Je confirme : toute vérité n'est plus bonne à dire !

Doit-on dire la vérité en politique ? C’est un sujet de dissertation pour des étudiants se destinant à l’engagement au service de l’État. Bien évidemment, chaque jour où ils devront passer de la théorie à la pratique, ils constateront que le sujet est moins simple qu’il ne paraît. En effet, si l’on se réfère à Jean Jaurès, la réponse est extrêmement aisée : « le courage c’est de chercher la vérité et de la dire ! » Combien de fois, dans la vie publique, ai-je entendu cette citation dans des discours enflammés, mais je ne suis pas certain que ce soit la manière la plus répandue de gouverner. Au contraire, il me semble que de plus en plus de gens passent leur temps à surveiller les femmes et les hommes politiques pour qu’ils ne nuisent pas à leur image en osant dire ce qu’ils pensent. Tout doit être pesé, aseptisé, mesuré pour ne pas heurter l’opinion dominante, et à force on en arrive à ce que s’installe un mensonge adapté au contexte. On n’est plus au temps de Jaurès, puisque les médias exigent des propos polémiques mais pas nécessairement véritables. L’exagération, les traits forcés, les approximations arrangeantes, les adaptations autour d’éléments de langage suffisent au bonheur des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs. Toute affirmation claire, nette, objective, pédagogique est souvent jugée par les « conseillers » comme pessimiste ou brutale. Il faut dire avec tact et habileté pour devenir sympa, mais en aucune manière afficher une posture directe et précise. C’est une leçon quasiment quotidienne : pour être un élu heureux il vaut mieux être transparent et consensuel ! Toute autre attitude se perd dans un profond silence réprobateur.
Depuis plusieurs décennies, la plus grande habileté consiste à ne plus « informer » mais à « communiquer », ce qui est totalement différent. Il est devenu fondamental d’orienter ce que l’on donne en pâture à l’opinion, avec des choix précis qui servent une image d’Épinal. Toujours inspiré par Pierre Mendès-France, je ne renoncerai jamais à écrire ou à dire ce que je pense, quel qu’en soit le prix à payer ! . Il y a un tout petit peu plus que 60 ans, celui pour lequel j’ai une vraie admiration, accorde un long interview à l’Express, et il lâche cette réponse que l’on devrait envoyer à tous les « grands » de cette France parisienne qui louvoient de plateaux de télé en studios de radio au petit matin. « Certains redoutent qu’un langage loyal et ferme sur la situation présente n’entraîne le découragement. C’est qu’ils n’ont pas foi dans la volonté et dans l’aptitude de la nation à se redresser. Pour eux, la France, épuisée physiquement et nerveusement, est incapable de supporter la vérité. Ils passent pour des optimistes. Ce sont les pires pessimistes, car leur seule perspective c’est une France qui se traînerait interminablement dans l’ornière. Mais la France peut se redresser d’un coup de reins vigoureux. Elle conserve ses chances aux points de vue international, économique, social, pourvu qu’elle soit appelée à organiser le rude et grand effort collectif qui s’impose et qui peut assurer le succès.  Tableau pessimiste, dîtes-vous? Quand les choses vont mal, il ne faut pas hésiter à dire qu’elles ne vont pas bien. Mais il faut chercher et trouver les solutions constructives. Il y en a. Le salut est possible, malgré les erreurs passées. Et ceux qui en sont persuadés – comme je le suis – sont les véritables optimistes.» Avouez que ce type de réponse à une question n’est guère répandue par les temps qui courent, et qu’il y a là matière à affoler tout apôtre de la « communication ». Et pourtant, je revendique au mot près cette affirmation d’une volonté de parler vrai, mais je ne suis pas certain qu’elle plaise à tout le monde !
La France n’aime plus la vérité, surtout quand elle révèle une situation difficile. Alors on travestit tout en évitant de parler de « crise », de « rigueur », « d’austérité », de « solidarité », de « priorités », de « doutes », d’efforts », car ce n’est pas bon pour le moral de ceux qui écoutent ou regardent. On va vers un recueil de mots choisis avec des positions nuancées. On traverse des « turbulences », des « difficultés », des « contraintes », des « incertitudes » et on conserve l’espoir secret que l’on reviendra au bon vieux temps de l’opulence, de la croissance débridée, de l’inflation galopante, de la facilité permanente et plus encore des certitudes rassurantes. Nous vivons quotidiennement sur un oreiller douillet et nous refusons d’entendre, à tous les étages, les chercheurs de vérités. Beaucoup plus que les mensonges, les approximations, les interprétations, les exploitations servent de support à des discours lénifiants. Appeler « un chat un chat » relève de l’imprudence absolue, car il faut masquer, camoufler, atténuer pour être estimé. Je viens encore de mesurer la… vérité de ce constat. Nous surnageons dans une mer réputée d’huile alors que nous sommes de la cale au sommet du mât dans la tempête. Dans le même entretien à l’Express, Pierre Mendès-France répondait à une question sur la responsabilité des échecs en ces termes : « Les hommes en sont responsables, mais aussi les structures politiques, institutionnelles ou morales dans lesquelles ils ont accepté de travailler. Le mauvais partage des tâches entre l’exécutif et le législatif, l’absence de responsabilité (aussi bien politique qu’administrative ou militaire), l’organisation défectueuse du travail gouvernemental, l’affaiblissement de l’État devant les forces économiques et politiques, l’absence de sursaut d’une opinion nationale et parlementaire systématiquement tenue à l’écart des choix essentiels, ont bloqué les rouages du régime. ».
Allez ! ce sont des propos de vieux donneur de leçons, d’instituteur dépassé qui ne vit pas son époque !

