Le mal est beaucoup plus profond qu'on ne le pense !

Quels sont les repères essentiels de la vie ? Comment mesurer l’évolution réelle d’une société ? Difficile, très difficile de poser un diagnostic certain quand il n’existe pas de référence en la matière. Les vendeurs de vent ont inventé les « sondages » ou les « études d’opinion » qui quantifient des réponses à des questions ficelées pour orienter les choix. Face à cette quête permanente de la vérité réputée mathématique, il existe aussi le flair ou mieux le « pif » qui permet de dénicher dans le quotidien des faits réputés divers et révélateurs d’une forte tendance. Bien évidemment, on ne retrouve ces indices que dans un flot ininterrompu d’informations toutes plus « apprêtées » les unes que les autres, afin de conforter une sensation réputée majoritaire. On donne en pâture au plus grand nombre ce qui conforte la « bonne » pensée. Toutes les autres sont, en revanche, jugées irréalistes, dangereuses ou perverses car culpabilisatrices, dans un monde aseptisé. Et pourtant… la démocratie ne se nourrit que des différences.
Ainsi depuis plusieurs mois on évoque sans arrêt les plans sociaux d’entreprises, les licenciements douloureux dans des grandes entités industrielles ou commerciales. Ils contribuent logiquement à entretenir une angoisse individuelle de l’avenir pour des millions de salariés puisqu’il n’existe aucune assurance pour ce type de situation. Ces gens dans la détresse attendent de la solidarité, du soutien, de la compassion des citoyens, alors que la société ne pense qu’égoïsme, indifférence et profit de consommation. Ils se débattent avec des sociétés anonymes, des actionnaires absents et des patrons aux ordres mais arrivent parfois à espérer car la mobilisation leur donne une lueur d’espoir. Les licenciés de Virgin sont dans cette situation. Ils espéraient avoir plus de repreneurs et à l’arrivée ils n’auront plus aucun espoir réel de se sauver. Seulement deux candidats, Cultura et Vivarte, ont finalement déposé une offre pour une partie des 26 magasins de l’enseigne en redressement judiciaire, alors que cinq groupes s’étaient présentés au premier tour. Le candidat le plus sérieux, le spécialiste de loisirs créatifs Rougier & Plé, a retiré sa proposition qui portait sur 11 magasins et 285 salariés, sur un total de 960. L’enseigne était aussi la seule à vouloir conserver le nom Virgin. C’est fini !
Cultura est finalement le dernier candidat du secteur des produits culturels, souhaitant reprendre deux magasins, à Avignon et Marseille, avec leurs 52 salariés. Le spécialiste de l’habillement et des chaussures Vivarte (André, La Halle, Minelli…) a, lui, jeté son dévolu sur 10 magasins et promet également 173 postes. Aucun candidat, en revanche, pour le lieu symbolique des Champs-Élysées. C’est déjà une terrible désillusion, mais ce n’est rien à côté de ce que les salariés ont ressenti quand leurs magasins ont ouvert pour des liquidations massives… à bas prix ! Ils ont en effet été contraints de brader les produits culturels qui n’intéressaient pas, quelques jours auparavant, la clientèle qui, avec l’appât du gain, a afflué pour « faire des affaires «  et achever le moral des «sacrifiés sur l’autel » de la rentabilité ! Dans Rue 89, on assiste à un récit hallucinant de scènes de « solidarité active » dans cette société vérolée par le pognon. La ruée a été détestable dans ces grandes surfaces où on est venu sans vergogne se goberger sans autre but que de faire du fric sur la détresse des autres. L’agonie attire souvent les vautours. « Certains ont prévu le coup : ils sont venus avec des grands sacs. D’autres ont carrément ramené des valises (…) Comme en témoigne une certaine Emma dans Le Parisien :  C’était la folie. Ça poussait de tous les côtés. Les plus pressés montaient les marches quatre à quatre pour aller dans les rayons hi-fi. Mais il y avait peu d’articles. Du coup, certains clients arrachaient de leur socle les appareils photos ou les tablettes en exposition. Les alarmes retentissaient de toute part (…) Au téléphone, un homme hurle, plié par un rire nerveux : « J’y crois pas, ici c’est l’apocalyyyyypse ! ! ! » Dans un premier temps, les employés trouvent ça hallucinant, positivement parlant. Mais ils vont déchanter très vite. (…) Les consoles Xbox, vendues la veille 250 euros, passent à 175 euros. Prenons-en une, non deux, non trois. Durant l’heure suivant l’ouverture du magasin, les vendeurs, complètement désemparés, sont suivis, pris à partie, traqués, insultés, secoués par des clients devenus fous (…) Certains employés montent sur des tabourets, et hurlent des ordres aux gens afin de contenir, de canaliser la foule en furie. En vain. Des clients leur hurlent dessus, et l’attention sera – semble-t-il – pour qui criera le plus fort (…) Durant les derniers mois, depuis l’annonce de la fermeture de la chaîne Virgin, pas un seul de ces « clients » n’a évidemment levé le petit doigt pour soutenir (de quelque manière que ce soit) les 1 000 salariés, futurs chômeurs dans quelques semaines. Mais lundi, ils étaient pourtant tous là comme par magie, ces clients invisibles, fossoyeurs aux dents acérées. Ils ont soudain retrouvé l’adresse d’un magasin dans lequel, au mieux, ils n’avaient pas mis les pieds depuis des années, ou pire, ne sont jamais allés. Le temps d’une matinée, oubliant Amazon, oubliant « la crise », ils étaient là en chair et en os, en masse, les rats, les nécrophiles, dansant joyeusement sur les cadavres de milliers de salariés, amassant leur « butin »(…) »
C’est ça la situation réelle de cette société du fric et du consumérisme exacerbé, qui crache sur la tombe de la solidarité au nom du profit. Quels faits sont plus parlants, plus révélateurs, plus inquiétants que ceux de ces récits hallucinants de comportements ordinaires de gens probablement ordinaires qui préfèrent piétiner la dignité de femmes et d’hommes humiliés jusqu’au dernier moments sur leur lieu de travail. Et là, difficile de trouver une responsabilité facile des politiques !

