Ils n'ont vraiment pas les rythmes dans la peau !

Comment persuader l’opinion publique qu’une part de l’échec scolaire, généralement situé dans les couches sociales les plus défavorisées, vient de la durée quotidienne de l’enseignement ? Il fallait arriver à cette gageure sans mécontenter les enseignants, sans augmenter les dépenses de l’État, ou au moins dans des proportions raisonnables, et surtout en faisant payer l’ardoise par les communes. Peillon était très ambitieux ou ne connaissait pas réellement la réalité du terrain scolaire. Pas d’expérience de gestion locale, et donc aucune habitude des conseils d’école ou des conseils d’administration, et il est arrivé une catastrophe avec seulement 5 voix favorables lors du conseil supérieur de l’éducation nationale sur 72 votants… Autant écrire que c’est quasiment un enterrement de la réforme ! Portons néanmoins à son actif qu’entre les abstentions et les refus de vote, c’est une coalition hétéroclite qui n’a pas beaucoup de points en commun. Il est vrai qu’entre organisations de parents et syndicats d’enseignants, le rapprochement est difficile à bâtir, si ce n’est sur des défenses d’intérêts urbains partagés.
La première erreur de Peillon, c’est d’avoir immédiatement focalisé le débat sur la durée du temps scolaire alors que, malheureusement, c’est de la place faite à l’enfant dans l’organisation sociale dont il aurait fallu débattre. Un véritable bouleversement des mentalités, quand on épluche les contraintes pesant sur les chères petites têtes brunes, blondes ou rousses. En effet, alors que l’on va s’affronter sur six heures de classe réparties sur 4,5 jours, on oublie que le gamin affiche parfois plus de 45 heures de « travail » effectif dans une semaine. Et c’est souvent un minimum… Souvent, il se lève en milieu rural vers 7h-7h 30 pour démarrer en trombe vers 7 h 30-8 h, afin de récupérer un car de ramassage scolaire ou pour être placé, selon son âge, à l’accueil périscolaire. Il débute la classe à 8 h 30 et s’arrête pour se rendre vers le restaurant scolaire. Il reprend l’enseignement pour maintenant 2h 15, avec un « rab » de 45 minutes. Il sortira de l’école ou sera replacé dans l’accueil périscolaire pour, selon les parents, de 30 à 90 minutes. S’il fait de la danse, de la musique, du football, du handball ou du judo on lui inflige une bonne heure supplémentaire, pour qu’il revienne à son domicile vers 19 h ! On peut continuer tant que l’on veut à transformer une demi-heure en activités périscolaires, ça ne changera rien à la globalité, parfois démentielle, des obligations des enfants dans un système qui doublonne ou empile les moments éducatifs.
La seconde erreur, c’est d’avoir cru qu’il mettrait tout le monde d’accord sur la demi-journée supplémentaire. Le « mercredi matin » est présenté comme « LA » solution, alors qu’il fallait ouvrir le jeu en laissant les adaptations locales sur des territoires éducatifs (secteur de collège). Au moment où l’on va entrer dans l’acte 3 de la décentralisation, on confie le choix au directeur départemental des services de l’éducation nationale… Cherchez l’erreur. Je propose que ce soit le Préfet ou mieux le Ministre lui-même qui, au nom de la notion de Projet territorial, prenne les décisions générales au nom du pouvoir donné aux élus locaux pestiférés, incapables de mener une concertation intelligente, et d’obtenir un consensus prenant en compte la globalité du temps de l’enfant ! Ce décret coupe court à tout innovation, à toute solidarité, à tout replacement des écoles dans le tissu social ! Et en plus, il met gravement en danger le principe que j’ai toujours défendu : le temps d’enseignement doit être géré et financé par la République et pas, subrepticement, partiellement transféré vers les communes ! Peillon et ses penseurs ouvrent la boite de Pandore que Darcos n’avait pas osé lancer, sauf lors de déclarations fracassantes sur la maternelle (« vraiment logique que nous fassions passer des concours bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? ») ou de certains de ses collègues qui voulaient faire payer les jardins d’enfants aux collectivités territoriales ! C’est une faute dont les générations futures paieront l’addition !
Enfin, la troisième erreur tient dans le fait que l’on ait fait des rythmes l’enjeu médiatique de la « refondation de l’école », alors qu’il eût été plus logique de débuter par un Grenelle de l’école, durant lequel on aurait fixé des objectifs sociaux et des savoirs faire plutôt que des contenus théoriques, pondus par des gens ayant perdu tout contact avec la réalité des enfants actuels. Maintenant que tout est bloqué par un décret qui veut que rien ne bouge (ou presque), on va entamer des négociations au niveau local ou territorial dans la précipitation ou plus sûrement le refus de voir évoluer les mentalités. Pas le samedi matin, car j’ai piscine, pas le mercredi car j’ai dentiste, pas le samedi car c’est le seul jour où je fais la grasse matinée ou les courses, pas le mercredi car ma belle-mère ne peut pas venir le chercher… Et j’en passe, et des meilleures !

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Cet article a 3 commentaires

  1. Cubitus

    Un Grenelle de l’école eut été de loin préférable et pas seulement sur les rythmes scolaires mais également sur les programmes et leurs contenus. En y associant parents, enseignants, élus locaux et psychologues spécialistes de l’enfant.

    Pour les horaires, que ce soit le mercredi matin ou le samedi matin, ça posera de toute façon problème. Sans doute beaucoup plus le samedi matin car les parents verront en grande majorité leur week end complet habituel amputé… et les enseignants encore plus (et on ne saurait blâmer ces derniers car tenir une classe de 25 à 30 gamins pendant 6 heures chaque jour est nerveusement épuisant et 2 jours continus pour décompresser ne sont pas un luxe).

