Tous les vrais marathoniens se lançant sur les routes des grandes villes ou d’autres sentes moins prestigieuses le savent bien : le dernier kilomètre est le plus exigeant. Il est beaucoup plus long que les autres et il s’aborde à la fois avec un sentiment de libération et la peur de ne pas pouvoir l’accomplir. Il y a une certaine jubilation à se libérer de ce qui vous pèse, qui vous fait souffrir ou qui vous empêche d’aller vers vos objectifs de manière paisible. C’est dans le fond la rançon des efforts que l’on doit faire sur soi-même pour avancer chaque instant, en dépit des aléas climatiques ou matériels. On ne prend pas la route sans le vouloir mais on ne la quitte pas sans le vouloir. A partir du moment où on a fait la première foulée, les autres s’enchaînent et deviennent des actes libérateurs. On prétend même que lorsque l’on commence à courir, on finit par souffrir de ne pas pouvoir avoir sa dose régulière de kilomètres… Certains prétendent que cette pratique sportive peut tourner à la dépendance similaire à celle d’une drogue et qu’elle serait même parfois dangereuse. En fait, pour avoir été modestement de ces « avaleurs de bitume, je ressens exactement le même sentiment sur les chemins de la vie publique… ce ne sont pas 42 kilomètres que j’ai avalé mais 42 années de ma vie à courir après un idéal, et l’approche de l’arrivée est aussi longue dans les deux situations. J’ai des bleus à l’âme, des ampoules aux pieds, des illusions parties, des muscles tétanisés.
Du bord de la route, si les encouragements nombreux fusent, il y a aussi le regard pesant de celles et ceux qui espèrent l’échec ou au moins une défaillance leur permettant de jubiler autour d’un échec potentiel. Du bord du chemin, avec le sentiment particulier qu’ils auraient fait beaucoup mieux ou que même ils ont fait mieux dans le passé, ils jaugent votre capacité à terminer le parcours. Ils aimeraient bien que personne n’atteignent leur niveau ou simplement que le concurrent qu’ils ont en vue ne puisse pas terminer, épuisé mais satisfait d’avoir relevé un défi. Tous les « anciens » rêvent de se « payer » le marathonien. Ils distillent insidieusement des rumeurs de « dopage » en se fiant à des paramètres de leur époque et, dans le fond, ils tentent de discréditer tous les efforts effectués !
Je suis certain que celles et ceux qui ont un jour participé à un marathon savent ce que je ressens… La solitude du coureur à pied n’est pas une légende et souvent, très souvent, elle existe dans la vie publique. Il ne faut jamais ralentir l’allure, surtout ne jamais arrêter, car on ne retrouve pas sa foulée. Impossible d’aller chercher du soutien des gens qui veulent vous doubler et qui vous oublie au nom du principe égoïste qu’ils veulent simplement démontrer qu’ils sont meilleurs que vous. C’est en vous-même qu’il faut aller chercher les ressources nécessaires pour résister et ne pas offrir la satisfaction du renoncement prématuré ! Que ce soit sur les grandes allées du pouvoir, les routes départementales dégagées, les chemins tortueux de la vie politique, le « coup de pompe » conduit souvent à souhaiter s’asseoir un instant pour regarder courir les autres, surtout celles et ceux qui ne vous veulent que du mal.
La fameuse « tentation de Venise » exprimée par Alain Juppé n’est jamais très loin. Elle est similaire à celle de l’abandon sur une épreuve sportive. Elle rôde dans la tête, et je défie quiconque de prétendre qu’il n’a jamais été tenté de se fondre dans la foule, de pouvoir se débarrasser du dossard collé à votre dos pour poursuivre la route, avec le sentiment de ne pas être toujours une cible. Le problème, c’est que l’on est toujours anonyme quand on part, mais qu’on ne l’est plus au bout de la course. Il devient donc difficile de se retirer sur la pointe des pieds. Revenir dans la diversité confortable du peloton pour ne plus en sortir et laisser aux autres le soin de mener le train, d’avoir des coups de pompe, de trébucher sur les trous du chemins.
C’est durant le dernier kilomètre que l’on doit avoir la plus grande volonté et oublier tout le reste. Facile à écrire mais vraiment épuisant à chaque foulée. Les vrais compagnons de route s’éloignent. Ils sont partis ou ils terminent épuisés eux-aussi. Les vrais ennemis réapparaissent. Ils n’ont jamais pu épuiser leur rancune. Les vrais soutiens disparaissent. Ils pensent que vous n’offrez plus grand intérêt. Les vrais experts se penchent sur votre performance. Ils espèrent pouvoir la démonter. C’est ainsi dans une vie sociale, où on préfère les sprinteurs aux marathoniens… François Hollande n’ayant pas été un grand sportif doit le découvrir chaque jour !
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Je mesure ton amertume. Je suis désolé que tu éprouves aussi vivement l’impression que la solidarité s’amenuise autour de toi. J’espère que tu exagères mais j’ai souvent constaté ta lucidité… Il est vrai que je peux difficilement passer pour un marathonien. Je connais en revanche assez bien les difficultés de la fonction d’élu local et je peux témoigner de leur sincérité et de leur dévouement. Courage!