Je n’ai personnellement jamais osé faire cirer mes chaussures par une autre personne que moi-même. Même si dans certains pays d’Amérique du Sud ou d’Afrique où m’ont parfois conduit mes voyages personnels ou « officiels », mes accompagnateurs m’ont expliqué que ce « petit » boulot permettait à des braves gens de survivre je n’ai pas pu franchir le pas. Une sorte de gêne m’envahit à la seule idée que quelqu’un puisse se mettre à mes pieds pour que mes chaussures reflètent les rayons du soleil. C’est sûrement une lointaine conséquence de mes origines voulant que mon grand-père immigré italien sans papier ait longtemps porté le statut peu enviable de « domestique agricole ». Une référence à ces « gens de maison » qui devaient se plier en permanence au bon vouloir des « maîtres » et être au service de leurs besoins dont celui du paraître ! Le hobereau sommeille encore dans bien des esprits surtout quand ils ont réussi dans n’importe quel domaine! Après le « décrotteur », (petit métier appelé aussi « frotteur » ou « encaustiqueur »), qui brossait les bas, décrottait les chaussures et faisait briller les boucles de souliers il y a eu de nombreux enfants « cireur ». Une idée insupportable pour moi !
J’ai en effet aussi en mémoire mes débuts à l’internat de l’école normale d’instituteurs de la Gironde quand je fus informé que j’aurais à participer à la vie collective comme « responsable balayeur » de la…cordonnerie ! Nous avions en effet des « corvées » quotidiennes destinées à nous faire prendre conscience de la nécessaire solidarité…puisque tous les soirs nous devions mettre les feutres pour aller dans les chambres et surtout tous les matins se pencher sur la brillance de nos chaussures dans un local du sous-sol du château de Bourran ! Dans la longue liste des objets nécessaires à notre vie en collectivité figurait le « nécessaire » pour le nettoyage et l’entretien des souliers ! Une manière comme une autre de nous apprendre la modestie et surtout de nous inculquer la notion de responsabilité personnelle en matière d’apparence vis à vis des élèves.
Il nous reste en commun de ce passage à l’EN des années 60 cette fameuse phrase lancée d’une voix énergique roulant les « r » par le directeur à l’encontre d’un camarade fantasque et rebelle : « Alors mon garrrçon, votre conduite est aussi rrrreluisante que vos chaussurrrrres ! » . Ernest Monlau était intransigeant avec tout ce qui pouvait refléter la négligence, le laisser-aller et il tenait farouchement par son action à ce que nous restions humbles, modestes, rigoureux dans le quotidien. Pour lui, le fait de cirer ses chaussures restait un acte symbolique d’un comportement au double aspect : s’astreindre à donner l’exemple et ensuite ne pas laisser à un autre le soin de prendre en charge les tâches ordinaires. Résultat : un demi-siècle plus tard personne n’a le soin d’étendre du cirage sur mes pompes et il me serait insupportable que je paie un « cireur » pour accomplir ce geste que je juge (sûrement à tort) comme relevant de ma seule responsabilité ! Et pourtant, beaucoup y voient justement le fondement de leur supériorité ou de leur pouvoir. Envisager de se faire cirer les pompes (dans tous les sens du terme) m’est insupportable mais il faut reconnaître que d’autres acceptent volontiers cette marque d’allégeance. Supériorité financière, supériorité sociale, supériorité intellectuelle, supériorité ethnique : c’est toujours malsain dans notre société mais c’est conforme aux usages dans d’autres et dès que l’on est sorti des frontières le naturel revient au galop !
Lorsque j’étais journaliste, j’avais décidé de me glisser dans la peau de métiers particuliers. C’est ainsi qu’un matin avec un petit banc emprunté à ma mère, ma boîte d’entretien des chaussures gardée de l’école normale, je me suis installé place Saint Projet à Bordeaux. J’avais façonné un panonceau avec une mention dont je conserve le souvenir : « Faites cirer vos chaussures ! J’ai besoin de gagner ma vie ! ». Le but était de savoir comment ce comporteraient les passants devant un « cireur de chaussures » installé sur un trottoir en France ! Dans la peau de celui qui doit faire briller les godasses d’un autre, on se ne se sent pas très bien (surtout en public) et il y a 30 ans, dans un contexte où les apparences comptaient moins que maintenant je n’eus aucun client. Je n’ai donc jamais eu à exercer mes talents de cireur de pompes dans ces circonstances alors que comme journaliste ce fut plus fréquent ! J’ai conservé le « papier » (comme des centaines d’autres) car l’expérience m’avait marqué et j’avais eu bien du mal à oublier ces heures passées à espérer du boulot avec les yeux rivés sur des pieds !