    Les programmes aussi devraient être revus pour revenir notamment en primaire à un meilleur apprentissage de l’écriture et de la lecture et à un enseignement succint mais rationnel de l’Histoire et de la Géographie (ha ! les cartes P.Vidal-Lablache qui décoraient les murs de nos classes des tendres années). Pour l’Histoire en particulier, son enseignement chronologique continu comme nous avons connu empêchait plus tard d’hésiter à placer le règne de Louis XIV pendant la Guerre de Cent Ans. A condition d’éviter, même si l’histoire était belle, le retours aux mythes fondateurs chers à la IIIè Répblique, cela va de soi.

    En définitive, une réforme de plus prise dans la précipitation. On commence à avoir l’habitude : chaque année, on se demande à quelle nouvelle sauce vont être cuisinés nos gamins.

  2. Alain BONNEAU

    Je pense moi aussi qu’un Grenelle de l’éducation eut été bien plus profitable, en y associant les partenaires cités par « Cubitus » car désormais, il ne s’agit plus uniquement de parler de programmes et de contenus, mais de la place de l’École républicaine dans la société, de son inscription dans la réalité d’aujourd’hui et ainsi de la reconnaissance de son statut par chacune et chacun.
    Une concertation large sur les valeurs qu’elle doit véhiculer aurait dû être menée ainsi que sur les moyens dont elle doit disposer.

    Et tout ceci repose sur une réflexion encore plus vaste et fondamentale quant à la place que notre pensée sociétale collective souhaite reconnaître à l’enfant aujourd’hui:
    M. Darmian déplie dans son 1er point la journée impensable qui lui est proposée, bien réelle toutefois, et c’est à partir de cela qu’il faudrait avancer la réflexion globale car ce n’est que la face visible de l’iceberg:
    Si l’emploi du temps des enfants est ainsi saturé, n’est-ce pas en rapport avec le mode de vie des parents – subi et engagé à la fois – mais aussi en liaison avec le sens de la communication dans la famille et la société, la formation et la solidarité intergénération-nelles, la place de l’imagination, de la projection d’une vision collective et individuelle à moyen et long termes sur cette formation en début de vie ?

    Pour être logiques et efficaces, ces réflexions devraient être reliées et rediscutées avec les institutions de formation – qui instituent les fondamentaux de l’éducation – n’oubliant pas au passage le rapport à redéfinir entre l’université et l’entreprise.

    Ce serait être vraiment très incomplet que d’oublier les autres institutions, de programmes cette fois, dits « culturels » (entertainment conviendrait mieux) qui s’évertuent depuis des décennies à casser les liens intergénérationnels par la télévision et le marketing, instituant la noyade programmée du temps individuel sous la profusion de futilités technologiques et/ou ludiques :
    rappelons-nous cet argument de Patrick Le Lay, dont les propos, recueillis dans Les Dirigeants français et le changement par la société de conseil EIM, étaient en 2004 les suivants:
    « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ‘business’, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit.
    […]
    Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspec-tateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.» https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Le_Lay

    Contre une telle pression, acceptée et codirigée par l’État
    (Le capital de TF1 SA est détenu par le groupe Bouygues (43,1 %), le public (31,48 %), J.-P. Morgan (10,06 %), Putnam Investmet Management (4,95 %), Sanford C. Bernstein (4,70 %) et les salariés du groupe (5,70 %). Les 0,01 % restants sont détenus en autocontrôle. TF1 SA est cotée à la bourse de Paris.)
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_TF1
    je me demande qui aura assez de courage intellectuel, éthique et de sagesse prospective pour dire aux actionnaires:

    «Non, ce n’est plus l’argent et le souci de faire consommer qui importe mais
    l’enfant d’aujourd’hui, car il est l’avenir de notre société.»

    Qui, aujourd’hui, osera mettre l’avenir de la pensée au premier plan, à l’heure où tout un chacun – surtout les plus grosses industries – cherche(nt) à diriger en sous-main les comportements individuels, à les modéliser pour les assujettir insidieusement, via les technologies numériques de plus en plus miniaturisées?
    Alex Türk, le président de la CNIL et un temps du G29 (ensemble des CNIL européennes) développe précisément le sujet dans « la vie privée en péril des citoyens sous contrôle » Odile Jacob 04/2011.

    Deux questions pour conclure/ouvrir aujourd’hui :

    1- Y a-t-il encore un projet de société pensée autre que de manipulation consumériste?

    2- Le gouvernement va-t-il prendre cette responsabilité de permettre
    un vrai « Grenelle de l’Enfant  » ?

  3. BAQUE Christian

    5 voix sur 72, une vraie réussite pour Peillon.
    1. Je note qu’en Gironde, nous sommes depuis 20 ans en semaine de quatre jours à la satisfaction de tout le monde. Pourquoi ne pas avoir fait d’études SERIEUSES si on veut nous démontrer que c’est nocif pour les enfants ?
    2. Ce projet vise, selon le ministre, « à faire évoluer l’école autour d’un projet territorial ».
    Donc un projet établissant des horaires et des contenus d’enseignement différents d’un « territoire » à l’autre ? Où est l’école de la République ? Va t on conserver le droit à une instruction nationale, garantie par des programmes et des diplômes nationaux ?
    3. Même l’AMF qui a voté pour … émet des réserves ! Il est vrai que ces grands barons voudraient bien mettre la main sur le scolaire (comme Rousset le réclame pour les régions).
    En conclusion : il est urgent d’attendre pour nos communes avant de mettre le doigt là dedans. Et il ne reste au ministre qu’à retirer sa réforme et son décret.

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