Les cérémonies du 11 novembre sont derrière nous. La France a davantage partagé qu’elle ne l’a fait au cours du dernier demi-siècle l’armistice mettant un terme à une guerre dont en fait on célébrait le centenaire du début. De multiples initiatives toutes plus émouvantes les unes que les autres ont permis à des écoliers, des enseignants, des militants associatifs, des citoyens de tous les âges et des élus locaux de se retrouver autour d’une minute de silence. Ils sont venus beaucoup plus nombreux qu’à l’accoutumée pour rendre hommage à ceux qui avaient courageusement défendu la Patrie. En fait souvent il n’a été question que des « morts pour la France » comme si l’on pouvait occulter que la très grande majorité n’avait pas eu d’autre choix que celui de « partir » de force au combat ! On les présente tous comme des héros ayant volontairement donné leur vie pour la défense d’un pays qui n’avait pas prêté grand intérêt à leur vie jusqu’au moment de la mobilisation. Il existe un mythe sur cette volonté individuelle qui aurait poussé ces agriculteurs, ces instituteurs, ces ouvriers, ces artisans, ces commerçants, ces cadres, ces fonctionnaires à monter à l’assaut sous les balles ennemies, dans le fracas des bombes et les gaz destructeurs. Il n’y a pas d’hommes, dans un état normal, pouvant spontanément aller vers la mort avec enthousiasme et envie.
Durant toute la journée on a « idéalisé » la guerre on l’a rendue juste, nécessaire et libératoire et pas un seul instant on a fait référence à celles et ceux qui de toutes leurs forces, de tout leur être avaient lutté afin qu’elle n’ait pas lieu. Tout a été construit pour légitimer la pression sociale exercée sur des gens ne pouvant pas y échapper.
Quels ont été réellement en 1914 les plus courageux ? Qui a porté le plus haut les valeurs de l’humanité ? Qui a témoigné de la plus grande intelligence ? On n’a même pas parlé un seul instant dans les discours de ces femmes et de ces hommes au moins aussi braves que bien d’autres qui ont fait appel, avant juillet 1914 à la raison, à la tolérance, à la fraternité quand d’autres faisaient commerce de l’instinct, de la haine, de la violence ! Être « pacifiste » dans n’importe quelle société exige une volonté de fer et une solidité et eux mériteraient justement d’avoir aussi quelque part leur « soldat inconnu » pour être morts sans avoir été entendus et encore moins écoutés. A l’instar de Jean Jaurés ils sont en effet aussi morts pour une « autre » France, celle qui n’aurait pas fait couler le sang de ses fils et fait pleurer toutes les larmes du corps des femmes.
Quelles images garde-t-on en général du début de la Grande Guerre ? À coup sûr, celle de la paix assassinée avec Jaurès, mais aussi l’illusion tenace d’un départ pour le front enthousiaste, « la fleur au fusil ». De ce mythe de la guerre fraîche et joyeuse, il y a longtemps que des études historiques ont fait justice. Elles montrent pour le cas de la France – mais sans doute est-il généralisable – une opinion publique d’abord abasourdie, catastrophée devant la mobilisation puis, au bout de quelques heures, grave et résolue dans la conviction qu’il fallait répondre à l’agression et défendre la patrie en danger. Puis lentement la peur s’est installé sous l’effet des journaux et des va-t-en-guerre présentant les « pacifiques » comme des traîtres ou des lâches. Que personne ne se berce 100 ans plus tard d’illusions : le clivage reste le même !
Que représentaient donc les pacifismes dans la France d’avant-1914 ? Un pacifisme bourgeois Le mot « pacifisme » était revendiqué dans le milieu assez élitiste des ligues de paix qui réclamaient l’organisation du droit international et le règlement des conflits par des procédures d’arbitrage. Ils existent encore en 2014 mais ils sont ridiculisés en permanence par les violations ostentatoires des règles par des gouvernants avides de pouvoirs étendus Ces idées étaient relayées au sein du Parti radical par des personnalités comme Léon Bourgeois, qui avait représenté la France aux conférences de la paix de La Haye, en 1899 et 1907, Ferdinand Buisson, qui présidait en 1914 la Ligue des droits de l’homme et la Ligue de l’enseignement, ou Joseph Caillaux, qui avait négocié en 1911 avec l’Allemagne sur le Maroc et avait participé en 1913 à la campagne contre la prolongation à trois ans du service militaire. La même année le sénateur d’Estournelles de Constant avait tenté de rapprocher les parlementaires français et allemands. ils auraient pu, eux-aussi, avoir leur documentaire
Tous ont échoué, tous se sont battus contre une opinion dominante sommaire et ont fini par être submergé par les rivalités de gens qui selon un constat célèbre de Paul Valéry font de la guerre « un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » L’Histoire les a oubliés car ils avaient perdu le jour de la déclaration de la guerre et personne ne leur a dressé un seul monument pour avoir eu raison avant les autres sans pouvoir convaincre ! C’est leur tort comme c’est toujours le tort de celle ou celui qui croît dans le pouvoir des valeurs plus dans celui des armes.
NDLR : ci-dessus le seul monument aux morts pacifiste de France !
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Pour une autre interprétation des causes de la guerre de 1914/1918 :
http://www.legrandsoir.info/les-causes-de-la-premiere-guerre-mondiale-le-partage-du-monde-et-la-peur-du-mouvement-social.html
Ce qui m’a le plus bouleversé dans toutes les images d’archives que l’on nous a montré, c’est elle de ces combattants qui, dès le cessez le feu sonné, sont sortis des tranchées pour fraterniser, amis ou ennemis, toutes nationalités confondues.
Une belle mais terrible illustration de ta citation de Paul Valéry.
Et du même, et aussi célèbre : Nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles… »
Des monuments pacifistes il y en a relativement beaucoup, en plus de celui de Gentioux, le plus célèbre. Celui de Joyeuse en Ardèche est très poignant également. Celui d’Angoulême, sans être très engagé, ne présente aucun attribut guerrier, seulement trois femmes recueillies : la mère, l’épouse, la fille….
Il ya un article à ce sujet sur Wikipédia.
L’école de Jules Ferry a largement contribué au formatage des enfants . Ils furent préparés de longue date à servir la soif de guerre de nationalistes et les intérêts de puissants bien à l’abri de l’horreur .
De nos jours , le formatage à l’idéologie libérale est confié à la sphère politico-médiatique qui loue les vertus de la concurrence entre les peuples. Si la manipulation des esprits a préparé la boucherie de 14-18, celle qui sévit depuis une quarantaine d’années a préparé à l’acceptation d’un modèle économique qui avantage un petit nombre au détriment de milliers de gens. Les écarts se creusent car le partage des richesses n’est pas au rendez vous d’un idéal commun . Cette guerre économique ne compte pas ceux qui tombent . Les journalistes qui donnent la leçon au bon peuple sont une version moderne de « hussards noirs » du libéralisme, Rien n’a changé dans le fond.