Comment passionner pour des chiffres et des lettres ?

Quand on a été enseignant et que l’on a cru dans la mission que vous avait confié la république, il y a des statistiques insupportables. L’illettrisme a en effet reculé en France ces dernières années, mais concerne toujours 7% des adultes de 18 à 65 ans, soit 2,5 millions de personnes, selon une étude de l’Insee. Un constat qui a de quoi révulser toutes celles et tous ceux qui ont cru que leur combat était contre ce fléau social. Au total, 16% des personnes de 18 à 65 ans résidant en France métropolitaine éprouvaient en 2011, des difficultés dans les domaines fondamentaux de l’écrit, selon cette enquête Information et vie quotidienne (IVQ). Pour 11% d’entre elles, ces difficultés étaient graves ou fortes. C’est une triste réalité beaucoup plus angoissante que les cours du CAC 40 ou que le niveau de la dette européenne. Certes, ce pourcentage inclut des étrangers n’ayant pas été scolarisés en France, alors que par définition, l’illettrisme ne s’applique qu’aux personnes ayant été scolarisées dans le pays et ne maîtrisant pas suffisamment les compétences de base en lecture, écriture et calcul pour être autonomes. Il ne faut absolument pas s’exonérer d’une forte réflexion sur ce facteur dramatique d’exclusion ! Parmi les populations étrangères ayant été scolarisées en France, 7% étaient dans ce cas, et pouvaient donc être considérées comme illettrées.
Lors de la précédente enquête menée sur le même thème en 2004, 12% des personnes interrogées étaient dans une situation préoccupante par rapport à l’écrit et 9% étaient illettrées, soit quelque 3 millions de personnes. L’Insee explique cette amélioration notamment par « l’exclusion du champ de l’enquête 2011 de la génération née avant 1946, présentant un taux élevé de personnes en difficulté (un tiers) et par la prise en compte de jeunes nés après 1986, pour lesquels ce taux est relativement plus faible (soit 10%) ». Selon l’Insee, « cet effet génération reflète le développement de l’accès à l’enseignement secondaire » qui était « très faible » pour les générations nées avant-guerre. Une vraie catastrophe économique et plus encore sociale !
L’enquête, fondée sur un questionnaire soumis à 14.000 personnes avec des exercices reprenant des situations de la vie quotidienne (programme TV, CD de musique, ordonnance médicale…), montre que les jeunes de 18 à 29 ans s’en sortent globalement mieux que leurs aînés en lecture et en compréhension orale. En revanche, la part des personnes très à l’aise en calcul est en baisse par rapport à 2004. 16% des 18-65 ans ont des performances médiocres dans ce domaine et la part des personnes très performantes âgées de 18 à 30 ans est passée de 36% à 33% entre 2004 et 2011.
L’Insee y voit notamment un « effet calculette », l’usage des outils informatiques amoindrissant « sans doute chez les plus jeunes l’intérêt à maîtriser parfaitement les règles de base du calcul ». L’enquête relève également un « écart marqué » entre hommes et femmes dans ce domaine: près de 20% des femmes ont des résultats médiocres en calcul contre 14% des hommes, et seulement 24% de femmes ont d’excellents résultats contre 35% des hommes. Est-ce rassurant pour la citoyenneté, pour l’exercice libre des activités sociales ? Comment ne pas avoir des consommateurs captifs ? Ces carences constituent de pires boulets que ceux mis aux pieds des bagnards !
Cet « avantage masculin » dans les disciplines mathématiques apparaissait déjà en 2004, relève l’Insee, précisant qu’il s’inverse à l’écrit, les femmes ayant l’avantage en la matière (avec 17% d’hommes en difficultés contre 15% de femmes). L’Insee rappelle que le niveau de compétence des adultes est fortement lié au pays et à la langue de scolarisation. Parmi les 16% de personnes en difficulté à l’écrit, le taux bondit à 61% chez celles scolarisées hors de France, dans une autre langue que le français, et à 31% chez celles scolarisées hors de France mais en français.
La lutte contre l’illettrisme devrait devenir une cause nationale sous un régime de gauche. Un plan Marshall contre cette carence gravissime devrait vite être mis en place. Pour les hommes, il y avait autrefois le service militaire ou le service national qui permettaient une détection de ce handicap, et je me souviens, en tant qu’instituteur, avoir eu à aider des appelés réunionnais à sortir de ce statut. La réalité devient préoccupante, mais dans le fond, seuls celles et ceux qui savent lire et écrire (le taux doit être encore plus terrible dans le domaine de l’incapacité à écrire un texte compréhensible et cohérent) peuvent se soucier de gommer ce handicap ! En sont-ils capables ?

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Cette publication a un commentaire

  1. SANZ

    Je fais partie de ceux et celles qui savent lire et écrire. Suis-je moi, alors, capable d’aider ceux et celles qui ont ce handicap qui est l’illettrisme ? Je ne suis pas enseignante ; je ne connais pas les matériaux nécessaires pour instruire les bases de l’écriture et de la lecture. Je ne me souviens d’ailleurs plus comment j’ai appris à lire et à écrire.

