La question essentielle du visiteur du soir

Figurez-vous que dans une journée de permanence avec une bonne dizaine de rendez-vous, la dernière n’a pas intérêt à être très compliquée. Du lierre de la voisine qui franchit le sommet du mur mitoyen et que je dois faire éradiquer, à la déception du responsable de bar musical auquel il faut faire admettre que tous les voisins n’ont pas le sens de la fête, en passant par le cadre malheureux car à la recherche d’un emploi depuis 18 mois, ou les débats sur les élections municipales, on a une vraie diversité des préoccupations sociales. Partout perle la peur de l’autre, l’appréhension de l’avenir, le conflit latent…mais jamais il n’est possible de sortir du cercle fermé du sujet qui préoccupe l’interlocuteur. Or, surprise du jour, au moment de fermer le cahier des entretiens individuels, surgit une personne extra-terrestre. « Je t’ai entendu t’exprimer publiquement sur la citoyenneté lors du festival du Jeune orchestre Symphonique de l’Entre Deux Mers. J’ai été interpellé par tes propos, inhabituels dans les prises de parole des élus. Alors, je ne viens pas te parler de moi, d’un sujet précis. Je n’ai aucune demande à te faire ! je ne viens pas pour autre chose que discuter… ». Surprenant dans une journée d’élu local, d’autant que la suite est de la même veine.
« Je voudrais que tu me parles de ta vision politique ». Alors là, je suis déstabilisé. Que veut-il ? Qu’attend-il ? Un piège ? Une flagornerie. Il poursuit : « Je n’adhère à aucun parti politique, que je considère comme inutiles; par contre, je participe activement à la vie politique. J’écoute. J’échange. Je débats… Et je veux connaître ta vision globale de la politique ». Moins facile que de dialoguer autour d’une demande de logement. Un ratio financier. Une commande de chaises de la salle communale. Jamais je n’avais eu à répondre à pareille question, mais intérieurement, je jubile car ma vraie passion c’est d’expliquer ce que je fais comme un escargot des idées et pas comme un aigle de pouvoir.
Oui, je l’avoue, je suis heureux de pouvoir enfin dialoguer sur ma vision des différents aspects de la gestion d’une collectivité, quand le plus souvent on se contente de m’interroger sur des faits concrets (à 13 h, en traversant le marché, le débat a porté sur un trou dans la chaussée devant un stand !). La citoyenneté commence à partir du moment où l’élu rencontre des personnes comme celle qui me fait face. Oui, j’ai toujours eu, depuis maintenant plus de 40 ans, une vision politique globale qu’il m’a fallu tenter de traduire en « politiques » sectorielles.
Je me lance, en expliquant que « le danger le plus menaçant pour la vie locale, c’est le comportement de consommateurs de services, mais jamais d’acteurs de son quotidien. Il faut donc considérer que l’élu local doit être un animateur, un catalyseur des initiatives citoyennes, un impulseur de projets, un facilitateur pour les gens qui veulent agir…  » A chaque instant, il faut savoir s’effacer pour laisser la place à des porteurs d’avenir collectif ». Tout le système social créonnais porte sur ce partage des responsabilités qui conduit à ce que Créon soit gérée dans les faits par près de 150 responsables associatifs (membres du bureau, domiciliés sur Créon) qui porte 156 emplois et plus de 3,8 millions de budget, soit plus que le budget de la ville en fonctionnement ! Sport, culture, social, loisirs, solidarité : tout appartient à la citoyenneté active, selon des principes énoncés dans la bible du mandat que je lui remets : un « pacte social, citoyen et durable ». Il sert de base à chaque action municipale que je décline par des « valeurs », des « objectifs » et des « principes » pour chaque secteur. Alors que souvent on décrie les décisions erratiques des maires, j’ai tenté de planifier (mot interdit depuis 83), de mettre en cohérence, d’adapter aux réalités, d’amplifier, le concept toujours essentiel pour moi de « l’autogestion ». C’est le mot clé de ma vision politique car c’est la seule solution pour redonner le vrai pouvoir aux citoyens.
Chaque action repose sur cette vision politique : on peut faire confiance aux gens pour gérer la vie collective avec, comme garants de l’efficacité, de l’intérêt collectif, de l’utilité sociale, des élus investis et solidaires sur cette méthode de gestion. Dès l’école, la citoyenneté entre dans les programmes des services périscolaires (livret jeune et citoyen créonnais) et l’entrée dans la vie collective est soutenue par une système des carnets de chèques « Créon + ».
La discussion se poursuit…elle dure. Je ne vois plus le temps passer. Nous évoquons Pierre Rabhi…et le Michel Rocard d’avant 1974. « Bon merci… je vous croiserai à nouveau. A bientôt » me lance le visiteur d’un soir, avant de repartir comme il était venu. Je sais qu’il s’appelle Christian et qu’il est enseignant, il n’habite pas Créon. C’est moi qui le remercie. Sa curiosité m’a fait un bien fou ! Je serais resté durant des heures avec lui…pour oublier le reste !

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Cet article a 2 commentaires

  1. batistin

    Que voici un personnage sympathique ce Christian, est-ce l’ange de la chanson de Nougaro « Plume d’ange » ?!!
    Dans cette chanson, où Nougaro finit à l’asile de fou, ce que bien évidemment je ne vous souhaite pas, monsieur Darmian (!!!), l’ange donne en pleine nuit une de ses plumes au musicien en lui disant ces mots:
    « c’est une plume d’ange, qu’un seul humain te croit et le monde sera sauvé ! ».
    Vous comprenez pourquoi le brave homme finit chez les fous.

    Ce qui me fait toutefois penser à cette chanson, c’est effectivement, comme vous le soulignez, la difficulté d’avoir une vue d’ensemble et de ne pas se perdre au fil des jours dans les circonvolutions techniques.

    Tout est fait pourtant dans notre société pour que nous perdions le sens des choses au profit d’un but à atteindre, je ne citerai en exemple que la rentabilité.
    Mot merveilleux appliqué aux maternités, aux écoles et aux services autrefois publics, la Poste, la gestion de l’eau, la fourniture d’énergie…

    Merci donc à vous monsieur Darmian, je me joins à « Christian », pour vous remercier de n’avoir jamais perdu votre bon sens.

  2. Suzanne MARVIN

    l’Homme a besoin d’être apprécié et reconnu ….la plus petite preuve de reconnaissance suffit à lui donner gôut à la vie ……… quand aux ennemis il doit être impossible de ne pas s’en faire au moins quelques uns au cours d’une vie…….

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