Lentement, je m’enfonce dans l’insouciance d’un été que tout le monde trouve trop chaud après avoir gémi sur le fait qu’il était trop froid… Nous vivons dans une société qui a besoin qu’on lui explique par des circulaires que quand on a trop chaud il faut se mettre à l’ombre et que si l’on a soif il vaut mieux boire ! Il est vrai que tout a beaucoup évolué car il fut une époque où le soleil en période estivale était considéré comme un atout pour les foins ou les moissons mais en aucune manière comme un ennemi dévastateur. On allait puiser l’eau fraîche au fond du puits, on s’aspergeait avec une pomme d’arrosoir fixée dans un récipient suspendu ou on se trempait les fesses dans une bassine à confitures usagée… Et le reste du temps, on acceptait la chaleur sans trop barguigner. Point de « clim », point de colonne rafraîchissante, point de brumisateur, mais simplement quelques précautions élémentaires. Les loisirs se résumaient à bien peu de choses, mais tellement précieuses en notre temps qu’elles en deviennent étranges.
Au cœur de l’après-midi, à la fin du passage du jury départemental des villes fleuries, alors que nous évoquions les constats effectués à la terrasse du café proche de la Mairie, un événement exceptionnel a frappé tout le monde : un papillon a traversé l’espace pour aller se poser sur un décor floral. L’effet papillon a été immédiat : le groupe s’est extasié sur ce visiteur du jour ! Incroyable comme réaction quand on se souvient les « chasses » qu’il était possible de faire dans les prés avant le fauchage il y a quelques décennies. Asphyxiés au formol dans une vieille boite à savon de rasage, crucifiés sur un bouchon coupé en deux dans le sens de la hauteur, les lépidoptères finissaient dans une boîte à biscuit reconvertie en collection pour muséum d’histoires réputées naturelles. Qui n’a pas éprouvé une légitime fierté en s’appropriant les vies errantes et virevoltantes d’un « Flambé », d’un « Grand porte-queue », d’un « Vulcain » ou d’un « Paon du jour » pour les figer sur un tableau de chasse estival. Toujours débutée avec enthousiasme, ma collection ne résistait pas aux autres attraits de la vie rurale sans cesse renouvelés. Trop de papillons faisaient que l’intérêt fléchissait, alors que cet après-midi, un seul a mis en émoi des amoureux des parcs et jardins. Imaginez un peu : un simple revenant, vagabondant sur la place de la Prévôté, illustrait à lui seul un espoir de résurrection de l’époque des papillons moqueurs au temps des cerises !
La moitié des papillons des prairies ont en effet disparu en vingt ans en Europe, un déclin qui devrait « déclencher la sonnette d’alarme » sur l’état de la biodiversité, et a alerté l’Agence européenne de l’environnement dans un rapport. L’étude de l’AEE, conduite dans 19 pays du continent européen (la plupart appartenant à l’Union européenne), porte sur l’évolution de 17 espèces de papillons des prairies entre 1990 et 2011 : huit ont décliné, dont l’Argus bleu, deux sont restées stables comme l’Aurore, et une a augmenté, annonce le rapport. Pour huit espèces, comme l’Hespérie du chiendent, la tendance est « incertaine ». Dans quelques années, ils ne seront que dans les cimetières pour lépidoptères des Muséums.
L’agriculture intensive est à l’origine de ce « déclin dramatique », ainsi que l’abandon de terres dans des régions montagneuses, principalement dans le sud et l’ouest de l’Europe; Le rapport suggère de débloquer des aides dans le cadre de la Pac en faveur des pratiques agricoles durables dans les zones à haute valeur naturelle, en plus des programmes de soutien au maintien de la biodiversité. Il s’agirait de s’en apercevoir rapidement, mais… on sait que les grands propriétaires terriens qui inondent encore les espaces cultivés vont rapidement protester. Les papillons ne rapportent rien, ou alors ça se saurait, et les protecteurs de la biodiversité ne sont que des empêcheurs de « profiter » en ronds !
