Pour moi s’il est une œuvre intemporelle, pouvant être lue par n’importe quelle personne habitée par le doute à n’importe quel moment c’est bien « Le Candide » de Voltaire. On y trouve une analyse extrêmement fine de tous les maux et les vices éternels de l’humanité : rapports à la religion, à la guerre, à l’amour, à l’économie, à l’action, à la politique. A chaque page à travers les états d’âme, les passions, les renoncements, les émois, les naïvetés, les angoisses, les espoirs, les lâchetés de Candide on trouve exactement tous les aspects de notre monde réputé moderne. Ce livre devrait figurer dans les ouvrages essentiels que tout (e) lycéen(ne) devait avoir lu et surtout avoir commenté. Une bonne part de ma pensée a été portée par des pans entiers de ce que Voltaire a transcrit dans ce bouquin à la fois succinct et intense, faussement humoristique et vraiment philosophique. Pas une femme ou un homme engagé dans la vie sociale devrait se référer sans cesse aux leçons de Pangloss ou aux réactions de Candide car il apprendrait la modestie et l’humanisme. L’histoire de Candide, qui correspond à la pleine maturité psychologique et littéraire de Voltaire me touche encore plus maintenant que lors de ma jeunesse. L’auteur a la soixantaine bien sonnée quand il écrit ce « conte ».
Le monde d’alors et identique à celui de maintenant, c’est à dire secoué par l’instabilité et diverses crises se manifestant dans les événements internationaux et rien ne permet déjà d’espérer que la raison l’emporte sur les tenants des apparences et de la croyance fanatisée.
Au cours de son voyage Candide traverse la vraie vie. La description réaliste du tremblement de terre de Lisbonne s’apparente aux images venues du Tibet. La cruauté des combats entre les Bulgares et les Abares appartient à la période actuelle. Le mépris des « grands » pour des milliers de morts inutiles comme on l’a vu entre 1914 et 1918, entre 1939 et 1945, comme on le voit en Syrie ou ailleurs se résume dans l’expression terrible de « boucherie héroïque » mêlant la réalité horrible et l’héroïsme prestigieux. On massacre dans ces guerres des civils et les plus faibles en sont les principales victimes puisque les soldats savent eux se protéger. Que se passe-t-il en Irak ? En Syrie ? Au Yemen ? Il ne s’agit plus depuis la guerre au Vietnam de champs de batailles mais de massacres indistincts de femmes, d’enfants sous le regard passif de vieillards de la pensée même pas révoltés par ces comportements. Difficile de ne pas penser que plus de 2 siècles avant notre époque, les « Lumières » n’avaient pas envisagé les déviances intangibles de l’âme humaine et que rien ne serait vraiment facile « dans le meilleur des mondes possibles ».
Mais incontestablement la formule que je préfère c’est celle de la fin du livre : « cultiver son jardin ! ». Il y a d’abord une manière simple de s’approprier ce conseil en plongeant ses mains dans « les » terres, celles différentes sur la planète mais qui peuvent encore produire.
Le jardin au sens le plus restreint du terme devient vite un royaume philosophique où l’on apprend les échecs douloureux, les réussites simples, la patience, la méthode dans un travail nécessairement basé sur l’espoir d’un jour où l’on récoltera. C’est le paradis du repos du « politique » car il y devient modeste ! « Bècher », gratter, semer, planter, surveiller, préserver un pot de géraniums ou un semis de carottes procurent les mêmes sensations : on se sent ailleurs, déconnecté du temps et surtout important car on assume une vraie responsabilité. « Cultiver son jardin » c’est s’insérer, retourner vers le concept du lendemain qui chante. Jamais Voltaire et par son intermédiaire Candide n’ont ramené la célèbre formule à cette activité précieuse pour l’équilibre du « jardinage ». En fait celui qui sait cultiver un potager, une jardinière ou un simple pot de fleurs s’il le fait avec amour et volonté de réussir trouve forcément le chemin de la réussite.
En acceptant que notre monde n’est certainement pas « le meilleur des mondes possible », Voltaire suggère que l’humanité devrait s’occuper des activités quotidiennes plutôt que de ruminer sur des sujets immatérielles. Face à un tel monde, qui est très loin d’une utopie, l’homme doit limiter ses désirs à un bonheur relatif qui se trouve dans un travail satisfait. Un travail satisfaisant et satisfait : le bonheur auquel des millions de personnes n’ont plus accès ! Un mythe !
C’est peut-être égoïste de se contenter à chaque instant de « cultiver son jardin » et de le faire uniquement pour son plaisir. Se poser, réfléchir, donner du temps au temps selon une autre formule célèbre ouvrent des horizons inespérés, ceux où on voit que les réussites les plus simples ne sont jamais loin de sa main. Il suffit parfois d’être contraint de rompre avec l’idée que l’on est indispensable pour se muer en Candide. Le derviche, lui dit ce qu’il ne faut pas faire, c’est-à-dire il ne faut pas trop parler ni avoir des idées prédéterminées, mais s’efforcer de garder un esprit vierge. Pourvu qu’ils aient apporté Candide dans leurs bagages avec eux au Congrès socialiste de Poitiers !
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MERCI !
superbe! et merci