Noël se partage entre le matin et le soir

Autant les matins de Noël sont enchanteurs, bruyants, prometteurs, autant les soirs sont tristes, silencieux et peuplés de regrets. Dans la très grande majorité des foyers, quelle que soit la valeur des cadeaux posés au pied d’un sapin mort pour la fête, le principe social des présents pensés pour l’autre portent des éclats potentiels de bonheur. Dans les yeux d’un enfant ou dans le regard amusé d’un aïeul, on trouve les paillettes tellement recherchées dans le courant plus ou moins tumultueux de la vie quotidienne. En fait, le plaisir d’offrir prend souvent le pas sur celui de recevoir. On est plus inquiet de ce que l’autre va penser de ce que l’on a prévu pour lui (ou pour elle) que de ses propres paquets à dépouiller. Les gosses attendent de plus en plus une arrivée conforme à ces fameux courriers de consommateurs à satisfaire, qu’ils ont adressés au Père Noël, inventé par des adultes qui veulent se donner de l’importance. Les adultes scrutent les réactions du destinataire d’un livre, d’un cédérom, d’un flacon de parfum, d’une chemise ou d’une paire de chaussettes… mais il est vraiment impossible de compter sur un accès de sincérité puisque la bienséance l’interdit. N’empêche que l’espoir plane autour des paquets cadeaux. Tous les souvenirs qui peuplent les albums personnels se ressemblent et font de Noël encore et toujours la fête païenne du partage. Cette année, plus que jamais, il a régné un brin de culpabilité chez certains et sûrement une belle dose de déception pour d’autres. La période prédispose à ces situations !
L’industrie des rendez-vous qui parsèment le déroulement du temps a battu son plein. Des records de transactions via les cartes bleues, passeports incontournables des gens qui ne comptent pas trop, sont dans les tiroirs des banques. La rentabilité de la frénésie consumériste s’annonce vertigineuse, tellement la course à l’oubli a drainé du monde. Malgré des lendemains annoncés comme déchantant, Noël a déjà servi d’exutoire aux peurs ambiantes, comme si l’on savait que dans une semaine, il sera véritablement naïf de croire aux seuls vœux de bonne année. Le rendez-vous familial, détendu et surtout tendre, nonobstant les situations financières, est devenu celui que préfèrent les gens simples. Les grands réveillons du nouvel an, rassemblant des centaines de convives pour des repas dansant sont en perte de vitesse, comme si la joie de vivre se noyait dans une discrétion rassurante. La famille est une valeur plus sûre que les voisins, les copains ou les connaissances fortuites. Elle colle davantage à la crise que les moments ostentatoires à des prix prohibitifs. L’espoir ne se partage plus dans des grands cercles, mais dans la proximité des générations. Inévitablement, les plus âgés font un tabac lors des agapes familiales en contant par le menu ces années durant lesquelles on se contentait d’une plaque de chocolat, d’une orange ou d’un camion en bois, chargé de paquets de gâteaux secs en promotion ! Difficile d’expliquer aux jeunes présents que le bonheur n’a pas toujours été dans le superflu ! Les écrans déferlant de partout pour occulter la pérennité de l’écrit, les boites volumineuses enfermant des personnages menant des vies aventureuses ou de nantis, les poupées mannequins ayant supplanté les poupons joufflus en celluloïd…déchaînent les envies durant quelques heures. Une effervescence particulière a régné toute la matinée dans les salles à manger, les salons ou dans les cuisines, avant lentement de s’éteindre. La famille s’est dispersée avec son chargement de promesses de « revoyure », ses cadeaux lourds de tendresse mais dont l’avenir est incertain, ses tonnes de regrets de ne pas avoir vu passer les 20 heures précédentes. Plus tard dans la soirée, devant son bouillon de légumes laveur des consciences gagnées par la culpabilité d’avoir oublié son régime Dukan ou ses sachets Slimfast, on trouve le sapin dénudé et solitaire. Le silence envahit les lieux. Le seul écran allumé est celui de la télévision, ressassant ses classiques inusables. Les tables si patiemment préparées ont été dévastées par la tornade des appétits. Les cadavres de bouteilles attendent de rejoindre le tri sélectif.
A partir de demain matin, il faudra continuer à croire au Père Noël, et tenter de se persuader que chaque jour ne peut pas être celui du partage. Surtout en cette période. Une cure de jouvence n’a jamais fait de mal à personne.

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