Dans le petit panier, comme cadeau de nouvel an, j’ai trouvé, au creux d’un linge soigneusement plié, trois petits paquets enveloppés dans une feuille d’aluminium et un bocal dont le verrou fermé par un caoutchouc ocre garantissait la permanence de la qualité du contenu. Rien de somptueux, d’extraordinaire ou d’essentiel, mais pourtant, un vrai trésor pour ma mémoire. Un coup à vous faire perdre la tête, tellement vous avez l’impatience de retrouver les plus belles sensations, celles de l’enfance, celles que la société de consommation vous a totalement fait oublier. Il ne manquait que ce partage large et joyeux qui, autour d’un menu similaire, envahit la tête du bruit des ripailles. Les images, elles arrivent vite. C’était toujours un lundi soir pour moi. Et lentement les images remontent comme les bulles éclatant à la surface d’un étang. La longue table qui avait été envahie durant tout le week-end, avait été patiemment vidée. Le sang épongé, le gras effacé, les saladiers disparus, les ustensiles lavés et rangés, des dizaines de bocaux alignés sur les étagères, les boites de taille déclinantes revenues sur la cheminée… et le calme revenu dans la cuisine où bouillait pourtant sur la cuisinière chauffée à blanc une marmite recelant l’ultime préparation du jour.
Les invités, ayant assisté à un meurtre prémédité le samedi matin à l’aube, attendaient, fourbus, que le couvert soit installé pour boucler trois jours de travail intensif. L’instant de vérité approchait, et le verdict pouvant être extrêmement sévère allait tomber. Ce soir là, après avoir saigné, raclé, haché, broyé, découpé, cuit, filtré… assaisonné ou savamment dosé, la famille et les amis allaient enfin déguster ! La cabane n’était pas tombée sur le cochon gras, mais il avait pourtant perdu la vie pour que d’autres puissent profiter de ses bienfaits. Après avoir longuement partagé les secrets ancestraux des terrines de pâté de campagne, des chapelets de boudin, des blocs de pâté de tête, des guirlandes de saucisses, des jambons frais comme des roses, des ventrèches pas encore salées, du lard pendu à un crochet, des rôtis confits dans une graisse immaculée, des pieds en attente d’être panés, des oreilles roulées…. on passait dans la joie aux exercices pratiques avec une allégresse non dissimulée.
D’abord, dans une assiette à calotte (toute autre contenant eût été hérétique), on versait à grandes louches le « jimboura », soupe à l’air sombre issue de la cuisson des boudins. Ce soir, dans le bocal, je retrouve avec une délectation particulière ce potage contenant beaucoup des légumes du jardin. Fermer les yeux, humer le fumet qui se dégage de la soupière et déguster la… simplicité absolue, après avoir soigneusement relevé avec du poivre dispersé sur l’assiettée brûlante : un instant de rêve!
Comment ne pas revenir en arrière sur cette soirée de clôture de ce magnifique week-end ayant vu un cochon « tirelire » se transformer par un matin glacial en victime sacrifiée sur l’autel de l’autosuffisance alimentaire ! Un second service, et je me vois tendre l’assiette à ma grand-mère… alors que souvent, autour de la table, le « chabrot » valait tant de plaisanteries à celui qui tentait l’aventure. Un fond de « jimboura » et le vin tiré à la barrique étanchaient des soifs entretenues par la chaleur du foyer ! Personne ne considérerait dans ce monde télévisé des apparences trompeuses que la suite relevait d’un « dîner presque parfait ! ».
Les fins de séries circulaient d’une place à l’autre. Les fabrications plus ou moins mal fagotées s’échangeaient entre convives, taillant de grandes tartines dans la « miche de 4 ! » pour tartiner des rillettes grasses et onctueuses, des pâtés frais et parfumés dont la quantité était insuffisante pour garnir une terrine brune ou blonde, des boudins aux boyaux éventrés ou des croustilles dédaignées… En fait, on épuisait la totalité de ce brave cochon égorgé sur le champ d’horreur, tellement sa fin avait été pénible et ses cris déchirants. Les commentaires étaient inévitables : « parfait ! », « manque d’assaisonnement ! », « manque de sel ! », « pas assez relevé ! », « trop frais »… En général, la perfection n’étant pas de ce monde, les critiques étaient supérieures aux compliments. On ensevelissait sous quelques verres supplémentaires les plaisanteries habituelles sur le cuisinier ou la cuisinière, taxés d’avoir perdu la main.
Les petits paquets soigneusement rangés contenaient ces « madeleines charcutières » d’une époque où, en janvier, après les fêtes, les tueurs allaient de ferme en ferme pour offrir aux porcs dodus et goulus, une réincarnation en nourritures « terrestres ». Le menu tiré du panier apporté « clandestinement » par l’une de ces spécialistes des scènes « cochonnes » qui vous marquent à vie a vite pris des allures de festin du temps passé.
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Notre blogueur invétéré n’est peut-être pas le Roi de la tripe, mais c’est bien le Roi du titre ! Quel effet journalistique ! Cochon qui s’en dédit ! A table donc, pour partager le film de sa vie, un épisode, bien ancré, de notre vie pour certains, certaines.
quel retour en arrière …cela se passait chez moi de la même façon en Bourgogne et j’ai encore de la famille qui tue leur cochon dans le fin fond de la campagne . le fromage de tête , le pâté de foie de campagne …le boudin ..les andouillettes les rotis les morceaux de lard dans le grand saloir et les jambons a mettre au sel et fume ensuite ensuite ,avec le foie !le coeur!les poumons et des restes de viandes très assaisonnées ma mère, faisait une gruautte avec une purée maison ..un bon verre de vin par dessus …on pouvait aller dormir le ventre plein!!que c’était le bon temps
On dirait du Rabelais !
En ce jour, où mon moral est au plus bas… lire votre lettre m’a fait un bien immense. Il m’a suffit ensuite de fermer les yeux pour retrouver la cuisine rustique de mes grand-parents… et toute la cochonaille que l’on faisait durant les vacances de noël puis quelques semaines plus tard, pour le deuxième cochon… les patés, rillettes que l’on mettaient à cuire à la cheminée sur le grill dans un papier pour juger de l’assaisonnement… les confits dans la peyrole et ma cousine et moi qui récupériont les petits morceaux brulants et salés… (mais tellement bons…). La tournée des voisins et amis qui venaient avec casserole ou autre récipient chercher le jimboura…. Mon dieu !!! que de souvenirs…. Merci M. Darmain pour m’avoir invité à la table du passé….
j’adore!
ne peut-on avoir la recette de ces « madeleines charcutières » qui fleurent si bon les bons plats de nos grands mères?
Je rajoute une ou deux traditions pour la nostalgie,Le jour de la mort de « Lou Moussur » en patois Le monsieur (le cochon baptisé ainsi avec respect) nous mangions à midi « La Rique » ragout avec la viande raclée le long des côtes et cuisinée avec des échalottes et du vin blanc!!Et l’après midi il fallait aller laver les boyaux à l’eau du petit ruisseau(de Basse Corrèze) par une température de-3° ou -4°pour faire les boudins dans la soirée!
Je vous recommande la lecture d’un très beau livre qui s’appelle » Les Secrets des Fermes en Périgord Noir » dans la collection « La cuisine Paysanne en France » Editions SERG/BERGER-LEVRAULT.