Les bons comptes font-ils vraiment les bons amis ?

Il arrive souvent que l’émotion que l’on ressent ne traverse pas l’imperméabilité des personnes qui sont autour de vous. Cette forme d’incompréhension naît du fait que les degrés d’appréciation du contexte au moment des faits ne peuvent pas être les mêmes pour tous les participants aux événements. Avec plus de 300 conseils municipaux à mon actif (je n’en ai manqué en 30 ans de mandat qu’un seul!) je possède un recul particulier sur le fonctionnement de ces institutions républicaines, et j’en garde surtout beaucoup de souvenirs. L’expérience acquise permet la distanciation avec des faits qui entrent dans les souvenirs plus ou moins durables. Des heures et des heures d’une vie à écouter (place du conseiller municipal) ou à tenter d’expliquer clairement des sujets complexes pour obtenir une adhésion raisonnée rendent philosophe. L’importance parfois des discours tenus devient dérisoire quand on a le recul des ans ! Par exemple, combien ai-je entendu de querelles et de déclarations fracassantes sur les budgets, alors que le seul acte véritable de gestion consiste à examiner le compte administratif, sorte de bilan financier indiscutable de la gestion locale? Malheureusement, le mot « budget » est connu, alors que l’autre appartient au langage technocratique ! Les chiffres ne sont pas plus vrais que les promesses quand ils sont alignés dans un document prévisionnel devant être, d’après la législation, « sincère et véritable » alors qu’il est fortement aléatoire sur certains points imprévisibles.
En présentant le 18ème C.A. de mon mandat de maire, et le 30ème sans défaillance aucune, de ma participation à une instance communale, j’ai eu le sentiment d’être au bout du rouleau et de manquer singulièrement de motivation. D’autant que s’ajoutent tous les autres dont j’ai pu avoir la responsabilité dans l’intercommunalité ! Il faut se rendre à l’évidence (aïe ! aïe!), le vrai problème du cumul des mandats c’est celui de la durée de présence aux affaires. Même si je dois choquer, je suis convaincu qu’après quelques dizaines d’années du même mandat électif, on manque singulièrement de punch et on a l’impression désagréable d’emmerder le monde avec ses considérations de gestionnaire averti. La seule chose qui passionne vraiment les habitants dans la vie c’est le niveau de leurs impôts forcément trop élevé… Peu importe la pédagogie que l’on peut utiliser, le résultat est toujours le même : si l’on doit être contre on l’est et si l’on doit être pour on se doit de l’être ! Parmi mes souvenirs j’ai retrouvé celui de certains élus qui votaient contre le compte de gestion du percepteur au prétexte qu’il était identique au compte administratif ! Ou j’ai vu un spécialiste de la comptabilité présenter ligne par ligne le document en le comparant avec celui du budget.A l’époque, il y avait celui de la commune, de l’eau, de l’assainissement, de la zone d’activités et de la caisse des écoles. Au total plus de deux heures de marmonnements ayant une puissance équivalente à celle d’une piqûre de mouche tsé-tsé. Un soir où nous devions subir ce pensum indigeste, avec quelques copains nous avions apporté les gâteaux secs, le thermos de café et les tasses pour monter un bar improvisé ! Rien n’y fit : la dose fut la même et nous avons vite dû renoncer à ce qui devenait une provocation. Parfois, nous terminions à 2 heures du matin des séances durant lesquelles nous tentions de résister !
Le vote des taux relevait de la prouesse technique car, bien entendu, les uns criaient au « matraquage » les autres au « manque de précaution », pour finir par se mettre d’accord sur le chiffre présenté initialement après des palabres inutiles. Il y avait aussi les spécialistes du détail qui tue. La demande d’explication pour une somme dérisoire dont personne ne connaissait véritablement la raison. L’essentiel reposait dans la broutille, mais jamais sur la volonté politique qui sous-tend une action ou une dépense. La stratégie financière est fondamentale car elle ne repose pas sur des techniques comptables mais sur des choix beaucoup plus fondamentaux. En définitive, celle ou celui qui s’occupe de finances publiques éprouve une fâcheuse impression de solitude car il sait que le moindre refus, la moindre erreur ne lui sera pas pardonnée. C’est la loi du genre ! La sévérité des jugements repose sur la sanctuarisation des chiffres auxquels on fait pourtant dire ce que l’on veut. Les pires de tous sont les pourcentages, armes fatales pour les tireurs d’élite des finances. Ils permettent de tout faire avaler ou de tout transformer en triomphe… Alors, avec le recul, on devient méfiant.
En comptant, je crois avoir présenté au vote plus de 50 comptes administratifs depuis mon entrée dans la vie publique, et je sens bien que mon enthousiasme baisse. Il est certain que dans un an on se jettera partout en France des C.A à la tête comme autant de bombes politiques destinées à écrabouiller le camp adverse… Ce sera drôlement amusant quand je serai sur la touche derrière la main courante !

Cet article a 3 commentaires

  1. Vanessa

    Les chiffres…
    Ils en ont pris une place considérable dans notre vie…

    A vous lire j’ai cru participer à la réunion du conseil syndical de mon immeuble…
    Des discussions stériles sur des chiffres (dont en effet on ne peut rien changer, juste donner son accord)….
    Conseil syndicla où en effet il y a toujours des gens qui en effet « pinaillent » pour 1€, les « fameux » spécialistes du détail qui tue!!!!!!

    Courage et hauts les coeurs!!

  2. Christian Coulais

    Excellent ! Je pense que dans nos 36 000 communes, beaucoup vont se retrouver à travers cet état d’âme.
    Pour ma part, ce que j’en pense, pas de cumul, maxi 2 mandats successifs, et l’on passe la main…
    Mais aussi permettre à des salariés d’avoir un crédit-temps au sein de leur entreprise, comme les syndicalistes, voire un peu plus, car les réunions communales, syndicales, intercommunales sont nombreuses !
    M. le Député suppléant, si avant de partir vous pouviez oeuvrer en ce sens.
    Bon courage et à chaque jour suffit sa peine !

  3. J.J.

    A lire ton compte rendu, je revis les moments « épiques « que me faisait vivre mon président lorsque, en tant que trésorier de l’Autonome de Solidarité, je lui présentais nos comptes et notre bilan d’exercice annuel.

    Les sommes étaient moins importantes et les lignes de compte moins nombreuses mais les pinaillages tout aussi présents et lassants….

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