La lettre circulaire dactylographiée est datée du 4 décembre 1933. En voici les extraits les plus significatifs que je lis et relis dans les moments où je doute encore du chemin parcouru par une part de ma famille depuis exactement 90 ans :
« Le juge du Tribunal d’instance de Bordeaux, certifie sur le vu des pièces suivantes :
– copie intégrale de l’acte de naissance de l’intéressé
– liste alphabétique des personnes ayant acquis la nationalité française (Tome X page 788)
QUE Monsieur Eugène Auguste DARMIAN (…)
fils de Silvio Darmian
et de Pasqua Scaccetto, son épouse
EST DEVENU FRANÇAIS par effet collectif rattaché à la naturalisation de ses parents par Décret en date du 4 Décembre 1933 N° 12.301.33
Le message est laconique mais j’en mesure, en cette période, l’importance capitale. La naturalisation reste un acte que mes grands parents avaient attendus durant dix ans et qu’ils avaient souhaité pour se construire un avenir au moment où dans le contexte de forte instabilité politique et sociale qui a suivi la Grande Guerre, Mussolini visait la prise du pouvoir, en forçant la main aux institutions avec l’aide des actions de squadristi et l’intimidation qui culminent le 28 octobre 1922 avec la marche sur Rome. Ils étaient partis sans autres papiers que ceux obtenus dans leur village natal de San Stefano di Zimella. Leur valise n’était pas en carton mais elle ne contenait que quelques frusques grises ou noires. Pas le choix : l’espoir n’était plus en Italie ! Ils le savaient puisque les propriétés familiales trop modestes ne souffraient pas un partage en huit ou dix parts et en plus, de retour de la guerre face aux Autrichiens, il fallait se résigner à vivre à nouveau dans la peur.
Le fascisme était installé quand la France accepta de les accueillir. Depuis 10 ans, ils vivaient dans l’attente de cette décision permettant à des macaronis d’accéder à une nationalité plus protectrice, malgré tous les défauts que lui trouvaient les autochtones. Avec leurs 3 enfants, installés dans une propriété agricole comme « domestiques », Silvio et Pasqua purent ensuite aller à la messe dans le village avec une nouvelle fierté. Jamais ils n’oublièrent ce 4 décembre d’il y aura cette année exactement 80 ans.
Mon grand-père ne manqua jamais un seul scrutin et inutile de préciser où allait son cœur chaque fois qu’il eut l’occasion de l’exprimer. Le rituel était le même. Le plus beau costume, le chapeau neuf et sa carte d’électeur en poche, il se présentait devant l’urne avec une fierté intérieure sans modération. Il était FRANCAIS mais jamais, au grand jamais, il n’aurait un seul instant renié ses racines ! Elles résistèrent jusqu’à son dernier souffle et je pense sincèrement qu’elles alimentent encore une part de moi-même. Je me suis toujours demandé ce qui leur serait arrivé avec leur petite famille si, par malheur, leur nom n’avait pas figuré dans le Décret 12.301.33., car un ministre de l’intérieur avait décidé du renvoi sur leur sol d’origine des milliers d’Italiens ! La première vague d’immigrants avait quitté l’Italie entre 1871 et 1900, pour fuir la pauvreté, comme beaucoup d’immigrés africains actuellement. 5 millions d’Italiens immigrèrent dans le Nord de la France et surtout à Marseille, pour y trouver du travail. Cette première vague connut des conditions de vie extrêmement difficiles et la ségrégation dans des ghettos en périphérie des grandes villes comme Paris ou Marseille, sans parler de la promiscuité dans les baraques ouvrières des villes industrielles du Nord ou de l’Est, à l’image du sort de beaucoup d’émigrés africains d’aujourd’hui. Ces travailleurs étaient surexploités, acceptant les tâches les plus rudes et des salaires dérisoires, ce qui ne les mettait pas à l’abri de rixes parfois très violentes avec les ouvriers français. (…) Ce racisme anti-italien atteindra son point culminant avec la tragédie d’Aigues-Mortes, le 17 août 1893, qui vit des altercations entre travailleurs italiens et français dégénérer en véritable émeute, durant laquelle la foule excitée poursuivit les Italiens, armée de fourches et de pioches, provoquant un véritable massacre. C’était donc le bonheur en 1933 quand ils entrèrent dans le giron de la République française sans pour autant effacer les relents de racisme toujours très présents. La naturalisation ne doit pas signifier la standardisation des comportements, des cultures, mais tout simplement constituer une reconnaissance de la capacité du bénéficiaire à construire un projet familial dans le pays qui l’accueille. C’est la naissance d’une famille!
Le nombre d’étrangers ayant acquis la nationalité française est reparti à la hausse avec une augmentation de 14% des naturalisations sur un an, selon le ministère de l’Intérieur. Il s’agit, selon lui, de revenir sur les pratiques du gouvernement précédent, qui avait durci l’accès à la nationalité. Les naturalisations avaient été divisées par deux entre 2010 et 2012 (près de 95.000 décrets en 2010, 46.000 en 2012). Pour les « relancer », Manuel Valls, né en Espagne et naturalisé Français à 20 ans en 1981, avait publié dès octobre 2012 une circulaire assouplissant les critères pour les précaires, les jeunes et les talents, notamment. Ses consignes ont eu leur effet : sur l’ensemble des demandes, 40% obtenaient un avis favorable des préfets en 2011, ce taux est remonté à 61% aujourd’hui… C’est vraiment un ministre de Droite, du moins pour les donneurs de leçon qui ne savent pas ce que représentent humainement ces statistiques !
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Texte extrait d’un discours de monsieur le Maire de Créon
« La mémoire ? C’est savoir simplement que le 8 mai n’a été possible que parce un contingent de 28 000 Indochinois, 8 000 soldats et 20 000 travailleurs est arrivé en France avant 1940 et que l’armée française a mobilise 640 000 coloniaux et Nord-Africains dont 176 000 Algériens, 80 000 Tunisiens, 80 000 Marocains et 180 000 « Sénégalais » (nom générique donné aux soldats de l’Afrique subsaharienne) et Malgaches. S’y sont ajoutées les troupes du Levant (Syrie-Liban) 38 000 hommes, dont 22 000 de troupes régulières (légionnaires, tirailleurs, spahis, méharistes). Il y a eu aussi des unités spécifiques pour d’éventuelles offensives vers les Balkans ou le Caucase. Les effectifs au Levant ont ainsi plus que double pour atteindre 83 000 hommes en mai 1940.
Des « immigrés » bienvenus qui après avoir été exploités pour la richesse des grandes compagnies coloniales ont versé leur sang pour nous défendre et nous permettre désormais d’être au centre de discours haineux et xénophobes ! Sommes nous plus parfaits qu’eux ? »
le discours entier ici
https://jeanmariedarmian.fr/discours-prononce-lors-de-la-commemoration-du-8-mai-a-creon/