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Cet article a 4 commentaires

  1. Marae

    « …Et là, difficile de trouver une responsabilité facile des politiques !  »
    Sauf à les juger avoir été incapables de penser, d’imaginer, préserver ce pour quoi ils ont été « élus » (enfin, théoriquement) : le Bien Général.
    Avoir baisser pavillon devant l’Économie… (« composer avec » pour nombre d’entre eux!! :-D)
    Question: pourrons-nous, saurons-nous ouvrir la porte vers un autre avenir? L’Homme a tant de ressource: il lui faut s’arracher à cette gangue!!

  2. batistin

    Considérons un instant ce qu’est la nature humaine, ou plus exactement ce qu’est un être humain, ou encore qu’est-ce que l’on fout là ?
    Mis a part un vide immense qui semble entourer notre planète, et la capacité qu’on certains à inventer des outils technologiques, l’immense majorité d’entre nous n’a pas dépassé le stade de l’homme préhistorique !

    Franchement, je ne souhaite vexer personne, mais si l’on me pose nu comme un ver au beau milieu d’un champ d’herbes folles, je mourrai en quelques jours, de faim, de froid, de soif, de maladie, de blessure, ou de peur !
    Je ne sais pas, mais alors pas du tout fabriquer seul une centrale électrique, une bouteille de gaz, un briquet… ni un cachet d’aspirine..
    Je ne sais pas non plus cultiver quoi que ce soit, et de toutes les façons, rien ne pousse en un jour.
    Je ne sais rien chasser d’autre que le jambon sous plastique dans les rayons de supermarché…
    Si l’on n’est pas habité d’une croyance en Dieu salvateur, ce qui donne naturellement un sens à la vie, qu’est ce donc que cette aventure idiote qui consiste aujourd’hui à devoir tout à d’autres ?
    Des hommes et des femmes fabriquent des fusées pour visiter l’espace et moi, quand j’appuie sur l’interrupteur de ma lampe de chevet, en y songeant vraiment un instant, je trouve cela…magique !
    Rien de ma vie ne m’appartient plus vraiment, sauf l’obligation offerte (!) de jouer avec d’autres à des jeux qui me dépassent…
    Plus personne ou presque dans nos sociétés est capable de vivre seul, en autarcie, enfin, disons que je ne connais que peu de trappeurs canadiens…

    La question à se poser est donc peut-être la suivante:
    comment avons nous tous ensemble accepté de donner à autrui autant de pouvoir sur nous pour finir par haïr… l’autre ? Ou tout au moins se foutre complètement de ses joies ou de ses difficultés.

    Et bien, la réponse est évidente, encore une fois, tout réside en notre mode d’échange..

    L’argent en soit n’est pas une mauvaise chose, c’est un moyen plus léger d’échanger des savoirs, des productions.
    Il est tout de même plus facile de faire son marché avec des euros dans la poche à échanger contre des patates, que de se trimballer avec son savoir faire ou sa production à échanger. Surtout si par exemple on fabrique des pianos.

