La liberté d’expression devient une valeur en danger dans un monde où à force de la rendre possible sur des supports incontrôlables elle permet de plus en plus tous les abus. Elle reste indiscutable mais ne cesse pourtant d’être remis en cause sur la bases de principes fallacieux. Elle est parfois insupportable quand elle apporte des éléments contraires aux autres valeurs républicaines. Elle pose de plus en plus de problème dans le cadre des nouvelles formes technologiques d’expression car elle repose sur l’anonymat. Le fléau de la société moderne réside dans cette dissimulation possible de toutes les formes d’expression visant les personnes ou les événements.
« Les faits sont sacrés les commentaires sont libres » affirmait fièrement un panneau dans le hall du quotidien régional Sud-Ouest dans son ancien siège de la rue de Cheverus à Bordeaux. C’est un principe de grande qualité intellectuelle mais qui est totalement dépassé…tant la réalité est différente. On accorde en effet de moins en moins de place aux « faits » dans leur caractère brut et aussi proche que possible de leur vérité pour laisser libre cours affirme-t-on à l’interactivité des commentaires.
Or jamais la rumeur, la désinformation, la calomnie, l’approximation n’ont été aussi présentes dans le quotidien de la vie sociale. Pas un instant sur les réseaux sociaux, sans qu’apparaissent des affirmations péremptoires érigées en informations essentielles tant sur le fond que dans leur forme. Aucune référence, aucune preuve, aucune justification mais n’empêche que le mal court à une allure vertigineuse. La preuve ? Il arrive des milliers de fois que des sites ou des blogs satiriques ou purement fantaisistes voient leur pastiches repris avec véhémence par des lectrices ou des lecteurs persuadés qu’ils ont découverte la perle rare ou l’exclusivité qui les rendra célèbres… Il leur arrive de même de voir leur publication démultipliée tous azimuts ! Désormais quelques médias ont même institué des rubriques quotidiennes de « vrai » ou de « faux » pour tenter disent-ils de « décrypter » les affirmations des femmes et des hommes politiques ! Signe des temps et d’une époque de manipulations constantes.
Il y a toujours eu depuis que la presse existe une place accordée aux « commentaires » que l’on a appelé le « courrier des lecteurs ». J’ai en mémoire des lettres écrites avec pleins et déliés, avec une orthographe impeccable qui parvenaient dans la rédaction pour dénoncer vigoureusement une erreur, une faute, une présentation discutable d’une information. Des morceaux d’anthologie souvent acerbes, rarement compatissants mais qui devaient être signés et identifiables pour être lus et éventuellement publiés…Une vérification était opérée et il m’est arrivé si le numéro de téléphone avait été donné d’appeler l’auteur du pamphlet ou de la « leçon » argumentée. Une autre époque puisque maintenant une insulte laconique, un propos raciste, une remarque déplacée ou sans rapport avec le sujet trouvent leur place au bas d’un article ou d’un reportage. A tel point que des « régulateurs », des « modérateurs » ont été mis en place pour tenter de juguler les abus de la « liberté d’expression ».
Bild en Allemagne, La Voix du Nord, Nord-Littoral, France 3 récemment à propos de la mort d’un migrant à Calais…ont violemment dénoncé des commentaires racistes, honteux, fascistes… Ces derniers mois, de nombreux médias ont exprimé leur colère face à cette haine déversée notamment sur Facebook où rien n’est filtré avant parution. Face à ce sentiment d’impunité donné par l’anonymat de fait de certains internautes derrière leur clavier les esprits les plus malsains déversent des propos condamnables par une loi dans les faits inapplicable. La négation de l’humanisme. La fin de toute retenue. La virulence de la haine gratuite.
« A notre tour, nous disons que Facebook doit trouver, avec les médias, une solution efficace pour bannir de son réseau les personnes capables d’écrire quotidiennement, sous divers pseudonymes, des commentaires stupides et haineux. A notre tour, nous appelons les utilisateurs de Facebook, à exprimer massivement aussi leur dégoût face à ces commentaires. A notre tour, nous disons notre détermination à tout faire pour préserver Facebook comme un lieu de débat intéressant, enrichissant et qui permet à chacun d’exprimer son point de vue. Nous ne cachons pas les problèmes, n’évitons pas les questions sensibles ou les polémiques, ne censurons pas la colère, l’incompréhension ou les ras-le-bol… Mais, il y a des limites. » explique à juste titre sur son site France 3 Nord Pas de Calais ! Un vœu pieux car rien ne peut être fait pour endiguer ces déchaînements répétés. Le détournement des profils, la tentation du buzz, la célébrité acquise par l’extrémisme sommaire, la perte des repères du vivre ensemble désacralisent les faits et trahissent en permanence la liberté que l’on doit aux commentaires…
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Tout ça rappelle, surmultiplié, un « heureux temps » où l’on pouvait sans prendre de risque, grâce à un courrier signé « un bon citoyen partisan de l’ordre », dénoncer son voisin qui écoutait la B B C, ou Radio Moscou, ou bien mangeait du jambon, ou bien simplement avait une tête qui ne vous revenait pas entre autres chefs d’accusation.
D’ailleurs la conjoncture politique et sociale porte à craindre lamentablement le retour de ces temps honnis.