Le vrai débat que l’on devrait engager dans notre société porte sur un mot qui devient le plus important de la langue française et qui fonde la vie politique ou économique : « réussite ». Tant dans le système scolaire où il a été remplacé inconsciemment par « échec » que dans le quotidien où on ne parle que « d’exclusion ». A la fin du XXème siècle, le fantasme de Tapie a remplacé celui de Mozart, et les rêves des gosses sont peuplés de contrats de footballeurs professionnels milliardaires alors qu’aucun n’imagine un seul instant que « réussir » peut ressembler à artisanat ou à toute autre version concrète de l’épanouissement. En fait, avant toute rédaction d’un programme, il faudrait qu’un café philosophique soit organisé afin de répondre à cette question : qu’est-ce que réussir en 2013 ? Est-ce que cet objectif repose sur le volume du compte en banque ? Alain Afflelou, dont on connaît l’intérêt pour le débat philosophique, se fait le porte-parole des gens qui comptent ou qui surtout comptent sur le travail des autres pour atteindre un « paradis » que l’on dénomme « fiscal ». On a même détourné la réussite religieuse en lui accolant une valeur « profitable » qui ne choque apparemment pas le Pape, lui aussi assis sur le tas d’or du Vatican.
En annonçant son installation à Londres, l’opticien qui vend son nom à des franchisés, a dénoncé samedi « une guerre de tranchées » livrée selon lui aux entrepreneurs et à « ceux qui réussissent » (sic). Il se considère d’une manière ou d’une autre comme une personne qui a donc réussi, puisqu’il a pu vendre son nom à travers des actions permanentes de communication. La réussite par le frac des réceptions et le fric des actions éclabousse ce monde des affaires qui revendique une reconnaissance comparable au niveau de sa cotation en bourse. Et en fait, il admet que le profit redonne à notre époque le droit aux privilèges, comme ce fut le cas au XVIIème et XVIIIème siècles.
« On est en train de revenir en 1789: il faut arrêter de dire que les chefs d’entreprises sont des voleurs, des voyous, des gens malhonnêtes » a commenté ce chantre d’une forme de réussite. « Il n’y a pas que les artistes qui ont le droit d’être considérés: des gens qui travaillent et en font travailler d’autres, on en a besoin », a-t-il jugé en grand philosophe de la planète ! Pour lui, la réussite se mesure donc au montant des impôts que l’on ne paye pas ! Il dénonce ainsi une « fiscalité injuste et confiscatoire ». Alain Afflelou assure : . »J’ai payé des impôts, j’en paye beaucoup et je n’ai pas à en rougir. Mais le système en France est extrêmement défavorable pour tous les chefs d’entreprise et ceux qui cherchent à entreprendre ». Ils sont nombreux, très nombreux à considérer que réussir dépend du volume de la voiture, de la grandeur de la maison, du mobilier qu’elle contient, de la tonte de la pelouse, du lieu de ses vacances ou du nombre de passages à la télévision ! Et dans ce système nourri par les exagérations médiatiques, celle ou celui qui applique à la « réussite » d’autres critères devient un handicapé mental. D’ailleurs, la considération sociale repose désormais uniquement sur ces apparences parfois très trompeuses !
La mise en œuvre concrète, opiniâtre, d’autres valeurs que celles prônées par un « opticien » médiatique, exploitant sa notoriété basée uniquement sur un déluge publicitaire , par un comédien talentueux mais tributaire du travail de dizaines d’autres personnes tout aussi talentueuses, par des sportifs dopés millionnaires, par des PDG soutenus par des conseils d’administration leur devant leurs jetons de présence… devient illusoire ! Le formatage idéologique est devenu tellement prégnant que le combat est voué à l’échec. La « réussite » ce n’est plus de se sentir heureux de faire le mieux possible au service des autres mais tout bonnement de quantifier les bénéfices qu’apporte son action dans un contexte collectif ! « Mieux vaut une réussite solidaire qu’une réussite solitaire » explique Albert Jacquard dont on ne peut à aucun moment comparer celle qui aura été la sienne avec celle des personnes énumérées ci-dessus. Il est vrai qu’Albert Jacquard n’a jamais eu l’intention de s’exiler, car sa réussite n’a aucun rapport avec son compte en banque. Elle est purement intellectuelle, comme pour bien d’autres personnes qui se consacrent à des actions d’intérêt général. Le problème essentiel, c’est que leur « utilité sociale » ne se traduit pas en « profits », en « emplois exploités », en « actions boursières »… Le retour du « grand philosophe » Bernard Tapie, grand ami de la balle ronde « rentable » comme l’est Afflelou et comme le restent bien des gens blindés qui se payent une virginité grâce au football, laisse augurer un regain du populisme simpliste, qui finira par prendre les traits hideux de l’extrême-droite ! On est loin de Mozart, Van Gogh ou Molière dont il faut bien reconnaître que la réussite a été, comme pour beaucoup d’autres, post-mortem !
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Notre système s’aligne sur le système américain où la réussite se mesure en dollars, maisons et voitures de luxe. Le libéralisme économique, doctrine du XVIIIè siècle faut il le rappeler, était adapté à la société d’alors. Mais aujourd’hui, nous sommes au XXIè siècle, le monde est différent. Le libéralisme s’est asservi au capitalisme et refuse de s’adapter aux mutations de la société. Il ne remplit plus sa mission de création d’emplois, au contraire il les détruit au nom de la rentabilité et d’un profit toujours plus important. Et quel que soit le régime politique en place car les politiques se mettent à la merci des financiers soit par duplicité, soit en ne prenant pas les mesures qu’il faudrait. La fracture s’aggrave de jour en jour entre ceux qui produisent par leur travail et les investisseurs, entre ceux qui travaillent simplement pour pouvoir vivre et ceux qui investissent pour amasser encore plus de capitaux. Un jour où l’autre il y aura rupture, c’est inévitable, et les politiques risquent fort de se retrouver dans la même charette que les spéculateurs. La leçon de 1793, lorsque face à l’augmentation débridée des produits de première nécessité, les sans culottes et la populace parisienne ont dicté leur loi à l’Assemblée et quasiment pris le pouvoir, a été oubliée. C’est un tort. Et 1968 aussi. Ça pourrait fort bien se reproduire à terme.
Passez malgré tout de bonnes fêtes.
la réussite ce n’est un jeu de chance et de hasard ?