colorés. Désormais le dilemme s’aggrave puisque les fabricants rivalisent d’imagination pour éviter que le quatuor vanille, chocolat, fraise, pistache soit le seul possible comme ce fut le cas durant les années d’après guerre. Il n’y a plus de limite aux ingrédients souvent totalement artificiels mais qui rappellent aux consommateurs des goûts standardisés : malabar, chamallows, crème brûlée, marron glacé, tiramisu… et bien d’autres du même type ! Rien de bien sincère dans tout ça et pas toujours de raisons de fondre de plaisir. Les sorbets offrent à cet égard par la modestie de leur texture des garanties plus fortes de qualité. Ils n’attirent plus les générations actuelles qui se ruent sur de gigantesques pots de crèmes glacées qu’ils engloutissent avec avidité.
Cette propension à la glace déformante démontre que la consommation s’américanise comme dans bien d’autres domaines de la nourriture. La finesse et l’authenticité se payent maintenant à prix fort chez des spécialistes. De quoi mettre les boules… à ceux qui ont encore en mémoire l’immense plaisir éprouvé dans leur enfance à s’en mettre plein le cornet de fraîcheur aromatisée avec des parfums naturels !
Jean-Marie Darmian
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