    Ce qui met la haine, engage la guerre, et rend chacun de nous fou et inhumain, c’est quand l’argent se suffit à lui-même.
    Plus besoin de patates ni de piano. Il n’y a plus rien à échanger.
    Sauf le prix hypothétique et variable d’un kilo de patate.

    Notre monde est maintenant basé non sur l’échange, salvateur en son sens même, de richesses produites, mais uniquement sur la sur-cotation permanente de valeurs hypothétiques non productives.

    L’argent n’est donc plus une valeur d’échange entre les savoirs humains.
    Pire, le savoir, le savoir faire, le temps nécessaire à une production, qu’elle soit de patates ou de notes de musiques, tout, absolument tout finit un jour en brasier au centre du panier. Le Panier du Marché, le Panier des bourses mondiales.
    La plus belle réussite se voit toujours doté de la mirifique « cotation en bourse » !
    Ce qui a pour effet de la fragiliser , un point c’est tout.

    Tout disparait, les valeurs admises pour la réalisation d’une oeuvre, l’oeuvre d’une vie parfois…
    Souvenez-vous des brins de muguet sauvage que l’on offrait avant que de les vendre.

    Rien n’est plus grave en ce monde aujourd’hui que de laisser certains d’entre nous détruire un système d’échange millénaire, un système qui fonctionnait fort bien.
    Réduire les inégalités sociales aura été le combat des siècles passés,
    Obtenir en valeur d’échange une augmentation du prix du travail de la savante dentellière en regard du plaisir qu’aura la belle bourgeoise à se pavaner aux salons..
    Nous étions sur la bonne voie, être « ouvrier » avait même un certain panache, avec l’aide des congés payés !
    Chacun en l’échange de savoir et de peine aurait pu finalement trouver son compte..

    Oui, nous étions sur la bonne voie !
    Jusqu’à que nous laissions, on ne sait pas pourquoi, de grands malades, des individus extrêmement dangereux pour la communauté s’en prendre à notre vie, à nos valeurs, à nos joies, à nos peines, à nos enfants :

    Celles et ceux qui de l’argent n’ont pas le respect qu’on lui doit, puis qu’il représente la valeur en échange d’un travail accompli pour la communauté.

    Je hais profondément, non pas mes pauvres compagnons de misère, ceux qui perdent leurs emplois, ou ceux qui se jettent comme bêtes affamées sur quelques objets magiques, inaccessibles et technologiques, je hais les marchands d’intérêts.

    Oui, je hais ceux qui vendent et revendent sans fin, l’intérêt de l’argent qu’ils fabriquent.
    Argent fictif maintenant et sans valeur ni autre intérêt que celui de déprécier la véritable valeur de nos beaux, humains et véritables échanges.

    Alors, la faute à qui ? Qui a donc laissé, encore une fois , entrer les loups ?
    Nous.
    Nous pour avoir cru tels des enfants sages qu’il suffisait de faire ses devoirs sans les comprendre vraiment, l’important étant la bonne note !
    Une sale habitude de s’en remettre à nos chefs.
    Ou eux de croire en leur toute puissance.
    A moins que ce ne soit justement la course à la note qui ouvre la porte aux fauves ?

    La note en portée d’une musique militaire.

    Comprendre ses devoirs mène à la Paix. Celle des vivants !

  3. J.J.

    Des vautours !
    C’es bien cela, des vautours, c’est la première image qui m’est venue à l’esprit, en voyant un reportage sur cette curée. le mot a été repris ensuite par un employé de Virgin, écœuré du spectacle.

    J’avais déjà assisté à une semblable curée dans la dernière quincaillerie de la ville lorsqu’elle a été liquidée.
    J’y étais allé, plutôt par solidarité avec des employés que je connaissais bien.

    Quand j’ai vu les dames « bien propres sur elles », bonnes bourgeoises de la ville venues, toute honte bue, s’offrir les ustensiles ménagers, que jusqu’alors elles avaient dédaignés, je me suis promis de ne plus jamais me rendre complice de ce genre de corrida.

  4. David

    Le problème n’est pas la liquidation de Virgin, en elle-même mais c’est celui de retrouver un emploi pour les licenciés.
    Concernant l’attitude de la clientèle opportuniste, moi je ne me mélangerai jamais avec cette populasse de crétins ! Déjà se précipiter pour acheter des articles, dans n’importe quel commerce pour acheter des conneries comme la Wii ou autres, il ne faut pas avoir beaucoup de dignité juste une carte de crédit dans l’unique neurone.
    Mais le consumérisme il ne faut pas oublier qu’il est encouragé par les gouvernements successifs qui ne jurent que par leur sacro-sainte croissance qui n’est jamais assez haute. Moi autant que je peux je nique la croissance, celle-ci va de pair avec l’incapacité de partager le travail.

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