C’est le grand jour dans les chaumières du sud de la France ! Les canapés vont recevoir quelques solides gaillards, d’habitude installés dans le baquet trop étroit des travées des stades. Devant eux les godets nécessaires pour tenir la distance et surtout pour tenter d’effacer les déceptions ou de célébrer les réussites. La célébration nécessite, outre du pain et du vin, selon l’heure où elle a été prévue, de la bière, du champagne et quelques douceurs solides préparées par la maîtresse de maison. On entre dans la grand messe rugbystique du tournoi des 5 nations (agrandi à 6 mais jamais réellement accepté) selon des rituels bien établis qui se transmettent parfois de père en fils.
Il y a dans ce domaine les « croyants », qui prétendent être inspirés par cette expression internationale du culte de la « pigne » ou du « tampon », mais qui se contentent souvent de ne voir que du « Bleu » de regarder l’office à la télé ! Ce sont les plus nombreux et forcément leurs pratiques n’atteignent pas la perfection rituelle de la minorité des « pratiquants » . Eux, chaque dimanche ou presque, vont prier collectivement pour leurs ouailles favorites dans les cathédrales des grands stades, ou individuellement dans des chapelles; au sol plus ou moins dévasté, installées à l’ombre d’un clocher de village. Parfois les premiers s’associent aux seconds pour découvrir les subtilités des règles originelles de Saint William Webb Ellis, mais complexifiées à loisir par des centaines de bulles papales, édictées par la Fédération internationale de Rugby association. Ils vont cohabiter devant un écran de télévision de manière plus ou moins paisible, tant les commentaires peuvent échauffer les esprits.
Les « intégristes » du pack, car il en existe pas mal dans le monde de la balle ovale, savent parfaitement apprécier la qualité de la « génuflexion » d’un pilier gauche (selon eux, celle du pilier droit n’a absolument pas les mêmes caractéristiques), « l’élévation » d’un seconde ligne en touche, la « communion » fraternelle qui suit un essai… Ils portent d’ailleurs des jugements sans concession sur les pécheurs qui trichent au confessionnal pourtant secret d’une mêlée fermée, car ils savent que dans ce domaine là il n’y a qu’un seul principe qui vaut : je « pardonne à celles et ceux qui m’ont offensé mais je garde la liste ». A toutes fins utiles ! On s’extasie sur une « tortue » ayant remplacé la spécialité de la « morue » à la béglaise, ou on éructe lorsque on offre une « cravate » ajustée à un adversaire. On bondit du canapé lorsque un pervers s’essuie les crampons sur un corps tapi sur le gazon alors que chez lui il évite le paillasson que lui recommande son épouse. L’intégriste du pack n’a rien d’un esthète : efficacité, puissance, endurance, vigueur, vaillance n’ont jamais contribué à donner une image valorisante ! Le passionné du canapé ressasse les exploits impitoyables de combattants mythiques en noir et blanc qui ont traversé le temps depuis la première retransmission en direct d’un affrontement religieux contre les « Britishs » en 1954 ! Amédée Domenech, Alfred Roques, Lucien Mias, Michel Crauste… appartiennent à son Panthéon qu’il a transmis en héritage à son fils, au même titre qu’il avait appris sur les bancs de la communale la liste des maréchaux d’Empire ayant collectionné les blessures au front et plus encore les victoires glorieuses. Les paluches effrayantes de Walter Spanghero, la crinière blonde ensanglantée de « Saint Michel » Jean-Pierre Rives, les bandelettes de « Ramsés » Michel Palmié, la barbe hirsute de « Hagrid Rubéus » Sébastien Chabal… chaque équipe a eu, au fil des ans, son icône. Le Tournoi n’est réussi que s’il ruisselle de la sueur, du sang (mais jamais des larmes car on ne pleure pas dans ce milieu) propres aux martyrs ou créant des héros ! Les plus anciens transmettent en ces occasions la tradition orale héritée du barde gaulois Roger Couderc. Ils ont appris, lors de chaque campagne annuelle, l’impact de formules magiques du duo que formait Couderc et Alballadéjo comme « Un coup de pied de rouge-gorge », « Allez les petits », « les mouches ont changé d’âne », « le cochon est dans le maïs » ou « la cabane est tombée sur le chien » ; « mettre le casque à pointe », « retourner à la mine » et ils les replacent comme des formules magiques destinées à rappeler le bon vieux temps !
Inévitablement surgissent des différends qui fissurent au fil des matches le groupe des « croyants », et même parfois celui des « pratiquants », car les lignes arrières ressemblent pour certains d’entre eux aux planqués de la guerre. Ce sont pourtant à ces postes que l’on trouve les plus célèbres pourfendeurs du camp anglo-saxon ! Serge Blanco, Jo Maso, André et Guy Boniface, Didier Codorniou, Jack Cantoni, Pierre Villepreux… restent inscrits au frontispice des Beaux-Arts rugbystiques, et rendent nostalgiques les amoureux du geste parfait en une époque où le virevoltant voltigeur a été remplacé par la puissance du char d’assaut. Les passe-murailles qui traversaient les lignes étrangères dans des trous de souris ont appris à saper désormais des remparts garnis d’épines de roses ou de chardons ardents et parfois précédés de champs de trèfle ou de poireaux glissants ! Mais dans le fond, c’est le plus sûr moyen de rassembler dans un même élan destructeur ceux qui célèbrent l’abnégation de « l’avant » et ceux qui ne retiennent que la vista de « l’arrière ».
La France entre dans ce qui deviendra un jour son remake moderne de l’interminable guerre de 100 ans (elle a débuté officiellement en 1910) qui permet d’étancher cette soif de gloire qui habite les peuples. On va en effet passer de la campagne du Mali à celle d’Ovalie. Avec le même espoir… de vivre des exploits depuis son canapé !
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Pour votre peine, mon fils, vous réciterez trois essais et un drop…
Le rugby est une bataille…
Certainement pas une guerre!
Quel plaisir de constater que toi,le footeux possède une telle culture rugbystique! Et,en plus,victoire de l’équipe représentante du pays de tes ancêtres!
D’ici à ce que nous ayons une bataille de Pavie!!!