Le complexe de Stockolhm appliqué à la gouvernance

Il règne dans les couloirs du pouvoir parisien comme un climat orageux avec une menace de tempête sourde mais profonde autour de la gouvernance actuelle de la France. Contrairement à ce que rapportent les commentateurs attitrés façonnant l’opinion dominante, elle ne touche pas forcément personnellement François Hollande mais un mode de fonctionnement ancré dans la République qui devient insupportable car en décalage complet avec les évolutions nécessaires du fonctionnement démocratique. Dans le collimateur des parlementaires, les rapports entretenus avec le gouvernement mais aussi et surtout avec les cabinets ministériels. Et ce phénomène constitue le reproche essentiel adressé à une République qui, beaucoup plus que celle des élus mandatés par le suffrage universel, est lentement devenue celle des « théoriciens de la politique » qui, formatés sur le profil « gestion » étouffent lentement toutes les initiatives possibles. Ils ont lentement pris le pouvoir, donnant de fait l’impression que les ministres, les députés, les sénateurs n’ont qu’un rôle subalterne et sont dans l’incapacité de faire évoluer le cours des choses. Les témoignages se multiplient et l’exaspération monte à tous les niveaux, car l’écart entre la volonté et la mise en œuvre de cette volonté ressemble à un précipice. Englués dans une toile d’araignée qu’ils ont eux-mêmes créée, ils n’arrivent pas à reprendre le contrôle d’un système reposant sur une supposée technicité à laquelle ils ne savent pas résister.
Le principe même du « cabinet » ministériel, c’est d’exister en prenant à son compte ce qui fait problème et que le politique est supposé devoir seulement arbitrer. Constitués sur la base de deux critères (la compétence théorique donnée par des formations similaires à celles des hauts fonctionnaires et d’une supposée fiabilité inspirée par des recommandations diverses) ces entourages deviennent alors des sortes d’étouffoirs pour toute vision pragmatique et concrète du rôle d’un Ministre. On en arrive souvent, trop souvent, à se demander, si ce ne sont pas les Ministres qui sont à la disposition des cabinets et pas l’inverse. Aucune idée novatrice n’arrive à pénétrer ce blockhaus dont les portes s’entrouvrent rarement pour des personnes n’ayant à faire valoir que leur expérience. Même si le supposé « patron » affiche une réponse positive, elle meurt garrotée par celles et ceux qui sont vexés de voir qu’une autre réalité que la leur peut être simplement évoquée. La lenteur de progression d’une réforme, sa complexification technocratique, sa déconnexion du terrain et plus encore la dilution dramatique des objectifs politiques n’incombent pas, comme le veut l’opinion dominante, aux élus mais dans la très grande majorité des cas à des personnes qui n’existent que grâce à ces pratiques.
Au Ministère de l’Éducation, on en arrive à ce que Peillon s’excuse par écrit auprès des parlementaires chargés de ce secteur pour les propos ou les attitudes désobligeants de son Directeur de cabinet qui n’a jamais vu une école, un collège ou lycée autrement que comme élève. Inutile de parler de Bercy où le « patron » que souhaitait Fabius n’est pas où on le pense et où les directeurs ont infiniment plus de pouvoir décisionnel que le titulaire de l’économie et des finances. Impossible d’approcher un Ministre des transports pour lui parler vélo… ou mobilité active… Dans le secteur de l’environnement, même constat. Dans celui de la santé, c’est pire encore. En fait, à l’arrivée, les cabinets règnent en maître. Quel que soit le niveau de l’interlocutrice ou de l’interlocuteur, il peut se faire jeter comme un(e) malpropre au prétexte qu’il conteste une approche différente de la version « officielle ». C’est un véritable désastre que cet abandon, qui ne date pas de ce quinquennat, de la seule prérogative qui compte, celle confiée par le suffrage universel. Le « politique » devient un emmerdeur notoire qui écrit, se bat, conteste alors qu’on lui fait l’immense bonté de l’éclairer des lumières du savoir théorique. Le passage par Sciences Po ou par l’ENA et désormais par le siège du PS ou les staffs des groupes politiques, constitue une référence nettement supérieure à celle d’avoir exercé des mandats électifs durant trop longtemps. Eux sont dans le modernisme et dans la vérité, alors que l’élu est dans le passéisme et la dépendance électoraliste. Quand, en plus, parmi les parlementaires ou les grands élus, on constate que bon nombre croient que leur légitimité ne tient qu’à leur talent personnel, on frôle l’overdose théoricienne. Textes de lois incompréhensibles, sortes de fourre-tout d’exceptions destinées à satisfaire tous les lobbies et finalement inapplicables sur le terrain, domination exaspérante du milieu urbain sans cesse renforcée au nom de sa puissance électorale… le constat est accablant, mais n’est pas près d’évoluer, tant que les politiques feront le syndrome de Stockholm, celui qu’éprouvent parait-il les otages vis-à-vis de ceux qui les séquestrent !

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Cet article a 4 commentaires

  1. Mathilde

    Je partage (une fois de plus) ton analyse et ton indignation. Je n’ai malheureusement aucune idée des moyens que l’on pourrait employer pour inverser la tendance (que Marc Bloch dénonçait déjà en 1942 (il y a 70 ans!!!)dans « l’étrange défaite »)à part mettre tout le monde dehors avec pertes et fracas….

  2. J.J.

    Situation récurrente, elle existait déjà sous la quatrième République : j’étais alors tout jeune mais j’écoutais autour de moi : nous rencontrions pendant les vacances un ami directeur de service au ministère de l’agriculture. C’était au temps où les cabinets ministériels étaient synonyme de précarité.

    Il nous racontait :
    Dialogue courant avec le ministre au moment des signatures :
    – Signez là Monsieur le Ministre.

    – Mais qu’est-ce que c’est, ce texte ?

    – Signez, signez, de toute façon c’est trop compliqué à vous expliquer ….

  3. Marae

    Bonjour;
    Nous avons là une des conséquences du « faire carrière » dans la politique, de la recherche du « pouvoir » sans être porteur d’autre conviction profonde, réelle, et motrice!
    Il est temps de faire une pause, réfléchir à ce que devient notre société, en cerner les raisons, ne pas les qualifier d' »inéluctables », et changer de cap… si nécessaire!
    Évidemment, il ne faut pas attendre cela des ceusses qui pilotent le Système!!
    Prenons-nous par la main…

    Une remarque en passant: la RGPP, signée par Jospin juste avant d’éteindre et quitter son bureau en 2002, est une Bête particulièrement néfaste servant de caution à tout et n’importe quoi; mais il y en a tout de même qui en tirent bénéfice!
    Lesquels? Allez, allons donc voir parmi ces « carriéristes »… On est jamais si bien servi que par soi-même!!
    Exemple de la façon dont notre « monde » évolue…
    Fatalité?

  4. batistin

    « _Dans les institutions françaises, on appelle comité Théodule un comité ou une commission qui n’a que peu ou pas d’utilité. L’expression a été créée par le général de Gaulle :

    « L’essentiel pour moi, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, c’est ce que veut le pays. J’ai conscience de l’avoir discerné depuis vingt-cinq ans. Je suis résolu, puisque j’en ai encore la force, à continuer de le faire. »
    — Charles de Gaulle, lors d’un voyage à Orange, 25 septembre 1963_ »

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