Étrange société que celle des pays réputés civilisés comme la France. Dans le fond, elle ne reflète qu’un degré d’éducation tellement superficiel qu’il en devient angoissant. Dans une journée, chaque minute recèle sa vérité que les médias « perroquets » qui envahissent l’espace sonore et visuel se chargent de hiérarchiser en fonction de l’intérêt supposé de leurs auditoires. C’est devenu tellement caricatural que l’on se pince pour se réveiller et ne pas se laisser entraîner dans cette spirale de la facilité imbécile. Tout à coup, se heurtent des informations dont il faut immédiatement balancer un succédané acceptable au milieu d’une indigestion de conneries diverses.
Toute la France qui écoute la radio, regarde les lucarnes aux alouettes, scrute son téléphone portable esclavagiste, est en extase : David Beckam, dont on suit chaque minute du passage du costard au slip, avant de revêtir un survêtement « moulant » pour courir et pousser la « baballe », est arrivé au Camp des Loges. Plus de 400 journalistes se sont précipités pour saisir un mot, une phrase, un sourire, une grimace, une pichenette élégante, une goutte de sueur ou une larme d’effort surhumain. En tenue de travail, il va consentir à ce que les médias accrédités prennent des clichés de son retour sur un stade. En partant de son usine, il trouvera des centaines de personnes désireuses de manifester leur attachement à un travailleur doté seulement d’un Contrat à Durée Déterminée, condamné par les syndicats, car il conduit irrémédiablement à la précarité. « J’aime ton corps et tes fesses » va clamer une admiratrice éperdue lors du passage en « berline allemande noire » de celui qui a bossé dur pendant 2 heures ! Ce propos exceptionnel sera repris sur RMC. Essentiel ! Exceptionnel !
C’est donc un début d’après-midi comme on les aime dans les rédactions, car on tient LE sujet « pipole » qui va réconcilier tout le monde en cette période de crise. Le week-end a été désastreux : défaite du XV de France, bolognaise au « boeuf-cheval », démission du pape, et de la pluie, de la neige, des inondations et des avalanches ! Au moins, avec l’arrivée de Beckam elles tiennent un sacré moment de bonheur transversal. On déblatère sur cet événement qui change brutalement le quotidien de millions de personnes… et qui va surtout éviter de parler de ce qui fâche. L’UMP a senti que le créneau était disponible et illico, le parti qui ne cesse de vociférer pour exister, annonce… une motion de censure qui, pense-t—il, devrait faire la une du Figaro, aux côtés de la « trottinette » anglaise reconvertie en bijou des gazons ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes médiatiques possibles, et la société globale va enfin se remplir l’esprit d’images et de sons plus fiables que les lasagnes de Findus !
Patatras ! Au milieu de cet Eden, va débarquer un pauvre diable, un intrus, un être dérangeant non identifié ! Un chômeur de 43 ans, après s’être aspergé d’essence et s’être immolé par le feu, devant l’agence Pôle Emploi de Nantes-Est, juste en face des Restos du cœur, vient rivaliser avec le labeur de Beckam.. Plusieurs médias locaux avaient reçu un mail de cet homme, annonçant son intention de passer à l’acte dans la semaine. Il protestait contre le rejet de son dossier, estimant avoir travaillé suffisamment d’heures. Par mail, il avait alerté  «C’est le grand jour pour moi car je vais me brûler à Pôle emploi. J’ai travaillé 720 heures et la loi, c’est 610 heures. Et Pôle emploi a refusé mon dossier ». Changement de cap… on oublie le tatoué au grand cœur, puisqu’il se dévoue quasiment pour une bouchée de pain et une chambre d’hôtel ordinaire pour son standing. On apprend alors que la police s’était rendue au domicile du chômeur, sans le trouver, et avait pris position ce matin sur le parking de Pôle Emploi pour tenter de l’empêcher de passer à l’acte. La vigilance des forces de l’ordre n’a pas suffi : «L’homme a réussi à se mettre dans un coin du parking, les policiers ne l’ont pas repéré» avant son passage à l’acte. Pôle Emploi a confirmé que l’homme était bien inscrit dans cette agence nantaise et en fin de droits… et qu’il n’allait plus recevoir d’aide pour survivre !
On passe en une fraction de seconde du futile, du subalterne, de l’indécent au profond, à l’essentiel, au dramatique… Un homme anonyme s’immole et durant quelques heures il vole la vedette par un acte désespéré à un autre homme vendeur de sa notoriété qu’il entretient par des actes calculés. L’un croule sous les dollars et les euros pour promener sa silhouette d’adonis alors que l’autre n’attendait qu’un brin de solidarité humaine en un monde du fric roi. Lequel des deux reviendra vite dans le giron des médias perroquets ? L’un sera adulé. L’autre sera oublié ! L’un revendique la postérité… l’autre n’aura qu’une pitié éphémère vite effacée par le vent mauvais de ce que l’on appelle l’actualité !

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