Le rétroviseur aussi sophistiqué soit-il ne saurait embrasser la totalité du paysage que l’on laisse filer derrière soi. Il en va de même pour les fameuses rétrospectives que distillent les doubles pages des quotidiens ou les rédactions des télévisions, elles ne conservent que des parcelles de ce qu’aura été la réalité. Le filtre des souvenirs ne permet pas nécessairement de dénicher, dans l’eau grise des jours, des pépites précieuses pour l’Histoire. Malheureusement, la grande spécialité actuelle s’appelle le « bêtisier », sorte de vidéo gag réputé auto-dérisoire, alors qu’en fait, il ne sert qu’à illustrer la fragilité des instants sérieux. Partout on tente de persuader le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur que la face cachée des produits fabriqués à son intention n’est pas toujours aussi parfaite qu’ils le pensent. Et c’est vrai… la vie manque beaucoup d’humour, car elle est souvent bâtie par des gens trop sérieux pour être crédibles. Pire, trop souvent ils se prennent eux-mêmes trop au sérieux en prétendant détenir la vérité sur tous les sujets. En 2012, jamais on n’a été aussi sombres, aussi prudents, aussi méfiants, car aux obsèques de ce monde, on pense qu’il faut adopter une attitude de circonstance.
En 2012, alors que celles et ceux qui le connaissent tant soit peu, adoraient cette tendance qu’il avait à lancer des piques humoristiques, François Hollande s’est glissé dans les habits d’un Président « normal ». Plus rien ou presque. Une campagne électorale lisse comme une table en formica dont l’Histoire aura du mal à sortir un épisode original. La normalité a pesé sur l’année 2012 qui aura été encore plus que ses devancières marquée par la sécheresse des chiffres, des ratios, des objectifs et surtout pas par l’humour ou la chair des mots. En fait, le roi des derniers mois est devenu « pourcentage », une notion que l’on place dans tous les discours mais dont peu de monde (niveau scolaire oblige) ne connaît la véritable signification. Plus un seul sujet n’est abordé autrement que par ce calcul, censé illustrer une réalité inquiétante ou positive.
Le chômeur n’a plus figure humaine, mais il appartient à une courbe, à un diagramme, à un… pourcentage, sur lequel on va discourir durant des heures. Toute la politique du gouvernement n’est guidée que par le respect des fameux 3 % de déficit budgétaire imposés par le traité européen. On parle de pourcentages d’échec dans le système éducatif ou de pourcentages de réussite au bac… ou d’entrée en seconde générale : le niveau éclipse dans tous les cas la réalité ! Pour les impôts, on s’écharpe sur 75 % de sommes sans même se poser la question morale du niveau des revenus qu’ils concernent. Les évaluations de ce type peuplent chaque instant de la vie politique, pendue par exemple à celle de l’augmentation ou de la baisse du CAC 40. Les gens sous le seuil de pauvreté : 8% de la population. Les résultats des récentes législatives partielles donnés en %, alors qu’ils n’ont aucune signification quand on les replace par rapport au nombre d’électrices et d’électeurs concernés. Une polémique éclate sur les pourcentages des actes de délinquance, ce dont on n’a rien à cirer quand on est victime des faits répertoriés de manière tordue ou quand les services publics concernés refusent votre plainte pour ne pas dégrader leurs résultats ! Il y aurait tellement d’autres exemples que la démonstration deviendrait lassante !
Chaque jour, un sondage exprimé en pourcentage de pourcentage de personnes dites représentatives de pourcentages de catégories sociales ! Les cotes de popularité suivent… et durant les présidentielles, les débats ont été calqués sur des intentions de vote exprimées. Le fond, jamais. Les pourcentages scrutés, explicités, analysés par des exégètes réputés compétents ont mobilisé l’opinion et fait vendre du papier ou de l’Audimat, alors que les idées sont passées à l’as !
En 2012 des milliers de pourcentages ont envahi le quotidien. On sait fort bien que l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, car les bases de calcul, très souvent méconnues, constituent la seule référence intéressante. Mais comme, dans le même temps, on apprend que le niveau scolaire en mathématiques s’effondre en France, il sera vraiment possible de multiplier des non-sens synthétiques, comme ce fut le cas en permanence durant l’année écoulée. Et ce n’est pas parce qu’ils disparaissent dans le rétroviseur que nous ne les verrons pas réapparaître dès le premier jour de l’an neuf !
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La dictature des chiffres
La dictature des chiffres 🙁