Comme je le raconte dans mon livre « Jour de rentrée » (1), je conserve un souvenir cuisant de ma première intervention dans une classe. A l’époque où il y avait une vraie formation professionnelle pour les modestes instituteurs venus du peuple, j’avais en effet eu à assumer devant un Cours moyen 1 la leçon de… morale ! J’avoue avoir eu bien du mal à trouver les mots pour passionner mon auditoire, rompu aux joies qu’il pouvait tirer d’un débutant. Le thème ? Il me reste intact en mémoire : « maman est la fée du foyer ». J’avais eu une semaine pour plancher sur cet axiome énoncé par un maître formateur qui ne faisait pas que porter le nom de Geoffre, car il appliquait des principes militaires. Le pire, c’est qu’une poignée de secondes après que je me sois lancé dans cette prestation inédite, le directeur de l’école normale entrait pour ma… première inspection ! J’ai vite découvert, en tentant d’arracher quelques commentaires ou quelques récits à des enfants indifférents (et il y a 45 ans ils avaient pourtant une autre culture sociale), que la morale ne repose jamais sur des leçons. Elle se pratique à chaque instant de la vie collective et ne vit que par l’exemple ! Un enseignant doit donc conjuguer les deux pour être crédible.
Peillon peut décider de tout ce qu’il veut, dans plusieurs mois son initiative passera à la trappe comme tant d’autres. On ne décrète pas la moralité, mais simplement on peut aider les enfants à l’appliquer. Elle ne repose jamais sur des commandements religieux mais simplement sur un seul mot décliné de manière permanente : respect. Le reste ne relève que d’options familiales ou, plus tard, de choix personnels. Tout est en effet une question d’appréciation de son propre comportement, et pas nécessairement d’un jugement sur celui des autres. Or désormais, la glace déformante des égoïsmes ne renvoie que la paille des yeux d’autrui, mais occulte la poutre traversant les nôtres.
« La morale laïque est un ensemble de connaissances et de réflexions sur les valeurs, les principes et les règles qui permettent, dans la République, de vivre ensemble selon notre idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité » a expliqué le Ministre de l’Education. Beau programme, mais c’est enfoncer une porte ouverte, car je maintiens que c’est dans le comportement des adultes que l’enfant ou le jeune puise ses repères.
Comment, par exemple, expliquer à un gamin que la morale permet à son père ou à sa mère de stationner sur une place handicapé ou de se garer sur une piste cyclable ? A quoi servira la leçon si une enfant voit son papa taper sur sa maman ? Des faits simples du quotidien. Les paroles racistes ? Les crimes virtuels du petit écran ? Les sommes astronomiques gagnées par des footballeurs en bleu irrespectueux de tout et méprisants ? Quelle sera l’efficacité des mots pour lutter contre le sentiment du profit facile ? Est-on certain que le travailleur exploité peut effacer la révolte de son fils ou de sa fille ? Quel sera l’impact sur l’ivresse, quand l’alcool coule à flots dans les troisièmes mi-temps ou les soirées familiales ? Quelle sera la réaction d’un gosse sur l’exactitude et le respect des horaires quand la récré dure une demi-heure et que l’enseignant est un adepte du décalage temporel permanent ? Le jeune forge ses certitudes non pas sur des grands principes écrits au tableau comme autrefois, mais sur des futilités du quotidien qui lui permettent de franchir la ligne blanche et de se donner l’impression d’être un révolté, un anarchiste, un courageux…
Il va donc falloir vraiment faire un effort particulier d’imagination ! Cette morale laïque ne sera pas instaurée dès la prochaine rentrée, c’est qu’il faut réfléchir au contenu et former les enseignants , ce qui ne peut être fait d’ici la rentrée prochaine. « Il faut deux ans pour mettre en œuvre un nouvel enseignement, surtout si l’on veut se donner le temps d’une consultation sérieuse et large des enseignants », explique doctement Peillon, rendu méfiant par ses négociations antérieures. « Le cap est donc plutôt pour la rentrée 2015 » admet celui qui, d’ici là, peut ne plus être ministre de l’éducation.
Il précise prudemment que ce ne sera pas son ministère qui décidera du contenu du programme? mais le Conseil national des programmes. « Ma préconisation, c’est une heure minimum dans le primaire, une heure minimum au collège, et pour le lycée, au minimum 18 heures annuelles » Il faut mettre l’enseignement de la morale, de la citoyenneté, de la tolérance et de la laïcité à dose permanente dans une pédagogie active : coopérative, foyer socio-éducatif, dialogue quotidien sur l’actualité, relance de la culture à tous les niveaux, pratiques associatives, valorisation du mérite et pas du sensationnel… Bref un changement qui n’est pas pour maintenant !
(1) Editions vents salés
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Je viens de lire un très bon article sur Wikipédia, sur l’éducation populaire, avec un lien vers un article du Monde Diplomatique sur le même thème: l’éducation populaire(culture du peuple pendant tout le long de la vie, sur les valeurs qui servent l’intérêt général du peuple) répondrait déjà à la question que tu poses de l’environnement moral de l’enfant.
Mais à ce que j’ai lu,nul n’en veux car elle suppose qu’on autorise le peuple à comprendre la science de son exploitation et de son oppression. Condorcet disait « Le genre humain restera partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves »
Mais c’est si dangereux des gens qui raisonnent; jeunes et vieux…
Allons regardons tous la TV, dont le contenu n’a pas changé d’un pouce de Sarkozy à Hollande: ce n’est pas très moral, mais au moins c’est populaire..
« Faites ce que je dis, pas ce que je fais! »; un peu de dressage, et le tour est joué!!
Enfin… On peut toujours rêver!! 😀
Quant au commentaire précédent, il résume toute une bataille qui reste à mener: (re)donner VRAIMENT à l’Éducation Nationale l’objectif et les moyens de préparer chacun_e à sa vie de citoyen…
On commence le 5 mai? 😀
Une bonne continuation à tou_te_s
Cordialement
Considérant que l’humanité se doit de donner à l’enfant le meilleur d’elle-même,
L’Assemblée générale
Proclame la présente Déclaration des droits de l’enfant ….
…
Principe 7 :
L’enfant a droit à une éducation qui doit être gratuite et obligatoire au moins aux niveaux élémentaires. Il doit bénéficier d’une éducation qui contribue à sa culture générale et lui permette, dans des conditions d’égalité de chances, de développer ses facultés, son jugement personnel et son sens des responsabilités morales et sociales, et de devenir un membre utile de la société.
L’intérêt supérieur de l’enfant doit être le guide de ceux qui ont la responsabilité de son éducation et de son orientation; cette responsabilité incombe en priorité à ses parents.
L’enfant doit avoir toutes possibilités de se livrer à des jeux et à des activités récréatives, qui doivent être orientés vers les fins visées par l’éducation; la société et les pouvoirs publics doivent s’efforcer de favoriser la jouissance de ce droit.
…
http://www.droitsenfant.com/declaration_droit_enfant.htm
Encore une citation qui aurait pu plaire à Condorcet….
Les habitants de la terre se divisent en deux :
Ceux qui ont un cerveau mais pas de religion,
Ceux qui ont une religion mais pas de cerveau….
De qui cette citation ?
Aboul-Ala al Maari poète arabe mort en 1057.