Et le reste de la population n’est guère plus passionné. Il suffit par exemple de ne pas désherber un trottoir ou de laisser pousser l’herbe d’une pelouse de lotissement pour que les reproches pleuvent. « Qu’est-ce qu’on en a à foutre de vos insectes ? Nous voulons des lieux publics propres, sans serpents (sic) et sans bestioles ! » Les mails ou les lettres pleuvent en plein été.
Ce déclin très important des papillons des prairies devrait déclencher la sonnette d’alarme et alarmer tout le monde, mais cet été, la canicule (qui n’en est pas une!) et surtout la venue au monde du rejeton royal anglais occupent tous les esprits. L’été de tous les plaisirs s’écoule lentement mais plus un commerçant ne vend un filet à papillons. L’importance de ces papillons et d’autres insectes, pour la pollinisation qu’ils réalisent est essentielle pour les écosystèmes naturels et l’agriculture, mais que voulez-vous, l’Europe du profit a ses raisons que la raison ignore. Alors, dédions à ces protecteurs du poison contre la vie ces vers de Brassens, un auteur de l’époque où la chasse aux papillons menait au bonheur partagé !
Un bon petit diable à la fleur de l’âge,
La jambe légère et l’œil polisson,
Et la bouche pleine de joyeux ramages,
Allait à la chasse aux papillons.
Comme il atteignait l’orée du village,
Filant sa quenouille, il vit Cendrillon,
Il lui dit: « Bonjour, que Dieu te ménage,
Je t’emmène à la chasse aux papillons. »
Cendrillon, ravie de quitter sa cage,
Met sa robe neuve et ses bottillons;
Et bras dessus bras dessous vers les frais bocages
Ils vont à la chasse aux papillons.
Ils ne savaient pas que, sous les ombrages,
Se cachait l’amour et son aiguillon,
Et qu’il transperçait les cœurs de leur âge,
Les cœurs des chasseurs de papillons.
Quand il se fit tendre, elle lui dit: « Je présage
Que c’est pas dans les plis de mon cotillon,
Ni dans l’échancrure de mon corsage,
Qu’on va-t-a la chasse aux papillons. » (…)
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Une chronique délicieuse et raffraichissante !
Une simple remarque, au temps des cerises, ce n’étaient pas les papillons qui étaient moqueurs…mais plutôt les merles !
« mais plus un commerçant ne vend un filet à papillons. »
Figurez-vous que je viens d’en voir ce soir à Décathlon Bouliac ! Fabriqués en Chine ? ah ! c’est pour chasser les frelons asiatiques…..C’est aussi cela la mondialisation !
Ce matin à Romagne, présence d’une prairie fleurie non naturelle, réalisée par les chasseurs et les agriculteurs.
Je connais un vieux bonhomme, Pierre, qui vient nous voir de temps en temps.
Il aime notre travail, peut-être pas tant ce que nous faisons, mais surtout la façon dont nous le faisons: avec les mains et en prenant le temps qu’il faut.
Nous sommes sculpteurs sur bois.
Pierre était tailleur de pierres.
L’autre matin, cet homme philosophait, je le cite:
« Mais que veux-tu bien faire l’été au bord de la rivière, si à la place d’un couteau toujours dans la poche et prêt à jaillir pour tailler quelque branche, faire un beau bâton ou un bateau d’écorce, que veux-tu bien faire avec un téléphone portable ?! »
Ainsi nous voilà expliqué l’ennui sourd qui étreint nos jeunes, au bord des rivières…
Peut-être un téléphone-couteau serait la solution au désespoir ambiant.
Très joli texte, vive la nature! Merci.
Ils me fatiguent ceux qui passent leur temps à tondre…
je ne peux plus écouter le vol du papillon, des bourdons, des abeilles, et la mélodie de la messange…
Je n’aime pas les maniaques… toujours insatisfaits!
On vit une vie débile. Nous revenons de 15 jours de vacances en Toscane et je me suis surpris à être surpris de voir des papillons. Ils ont effectivement disparu de France et je n’en étais pas conscient. Pauvre de moi, pauvre de nous.