Je n’ai probablement rien compris à l’évolution sociale ! Je n’ai certainement pas mesuré le retour en force du culte des apparences. Je n’ai pas compris qu’à l’élégance de l’esprit à succédé celle des godasses. Je suis dépassé quand je lis que la démission d’Aquilino Morelle, le conseiller de François Hollande, est notamment entachée par le scandale d’un cireur de chaussures qui venait à l’Elysée. Ce dernier, David Ysebaert a d’ailleurs précisé qu’il n’était pas cireur de chaussures mais de « soulier »… ce qui change tout ! Et d’ailleurs il n’a pas à se justifier ! Cravates, barbe bien taillée et sourire sont de rigueur il paraît pour ce nouveau service très convoité par les hommes. Selon Sophie Viot Coster, créatrice du concept « Les cireurs » «notre clientèle rassemble 75% d’hommes qui viennent se faire cirer les chaussures pendant que leurs femmes font les magasins ». Dont acte. Ernest Monlau revenez vite !
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
S’il n’y avait que le cirage de pompes … même avec François, nous sommes bien mal « barrés » et nous sommes revenus au temps de copains et des coquins .. de plus, la promo « hollande » à l’ENA a généré des autistes qui sont totalement déconnectés de la réalité ..
Beaucoup d’amertume …
Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé, ils m’ont porté de l’école à la guerre
J’ai traversé sur mes souliers ferrés, le monde et sa misère
Moi, mes souliers ont passé dans les prés, moi, mes souliers ont piétiné la lune
Puis mes souliers ont couché chez les fées, et fait danser plus d’une
Sur mes souliers y’a de l’eau des rochers, d’la boue des champs et des fleurs de femmes
J’peux dire qu’ils ont respecté le curé, l’pays, l’bon Dieu et l’âme.
S’ils ont marché pour trouver l’débouché, s’ils ont traîné de village en village
Suis pas rendu plus loin qu’à mon lever, mais devenu plus sage
Tous les souliers qui bougent dans les cités, souliers de gueux et souliers de reines
Un jour cesseront d’user les planchers, peut-être cette semaine
Non, mes souliers n’ont pas foulé Athènes, moi, mes souliers ont préférés les plaines
Quand mes souliers iront dans les musées, ce s’ra pour s’y, s’y accrocher
Au paradis paraît-il, mes amis, c’est pas la place pour les souliers vernis
Dépêchez-vous de salir vos souliers, si vous voulez être pardonnés
Si vous voulez être pardonnés
Paroles et musique : Félix Leclerc
Je n’envisageai pas que ma modeste expérience puisse un jour apparaître en gros titres et qui plus est sur internet dont nous n’avions pas encore entendu parler
Quel retour en arrière et que de bons souvenirs Merci Aquilino ou plutôt Merci mon ami Jean Marie
Un clin d’oeil de Bourran et du Benz!!
Mais les pompes c’est au « c** » qu’on va leur mettre à ces traîtres (et je tiens à ce mot).
Quand les médias n’ont guère autre chose, pour ajouter à leur brouet que des histoires de cireurs de souliers (puisque souliers il y a) il faut qu’ils soient en rupture de stock au niveau d’arguments volant au raz du sol.
Ou l’art de monter des chaussures en épingle….
Pour le reste, je suis complètement en accord avec toi, Jean Marie.
J’ai souvenir de l’arrivée du « patron » en classe, tirant sur le haut du col roulé d’un élève, pour vérifier si il avait bien sa cravate….
Quant au port de la barbe, un seul exemplaire était autorisé par promotion.