La période est propice aux prédictions et aux prévisions. Les unes sont très aléatoires, les autres reposent davantage sur des études permettant d’échafauder une vision aussi précise que possible de l’avenir. Il me faut donc me plier à la tradition. Et puisque mon goût personnel ne me prédispose pas aux tarots, à la boule de cristal, à la cartomancie, à la numérologie ou à la lecture dans les viscères des poulets je vais prévoir en 2015 une aggravation profonde des inégalités dans tous les secteurs : économie, éducation, citoyenneté, environnement, social… Une sorte de dérive des classes sociales va s’accentuer de manière dangereuse pour le démocratie et le gouvernement obnubilé par la recherche de la croissance et les économies budgétaires ne va en rien freiner ce phénomène déjà largement engagé mais sur des bases volontaires par le gouvernement de droite de Fillon. En 2014 on a déjà atteint le point de non retour rapide avec un écart considérable entre les privilégiés du système financier et les naufragés de ce même fonctionnement.
Au cours des 12 mois écoulé l’expression « crise plus durable que prévue » a été utilisé par le gouvernement. Il s’est en effet aperçu (un peu tard!) que l’état dans lequel il était arrivé aux affaires était beaucoup plus catastrophique. Par vanité sûrement ou par soumission aux diktats européens les conseillers de Hollande n’ont jamais pris la dimension réelle de ce qui attendait un pays qui ressemblait à ces bateaux piloté dangereusement et inconsidérément vers les récifs. Le quinquennat aura été dans cette optique une erreur à mettre au passif de la Gauche car il empêche toute réforme dans les 3 dernières années sauf à ce que celui qui les mène se suicide électoralement. Le temps des campagnes est devenu tellement long avec les primaires préalables que dès le lendemain de son arrivée à l’Élysée le Président doit penser à sa réélection. Alors la « crise » a bon dos ! En effet elle n’a jamais été la même pour chaque strate sociale et la gangrène des inégalités a rongé les certitudes des classes sites moyennes et a totalement détruit la confiance des plus faibles.
Ainsi c’est renforcer cette « crise de confiance » que de rappeler que depuis 2009 la hausse des dividendes atteint… 60 % (70 % aux États-Unis, 136 % pour les BRICS, et seulement 22 % pour l’Europe) alors que la pauvreté a augmenté sur le même rythme. D’ailleurs, le record est tombé : cette année, les 1 200 plus grandes entreprises mondiales ont distribué un peu moins de 1 200 milliards de dollars (980 milliards d’euros), soit 133 milliards de plus qu’en 2013. Mention spéciale aux heureux détenteurs d’actions de la finance (57 milliards d’euros au troisième trimestre 2014), de l’énergie (35 milliards d’euros) ou des télécommunications (19,6 milliards d’euros).
Tout n’est pas perdu pour tout le monde puisque selon une étude réalisée par Bain & Company et par Fondazione Altagamma, le marché mondial des voitures de luxe devrait croître de 10 % sur l’ensemble de l’année. Les ventes sur ce segment enregistrent des taux de croissance élevés particulièrement dans les pays en voie de développement. En 2014, le chiffre d’affaires par exemple sur le segment des voitures de luxe devrait donc croître plus rapidement que celui du marché des produits de luxe (tous produits confondus), qui devrait augmenter de 2 %, à 223 milliards d’euros. Les inégalités se creusent et l’opinion publique sent que les sacrifices ne sont pas les mêmes pour tous grâce aux astuces fiscales, aux tripatouillages bancaires, aux chantages de tous ordres à l’égard de l’emploi et aux campagnes poujadistes sur le niveau des charges déconnectées de leur signification de solidarité nationale.
Même l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), pourtant très penchée vers la culture libérale, dénonce cette réalité dans un rapport paru le 9 décembre dernier. Pour ses experts les inégalités se creusent trop. « Jamais en trente ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé », y est-il écrit et on peut rajouter que s’ils s’accroît en 2015 on reviendra inévitablement à une remise à l’honneur de la fameuse lute des classes enterrées un peu prématurément par le PS. Dans l’étude il est noté que le revenu des 10 % les plus riches est aujourd’hui 9,5 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres : ce rapport était de 1 à 7 dans les années 1980. Surtout, l’organisation d’études économiques s’affole car le rapport établit que ces inégalités ont coûté… 8,5 points de PIB sur 25 ans.
On y lit aussi « Ce n’est pas uniquement la pauvreté ou le revenu des 10 % de la population au bas de l’échelle qui inhibe la croissance. Les pouvoirs publics doivent se préoccuper plus généralement du sort des 40 % les plus défavorisés. (…) Lutter contre les inégalités par l’impôt et les transferts ne nuit pas à la croissance. ». Dommage que ce rapport ne soit jamais arrivé à Bercy ou qu’il ait été enterré car non-conforme à la théorie de « l’offre et de la demande » et de la croissance qui sauvera le pays ! La vérité c’est qu’en 2015 on va fabriquer encore plus d’inégalité ce qui d’une manière ou d’une autre pèsera sur la fraternité mise à mal par les rivalités faciles autour de l’immigration (« ils viennent manger le pain des Français ») et sur la liberté inexistante dans une société où l’agent est la clé de l’acte de la consommation supposée libératrice.
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