Et si la fête nationale devait être fixée au… 12 juillet !

Il est impossible, pour aucun d’entre nous, d’avoir la certitude d’entrer dans l’Histoire et même d’y participer. Seuls les hasards de la vie, à posteriori, permettent à des anonymes de se rendre compte qu’ils ont contribué, avec leurs moyens et leurs talents , à faire changer le cours du monde. Le propre de l’Histoire, c’est qu’elle ne s’écrit qu’avec la plume trempée dans l’encre du temps. Ainsi, si l’on a retenu la date du 14 juillet pour fêter la prise de la Bastille, il faut savoir que l’essentiel s’était passé le… 12 et le 13 et que les héros avaient été ceux de ces deux jours intenses de contestation de la royauté. Le dimanche 12 juillet 1789, vers 11 heures du matin, une nouvelle se répand dans Paris : le roi a congédié Necker ! Il n’y a pas pourtant France Infos ou BFM télé, mais les nouvelles vont au moins aussi vite, et se transforment rapidement, sous l’influence des commentaires, en vérités vite admises. Aussitôt, le peuple de Paris se mobilise, car le fameux Ministre des finances est bel et bien le seul qui représente, dans l’entourage de Louis XVI, le Tiers État, soit la social-démocratie d’alors. La peur gagne du terrain et les rues commencent à résonner de cris et de contestations. Les défilés ne vont pas encore de la Bastille à la Concorde ou de République à Nation mais ils sont de plus en plus fournis. Des « agitateurs » appellent le peuple à prendre les armes…. et l’été français va prendre forme !
L’un des plus virulents de ces harangueurs des masses populaires n’est autre qu’un jeune avocat de 29 ans nommé Camille Desmoulins. Revenant de Versailles où il participe aux travaux des états généraux réunis par Louis XVI, il se précipite dans le jardin du Palais-Royal, propriété du duc d’Orléans, futur Philippe Égalité. Comme la police n’a pas l’autorisation d’y pénétrer, tous les partisans d’une révolte peuvent s’y retrouver sans craindre l’arrestation. La foule se presse autour de lui pour l’entendre… car à cet époque seul le discours public a valeur d’engagement. Il possède un talent certain et il a la capacité d’enflammer les « troupes » déjà passablement excitées.
Voici la description faite dans Le Point.fr de cette journée du 12 juillet.  Le jeune avocat se hisse sur une table de café pour prendre la parole. Il tient son épée dans une main et son pistolet dans l’autre. Oublié, son bégaiement. Il se lance dans une diatribe qui enflamme la foule. « Citoyens, le renvoi de Necker est le tocsin d’une Saint-Barthélémy des patriotes. Ce soir même, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger ; il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes. » Des centaines de gorges l’acclament, des chapeaux volent. À chacun de brandir une arme. On hurle des menaces. Il reprend la parole : « Quelles couleurs voulez-vous pour nous rallier ? Voulez-vous le vert, couleur de l’espérance, ou le bleu de Cincinnatus, couleur de la liberté d’Amérique et de la démocratie ? » Des milliers de gorges votent en faveur du vert. Camille brandit un ruban vert, qu’il fixe à son chapeau (…)». C’est la première cocarde… écologiste et révolutionnaire. Personne ne songe à prendre la Bastille et à entrer dans l’Histoire. Le geste est au moins aussi courageux que celui des forces qui monteront à l’assaut d’une bâtisse défendue par des invalides. En effet, seuls les militaires ont le droit d’arborer un tel ornement. Une loi datant de 1782 punit sévèrement son port, qui signifie une prise d’armes contre le pouvoir en place. Sortis d’on ne sait où, de multiples rubans verts ornent les chapeaux et ceux qui n’en ont pas décrochent les feuilles des tilleuls de la Place du palais Royal. La journée du 12 juillet a été oubliée dans les manuels d’Histoire, alors que c’est elle qui a enclenché un processus de défi du pouvoir royal. Desmoulins, bien moins connu que Robespierre, Saint-Just, Marat ou Danton… Camille le bègue a été le catalyseur de ce qui allait devenir les journées fondatrices de la révolution.
Sautant par terre, le jeune avocat prend la tête d’un cortège d’insurgés qui remonte les boulevards. C’est l’heure où les spectacles commencent (à l’époque, les théâtres jouent l’après-midi), la foule envahit les salles pour inviter les spectateurs à rallier l’insurrection. Un vrai spectacle de rues…raconté par un témoin de l’époque appartenant certainement au camp royaliste, et surtout des nantis, qui parle « d’hommes en guenilles » sans aller jusqu’à les qualifier, comme le feront d’autres beaucoup plus tard, de « racailles ». « Nous vîmes le long de cette rue plusieurs files de bandits (…), armés de bâtons ferrés, de haches et de quelques fusils et pistolets, qui formaient une espèce de procession tumultueuse et portaient en triomphe deux bustes que je reconnus le premier pour être ceux du duc d’Orléans et de M. Necker. Le tumulte augmentait, les coups de fusil devenaient plus fréquents… Deux hommes viennent en courant dans notre rue et nous crient « gare, fermez vos fenêtres, on pille, on brûle et on s’égorge dans tout Paris. » Est-ce bien différent des descriptions d’une manifestation dans les quotidiens de Droite ? On ne se chamaillait pas encore sur le nombre des manifestants, mais on leur tirait dessus ! Place de la Concorde, le régiment royal allemand (tiens déjà) est bombardé de projectiles par la foule. Vers 19 heures, il reçoit l’ordre de charger pour dégager le jardin des Tuileries.
Un vieillard est légèrement blessé, une jeune femme tombe avant de se relever. Ils sont restés anonymes et jamais personne ne les citera dans la construction de cet épisode violent. Sauf que la « rumeur » parlera d’un « vieillard égorgé ». Encouragés par des agents orléanistes, les émeutiers et la garde française se ruent sur la troupe, l’obligeant à se retirer. Paris est en état d’insurrection et la Bastille attend son heure. Camille Desmoulins ne sait pas et ne saura jamais qu’il sera le premier ferment de la République… Il ne sera jamais cité dans la prise de la Bastille, mal entretenue, mal défendue et surtout plus une prison emblématique de la royauté. Et c’est pourtant le 14 juillet qui restera comme pierre « verte » sur le chemin de la liberté !

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Cet article a 2 commentaires

  1. ouaip

    on ne retient pas généralement le début d’un événement, mais la date de sa conclusion.

  2. J.J.

    Il y avait déjà eu la Journée des Tuiles à Grenoble (8 mai 1788) pour donner un avant goût de ces mouvements populaires.

    Merci Jean Marie de nous avoir donné « cette leçon d’histoire ».
    Je ne connaissais pas les détails de cet épisode et le rôle joué par Camille Desmoulins dans ce départ de la Révolution.

    On a surtout retenu dans les manuels d’histoire les images de la Prise de la Bastille, mais je me souviens que notre instituteur nous tenait en haleine en nous contant « la Grande Peur  » qui avait suivi ces événements.

    Les prétendues nouvelles qui couraient de bouche à oreille étaient déjà aussi contradictoires et fantaisistes que le informations que nous livrent les médias.

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