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Cet article a 3 commentaires

  1. fourny

    Jean-Marie, je ne peux qu’abonder dans ton sens, si les gens ne sont plus capables d’entendre la vérité, n’est ce pas parce que dans notre société moderne, on ne leur apprend pas?
    C’est une attitude irresponsable, car la vérité je devrai les vérités ne sont pas bonnes à dire, mais pire encore à entendre, mais dramatique à ne pas connaitre.
    Comment peut on concevoir de ne pas connaitre la réalité des choses car la vérité matérielle n’est pas autre?
    Nous nous berçons d’illusions et lorsque nous nous réveillerons, il risque d’être trop tard, nous aurons chuté du lit.
    il faut que notre société forme des citoyens responsables et non pas lobotomisés par des médias soporifiques.
    affronter la réalité c’est être adulte responsable, c’est un comportement citoyen qui ne nous amène à rechercher en l’autre, en l’être providentiel la solution à nos problèmes.
    on sait trop ce que cela donne de laisser la décision et notre pouvoir à des dictateurs.
    être citoyen c’est chercher et trouver la solution à nos problèmes et non pas se comporter comme c’est trop souvent le cas en fataliste.
    car la fatalité n’est inéluctable que si nous la considérons comme telle, prenons en main notre destin et plus rien ne sera fatal.
    Cela ne veut pas dire que ce sera facile, on peut même dire que cela sera difficile mais nos anciens ont connu des situations sans commune mesure avec l’actuelle ce qui ne veut pas dire que cela rend celle-ci acceptable cela veut dire que nous pouvons la changer.
    Pas que pouvoir d’ailleurs nous devons la changer!!!
    c’est notre devoir.

  2. batistin

    Est-ce dire la vérité que d’oublier toujours dans les discours politiques, optimistes, creux ou réalistes, qu’il n’y a qu’une cause à nos problèmes.
    Problème bien posé à moitié résolu.
    Le seul et unique vrai problème c’est l’avidité des entreprises multinationales.
    Une faim immense et jamais rassasiée d’accumuler de l’argent.
    Et derrière ces entreprises, il y a… des hommes !
    Alors à quoi sert-il donc de discourir et de tenter quoi que ce soit, tant que ces hommes là n’auront pas été mis dans l’impossibilité de nuire à la communauté ?
    La vérité, certes cela est bien, mais bien poser le problème est mieux.
    La vérité ne sert à rien, si elle n’est utilisée que pour décrire les belles couleurs d’un ciel enflammé… pendant que tombes des bombes.

  3. batistin

    excusez, « pendant que tombent les bombes »

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