Il est fait de plastique blanc, dur comme le métal avec deux ventricules. Le prototype de 900 grammes, trois fois plus lourd qu’un cœur humain, est compatible avec 70% des thorax d’hommes et 25% de ceux des femmes. Il reproduit la physiologie de l’organe normal avec ses battements et différents rythmes, à l’aide de moto-pompes. Bourré d’électronique, il fonctionne à l’aide de piles stockées dans une ceinture et reliées à un câble dirigé vers le cœur au niveau de l’oreille. Grâce à un système électronique embarqué extrêmement sophistiqué, ce cœur artificiel est capable d’accélérer et décélérer en fonction des besoins de l’organisme et de son activité. Nous voici donc entrés dans l’ère de l’homme bionique. Il est certain que cette grande première de la chirurgie va vite soulever des polémiques d’ordre moral.
Les religieux de tous bords si prompts à condamner tout ce qui ne correspond pas au principe de la passivité vis à vis de ce qu’ils appellent « la volonté de dieu » vont monter vite protester. Il n’y a pas pires ennemis du progrès que ces gens pour lesquels la fatalité tient lieu de dogme absolu. Toutes les initiatives visant à libérer l’homme de sa dépendance à l’égard de la mort sont condamnées. Et il faut s’attendre à ce que l’artificialité d’un cœur face au moins débat. Bertrand Russell dans son livre sur la religion et la science résume ainsi le conflit permanent : « un credo religieux diffère d’une théorie scientifique en ce qu’il prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire […]. La tournure d’esprit scientifique est circonspecte et tâtonnante; elle ne s’imagine pas qu’elle connaît toute la vérité, ni même que son savoir le plus sûr est entièrement vrai. Elle sait que toute théorie doit être corrigée tôt ou tard, et que cette correction exige la libre recherche et la libre discussion. »
La preuve ? Il ya déjà un problème : le cœur artificiel continue-t-il de fonctionner en cas de mort du greffé ? Les interrogations existent dans le monde scientifique. « C’est une excellente question »concède le Pr Christian Latrémouille. La définition de la mort, pour l’instant entendue comme un arrêt circulatoire, c’est-à-dire de la circulation du sang dans les veines et les artères, « peut-être changée par cette technologie », explique le chirurgien. Pour lui, on pourrait se tourner vers l’état de mort encéphalique, c’est-à-dire l’état d’absence totale et définitive d’activité cérébrale, utilisé notamment dans le cadre du don d’organe. « Il s’agit des questions d’ordre éthique et sociologiques qui sont pour l’instant encore à l’état de réflexion », explique le praticien qui reconnaît que la machine peut, elle continuer à fonctionner indéfiniment quel que soit l’état du patient. C’est le début d’une polémique car comment pourra-t-on dire désormais qu’une personne a été « rappelée à dieu » tant que son cœur continue à battre ! Tout le vocabulaire français est à modifier tellement on prête des mérites ou des sentiments au muscle cardiaque.
Le porteur de cette formidable prothèse pourra-t-il ainsi affirmer qu’il « a mal au cœur » devant une situation triste ? Aura-t-il donc le « cœur gros » après une déception ? On s’affolera vite si le porteur de cet outil scientifique affirme « avoir mal au cœur ! » selon le sens que l’on donne à cette expression d’autant que ce cœur pourrait être brisé ! Plus question de jouer au « joli cœur » ou de s’offrir un « coup de cœur » ou un « pincement » pour quelqu’un ou quelque chose ! Et alors celui que cet homme ou cette femme portera en lui ne sera en rien « d’artichaut » car çà supposerait une fin rapide ! Quant aux « restos du cœur » ils vont devoir s’adapter afin de recueillir les fonds que requiert leur action. Bref nos affaires de cœur ne seront plus du tout les mêmes et elles prendront une autre tournure avec cette « greffe » scientifique.
Les poètes n’ont plus qu’à bien se tenir et à modifier tous leurs élans sentimentaux. Plus aucun Verlaine ne pourra plus déclamer que « Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone »… D’ailleurs c’est déjà changé ! On ne se préoccupe plus que d’une chose : le profit ! Le cœur artificiel de Carmat pourrait coûter environ 150 000 euros – à peu près le coût d’une transplantation. Il permet cependant d’économiser le prix des traitements immunosuppresseurs (qui évitent le rejet de la greffe), soit environ 20 000 euros par an en moyenne, la vie durant. Le besoin médical est considérable, avec un marché potentiel de plusieurs milliards d’euros. L’action vaut plus de 100 euros aujourd’hui, contre 18 lors de son introduction. Comment est financé le développement de cette création ? Le projet initial a été financé à hauteur de 10 à 15 millions d’euros par EADS, qui détient un tiers du capital. Après sa création, grâce au financement de Truffle Capital, l’entreprise Carmat a levé 16 millions d’euros en 2010 lors de l’introduction en Bourse et 30 millions en 2011, lors d’une augmentation de capital ! « A votre bon cœur messieurs dames ! »
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