Lorsque l’on revient tant soit peu sur son chemin, il y a là-bas, au loin, les passages clés qui ont permis de prendre l’énergie nécessaire pour avancer. Les débuts sont paradoxalement les plus décisifs, avec notamment cette « école » qui imprègne, que nous le voulions ou pas, notre rythme, qui donne notre direction, et surtout qui détermine la qualité du parcours futur. Il n’y a pas une seule personne dans une société organisée qui ne soit pas tributaire, en positif ou en négatif, de son passage sur les sentiers de la maternelle (quand il a eu la chance d’y aller), le chemin de l’école élémentaire, la route du collège, l’avenue du lycée ou l’autoroute universitaire, puisque chaque fois, grâce au savoir et à la culture, l’espace de « déplacement » vers l’avenir s’élargit. Pour les plus anciens d’entre nous, la fin de la « randonnée » avec le « guide » s’arrêtait au certificat d’études primaires… avec un diplôme réservé à toutes celles et tous ceux qui n’avaient pas la chance d’accéder à la suite d’un parcours planifié. L’élite se créait certes par le mérite, mais à condition que l’accompagnement soit possible matériellement par la famille. Combien d’élèves intellectuellement capables de trouver une place meilleure dans la société que celle de leurs parents ont été « oubliés », avant les années 60, par un système élitiste ? L’examen des bourses condamnait les plus modestes à entrer à la force du travail dans l’échelon supérieur, et à condition que l’instituteur ait la volonté de perdre ses meilleurs éléments pouvant lui valoir de bons résultats au Certif’… Et c’est là que je mesure, avec le recul, que la vie sociale ne tient qu’au fil ténu de la motivation aussi des… autres.
Avec deux amies, nous évoquions notre chance d’avoir connu un « hussard noir de la République » sans qui nous n’aurions été, pour deux d’entre nous, que des enfants d’immigrés besogneux.
En créant en 1953, soit il y aura dans quelques mois 60 ans, une classe de 6ème dans la petite ville de Créon, loin de la ville, pour y accueillir une quarantaine de filles et garçons venant des écoles publiques du secteur, il a en fait changé le destin de centaines d’autres enfants. Année après année, il a ainsi créé, avec le soutien que quelques élus de gauche et un humaniste (pupille de la Nation!) convaincus de la nécessité d’offrir aux enfants du monde rural le fameux « Cours Complémentaire » de Créon, qui devint, dix ans après, le collège d’enseignement général (CEG), véritable structure de démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire ! Ce fut une chance incroyable d’avoir croisé la route de ces femmes et ces hommes, capables de contribuer à un système éducatif avec conviction, et surtout le souhait de remettre à l’école ce que l’école leur avait apporté !
Les « collèges » pour les plus aptes à poursuivre des « études » ont été durant une trentaine d’années les viviers où grandissaient les serviteurs de la République, via des « concours » diversifiés, débouchant sur des emplois. Les écoles l’avaient été avant eux (le fameux certificat ou le brevet supérieur a été très longtemps le viatique pour l’entrée dans l’ascenseur social) et depuis quelques décennies elles ne servent qu’à alimenter des polémiques sur le niveau de l’instruction, dont personne ne peut assurer qu’elle correspond aux nécessités de notre époque. Se retrouver à quelques-uns pour discourir de cette période où notre seule ambition était de finir sur un étage supérieur à celui de nos parents constitue une superbe cure de jouvence intellectuelle. Quand on voit l’affluence, à l’assemblée nationale, sur le débat autour de l’avenir de l’enseignement primaire, on est en droit de s’inquiéter.
Durant des dizaines de jours, ils ont squatté des nuits entières les travées du Palais Bourbon au nom des culs-bénis hostiles au mariage pour tous, dans un débat débile et sans fondement, mais au moment où se joue l’avenir d’une nation rongée par le doute, les députés préfèrent aller à la pêche à la truite, pour les plus courageux d’entre eux ! Les bancs de l’assemblée étaient très clairsemés, comme si l’enjeu n’avait aucune importance: pas un seul député de Gauche n’aurait dû être absent pour ce moment clé du quinquennat Hollande ! Et pourtant. Face aux trop rares présents, Vincent Peillon a martelé pour rien son objectif de revenir aux fondements de l’école, mais aussi de la République. «De tous les régimes politiques, la République est celui qui s’enorgueillit de s’appuyer sur la raison», a lancé le ministre, défendant «une école qui doit produire un citoyen actif, éclairé» mais aussi «un professionnel compétent», tout en permettant à chacun «de s’affranchir de toutes les servitudes » et de faire «vivre un idéal de dignité pour chaque personne». Belles paroles et belles envolées, sauf qu’elles n’ont eu aucun écho médiatique… L’essentiel est ailleurs. Et dans le fond, si sa « modeste » réforme (elle devrait avoir une tout autre ampleur, selon moi!) avait un intérêt, elle mécontenterait bien du monde, alors il est plus prudent de la faire à minima, sans contrarier les corporatismes qui fondent la montée des populismes les plus abjects. Peillon va perdre ses illusions. Pour mobiliser les parlementaires, il aurait dû proposer d’effectuer les mariages pour tous dans les écoles ou les autoriser dès le CM2. Alors là, il y aurait eu une attention particulière pour l’école de la République !
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On aura beau jeu de dire, à juste titre, que c’est une idée fixe, mais dans aucun bulletin d’information ou « journal » de télé, je n’ai vu ou entendu aucune allusion à ce débat sur l’Ecole.
Par contre nous sommes inondés d’informations sur le rassemblement de cardinaux, sur les hypothèses fumigènes, et autres billevesées, qui, il me semble, ne présentent aucun interêt pour l’avenir de l’humanité.
Par contre plus un mot à propos des vraisemblables raisons qui ont amené le Panzer Pape à se retirer des affaires.