Sorte de gigantesque bric à brac de l’histoire des Etats-Unis, Fort Rainbow, lieu où l’on se retrouve dans les grands espaces de Cestas près de Bordeaux, mêle les époques, les us et les coutumes, les pratiques quotidiennes stéréotypées, l’habillement, les musiques et les habitats. Aucun respect pour la chronologie avec les indiens, les colons, les GI’s ou les cow-boys, les bons, les méchants, les « ivrognes » et les « sobres », les danseurs infatigables ou les flâneurs blasés. Étrange « brocante » d’un nouveau monde diversifié, constitué de cultures rivales différentes, vénérées par des personnes de tous les âges, heureuses de retomber en enfance. Incontestablement, beaucoup ont rêvé d’une manière ou d’une autre d’entrer dans ces films qui ont peuplé les écrans noirs de leurs nuits blanches. Ils arpentent les chemins qui mènent d’un époque à une autre avec application mais avec très souvent des entorses amusantes à la vérité. Mais peu importe, ils reviennent avec une motivation louable dans leur passé et dans celui de ces générations qui ont participé au mythe américain.
La rue principale du village sort d’un mini-décor hollywoodien. Les bâtiments modèles réduits essentiels de la légende cinématographique s’alignent de chaque côté d’une rue qui aurait dû être poussiéreuse si le ciel n’avait pas fait mauvaise figure. On y cavale avec précaution ou on se penche sur des intérieurs sombres où l’on s’attend à croiser un John Wayne prêt à en découdre avec des individus « patibulaires… mais presque ! ». En fait, dans le local du shérif la porte de la prison reste entrouverte et si les murs regorgent d’affiches prometteuses pour les chasseurs de primes, on sent bien que « c’est pour de rire » comme on disait dans les cours d’école. Les zéros après les chiffres des primes permettent cependant de vérifier que l’Amérique US du profit n’a jamais respecté la vie humaine en lui donnant toujours un prix. Est-ce changé ? D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que la bâtisse contiguë porte sur sa façade le simple mot fétiche du capitalisme naissant « Bank ». Derrière les guichets, des dames méticuleuses collectent les billets contre une monnaie d’intérêt économique limité puisque permettant seulement d’aller dépenser sa mise dans le saloon où se pressent, dans un extraordinaire melting-pot historique, les Iroquois, les GI’s, les dames vertueuses accompagnées de leurs compagnons, une jeune mariée et quelques danseuses aux robes teintées de la boue des sentiers improbables. On y vient boire pour tailler la bavette comme dans tous les bistrots du monde !
On y parle donc fort mais autour des tables rondes, le poker se résume à des échanges verbaux avec une canette de Coca ou d’oasis en mains. Pas de bourbon ou de whisky tord boyaux. Le passant y entre sur la pointe des pieds pour humer, parmi les habitués, le parfum interdit de la débauche ou de la violence. Il s’offre une bière dans un verre en matière plastique que l’on n’imagine pas un instant glisser sur le comptoir de bois brut. Les photos noires et blanches ou sépias, plus ou moins floues, prennent des couleurs dans la salle grâce à des costumes soigneusement dentelés ou décorés. On respire le plaisir de quitter le monde actuel pour, dans le fond, retomber dans celui encore plus incertain et aventureux d’une période où, déjà, la vie n’avait aucune valeur autre que l’espoir que l’on mettait en un avenir personnel ou familial meilleur. On y noyait ses désillusions durables dans l’alcool ou on y fêtait ses réussites provisoires, verre en mains et colt à la ceinture. La lutte pour la survie ne nécessite pas toujours une dose de morale.
Les colons en tenue d’apparat ou en costumes des champs rappellent que tout ce qui s’est fait l’a été au détriment des populations autochtones. Ils ont conquis leur territoire, la liberté que l’Europe leur refusait, la fortune maigre ou opulente, au détriment de ces « indiens » qu’avaient cru identifier les chercheurs d’or pour le compte des banquiers royaux. Ils sont là-bas, au loin, de l’autre côté d’un plan d’eau paisible sous leurs tipis coniques cachant leur précarité. L’obsession du campement provisoire ressemble étrangement à celles des premiers hommes : l’eau et le feu ! Il leur faut déployer des trésors d’ingéniosité et de patience pour éliminer l’une et donner vie à l’autre. On s’aperçoit vite pourquoi dans les cours des « communales » d’antan, les gamins n’aimaient pas trop endosser le rôle des indiens. Simplicité, rusticité, dureté, constituent les références de leur quotidien et de ceux qui avaient une culture reposant sur la terre, le ciel et les éléments naturels. Le progrès matériel est pour leurs voisins, dont les colons avec des tentes ouvertes sur des intérieurs recelant les ustensiles de cuisine en cuivre, les lampes à pétrole, des lits de camp ou des couverts coquets et surtout des poêles plus efficaces pour réchauffer l’atmosphère. La fumée âcre des bois humides sous des marmites joufflues et celle plus aguichante des grillades au centre du tipi envahissent l’air de ce camping d’un autre temps. Quand ils sont en ville, ils croisent sans crainte des sosies de Buffalo Bill, Kid Carson ou du général Grant, ce qui dénote une vraie fraternité des figurants.
Faces peinturlurées, coiffes flamboyantes, crêtes colorées… les tribus se mélangent sur les sentiers d’une guerre qui n’aura pas lieu. Ici, l’essentiel n’est que le retour à la nature avec ses exigences matérielles. On survit à la dure ce qui vaut la curiosité intrusive de visiteurs inévitablement enclins à franchir les limites de la décence et que les occupants tentent d’inciter à plus de respect de l’intimité des acteurs avec des pancartes musclées. C’est vrai que la déambulation est parfois empreinte de voyeurisme, mais c’est tellement tentant de transformer ses souvenirs d’enfance en réalités que l’envie de jouer à son tour aux cow-boys et aux Indiens est plus forte que tout.
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Un peu hors sujet, mais comme vous parlez d’indiens…
Après la tuerie dans une école de Newton au États-Unis en décembre dernier dans laquelle 20 très jeunes enfants et 6 adultes furent abattus de sang froid, les partisans des armes à feu allèrent jusqu’à l’indicible pour défendre le second amendement qui autorise chaque citoyen américain à posséder des armes, Et certains allèrent jusqu’à chercher l’une des pires tragédies indiennes comme justification, le massacre de Wounded Knee.
Le 29 décembre 1890, en plein hiver donc, un camp de Lakotas (Sioux) du clan du chef Big Foot fut encerclé par le 7ème régiment de cavalerie US, celui là même qui, sous le commandement de Custer, avait été décimé quelques années auparavant à Little big Horn, en vue de leur transfert forcé dans une réserve. Les hommes sont emmenés à l’écart pour être désarmés et ne restent au camp que les femmes et les enfants. Les hommes, encerclés par les soldats sont désarmés mais l’un d’eux résiste. Un coup de feu part, on ne sait tiré par qui, et aussitôt c’est la tuerie générale. Les mitrailleuses Hotchkiss de l’armée entrent en action et fauchent les hommes pendant que le village où se trouvent les femmes et les enfants est bombardé au canon. Le bilan de ce massacre fera entre 300 et 350 amérindiens tués, en grande majorité des femmes et des enfants.
La conclusion de ce lobby des armes : c’est parce que l’armée a leur a refusé le bénéfice du second amendement que les indiens ont été tués car s’il avaient gardé leurs armes comme le leur permettait cet amendement, ils auraient pu se défendre.
Jusqu’où peut aller le cynisme…