Le monde du silence et les pilleurs de troncs

Les prisons naturelles existent sur tous les continents. Elles peuvent être de sable doré, de neige blanche, d’eau bleu sombre ou de roches grises. L’Homme y prend alors sa véritable dimension, celle d’un être minuscule perdu dans une immensité hostile où toutes les autres espèces ont leurs repères et leurs atouts. En entrant dans les profondeurs de la forêt canadienne on baisse la tête comme si, plus on s’éloignait de ce qui doit être la civilisation, plus le contexte devenait angoissant. La sensation d’aller s’exiler hors de toutes les habitudes, les éléments réputés de confort pour retourner à la modestie du dominé, prend le dessus sur la raison. L’inconnu révulse et fait peur puisque, depuis notre plus tendre enfance, les contes que l’on qualifiait souvent abusivement de fées, relatent que, derrière la lisière,  se dissimulent tous les êtres les plus malfaisants. L’immensité des espaces boisés du Québec entretient les mystères de ces textes ou de ces romans d’aventure mettant en scène les loups, les ours, les couguars et tant d’autres ennemis potentiels. Le long de la piste les murailles végétales constituent des murailles angoissantes car impénétrables aux regards les plus aiguisés. Une prison se referme derrière l’intrus, celle de la solitude et de la fragilité. Là-bas quelque part sur les rives d’un lac invisible, se trouve la pourvoirie dans laquelle les gens stressés se retirent pour pêcher, chasser ou marcher. Dans cette sorte d’immense « monastère » avec ses couloirs, ses piliers, ses nefs de feuilles, installé nulle part, on vient renouer avec les instincts humains basiques : cueillir, chasser, pêcher et se prendre pour l’un de ces « coureurs des bois » qui ne sont jamais arrivés au bout de leurs découvertes. La tentation est grande de croire en ses talents d’Amérindien découlant des films consacrés au grand nord.

On finit toujours par arriver au bout d’une piste malaisée sur les rives d’une étendue d’eau miroir paisible, lisse, profonde dans laquelle se reflètent les frondaisons colorées par l’été indien. Le grand silence impressionne. Rien. Pas le moindre bruit naturel. Les oiseaux, sentant venir le froid, ont déployé leurs ailes pour gagner des contrées plus clémentes. Plus de chants, comme si le début de l’endormissement était proche. Le seul ronronnement d’un groupe électrogène témoigne de la nécessité de garder un lien avec les commodités de notre époque. L’écrin de verdure qui orne le lac commence à se sentir des envies de mue colorée. Il lui reste encore quelques jours pour sortir les habits de la fête automnale…et ensuite, on pensera à la fourrure neigeuses d’hermine des jours plus sombres. La pourvoirie respire la pureté absolue, celle de la nature comme on l’aime, paisible, protégée, sensible. Seuls les abats des truites en période de reproduction troublent par leurs sauts de joie ou de frayeur la surface de ce vaste bassin de vie, prouvant que sous la surface on profite du répit de la morte saison. Les moustiques voraces n’ont plus un seul touriste à se mettre sous le rostre piqueur, mais les grilles qui obstruent toutes les ouvertures rappellent que le fléau estival réside dans cette présence massive d’insectes fauves, ravis du départ de ses prédateurs. On en trouve encore quelques spécimens retardés lorsque l’on emprunte l’un des sentiers qui courent sous les conifères. La piste n’a rien de spontané car elle doit son existence au cheminement des randonneurs, avides d’espaces vierges mais respectueux de l’environnement. Il en va tout autrement des exploiteurs de cet or vert qui ont remplacé celui des torrents brassés par les chercheurs de pépites magiques.

Des larges blessures des bulldozers éventrent les lisières. Des enchevêtrements inextricables délaissés, sur des zones entièrement ravagées par des pilleurs de troncs, renforcent cette impression terrible d’assassinat de la forêt. Lardée de coups de couteaux mécanisés, elle va mettre des années à cicatriser. Mais peu importe, sa force est telle que, lentement, les squelettes blancs des arbres dédaignés disparaîtront dans un linceul tissé par les jeunes pousses. La puissance de la flore et de la forêt permet à l’Homme tous les excès. Des camions ramènent vers des usines de pâte à bois des tonnes de ces victimes des nécessités du monde de la consommation. Ils dévorent sans ménagement les pistes pour débouler comme des monstres à la tête rutilante sur les autoroutes pour alimenter ces gouffres insatiables à fibres de bois. On augmente sans cesse les cadences et les tonnages quand ailleurs on tente de préserver la fleur fragile ou les essences rares. Étrange contraste entre l’exploitation et la préservation, dont l’équilibre reste toujours instable. La mer verte du Québec préfère certainement les solitaires aux ravageurs de ses ressources. Elle a bien raison.

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Cette publication a un commentaire

  1. Eric Batistin

    Le pin Douglas, cultivé entre autre en Corrèze, en France, a remplacé tous les hêtres et chênes centenaires. Cet arbre, sous lequel rien ne pousse, est pourtant vanté sans cesse comme bois de construction écologique.

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