    Puis-je quand même apporter mon soutien à ceux et celles qui ne sont pas dotés de ces savoirs de base que sont la lecture, l’écriture et le calcul pour que – je vous cite – l’exercice libre des activités sociales leur soit possible ?

    Mes expériences professionnelles d’hier ne m’ont jamais mise en défaut face à des personnes (adultes jeunes et moins jeunes auprès de qui j’ai pu intervenir) de ne pas savoir leur faire des propositions de moyens que j’ose appeler aujourd’hui de défense contre une société consumériste qui propulse, via les industries culturelles de masse au service du marketing, des comportements addictifs comme mode de vie.

    Et ces moyens reposaient sur ma capacité à lire, à écrire et à compter ; ils me permettaient à la fois d’analyser les situations des personnes et de leur en rendre compte. Cette posture à leur égard avait l’avantage d’éveiller (si ce n’est même de réveiller) leur intérêt pour la lecture et l’écriture jusqu’à leur donner envie voire les motiver à tenter d’apprendre ou de réapprendre à lire et à écrire. Il était alors possible d’orienter ces personnes vers des structures où des enseignants proposaient leurs services.

    Ainsi j’ai toujours considéré que les activités de la vie quotidienne sont l’entrée en matière pour aborder les problèmes rencontrés par les personnes en même temps que les moyens dont elles peuvent se saisir comme acteurs (comme par exemple dans le cas de l’illettrisme l’inscription à un cours de français ; ce tant qu’il est encore vrai et qu’il est toujours admis qu’une relation d’aide ne consiste pas à faire les choses à leur place ni même à dire à leur place, voire à leur faire dire).

    Ces expériences me permettaient de progresser dans l’accompagnement que j’étais en mesure pas à pas de construire avec les personnes qui souhaitaient poursuivre nos rencontres. Cette construction à ma mesure (je veux dire en tant qu’elle n’était pas démesurée, autrement dit qu’elle ne promettait pas monts et merveilles) assurait en même temps ma capacité à apporter un soutien véritable.

    Et c’est ce souci à la fois des personnes et de ce que je pouvais leur proposer qui m’incline à dire que oui, je faisais partie des personnes capables. Et j’en ai toujours exprimé le souhait : la preuve en est ma formation initiale de travailleur social et plus précisément de CESF qu’aucun argument encore aujourd’hui vient me convaincre de m’en éloigner (et surtout pas après l’actualité de ces dix dernières années, comme ces chiffres sur l’illettrisme que vous rappelez).

    Cette capacité professionnelle aurait dû légitimement se développer à partir de la succession d’expériences et je ne doute pas qu’elle aurait accédé à une maturité qui m’aurait permis d’en faire état auprès de mes pairs grâce à l’écriture (et les personnes mal intentionnées à mon encontre oseront-elles aussi dire ici que je ne sais pas écrire ?).

    A l’heure de l’évaluation de l’efficience des compétences, il est préféré des méthodes toutes faites, rassurantes voire transparentes plutôt qu’un partage d’expériences, vécues, mobiles/malléables, non reproductibles et critiquables. Ces méthodes sont même employées pour « faire penser » autrement dit philosopher et je vous communique le lien vers la méthode en philosophie expérimenté auprès des enfants.
    http://www.vousnousils.fr/2012/11/22/philosopher-ecole-primaire-methode-michel-tozzi-537802

    Or, si les enfants sont un public encore docile qui accepte d’essayer les méthodes autorisées par l’institution scolaire, les adultes jeunes ou moins jeunes ne peuvent pas s’adapter à ce genre d’outil. J’irai même jusqu’à dire que c’est leur confrontation négative à ce type de méthode et leur exclusion effective du système scolaire censé pourtant préparer leur passage dans un sytème social libre et créatif, qui ne leur permet plus de s’y adapter. Ils l’ont en horreur. D’où leur éloignement des structures sociales qui voudraient imiter ce qui les a mis en échec une première fois.

    En revanche, il s’agit de pouvoir proposer des moyens qu’ils peuvent adopter. Par conséquent, il s’agit toujours de se prémunir du travers de la prescription de choses à faire faire. Et je crois une fois encore que cela passe par s’interroger soi sur ce que l’on peut apporter comme savoir lire et écrire qui est plus que jamais une capacité nécessaire. C’est ce constat qui m’amène à dire que je fais toujours partie des personnes capables d’aider ceux et celles qui ont ce handicap qui est l’illettrisme.

    J’ajoute que le support documentaire a toujours été le fil conducteur dans mon parcours professionnel : ce qui m’a conduite aux textes juridiques en cela qu’ils guidaient/bordaient la légalité/ le champ de mes interventions. Mais aujourd’hui, la Loi qui était hier intériorisée comme signalement d’une valeur dont on avait conscience et qui était gardée comme telle, donc protégée, est devenue un règlement à appliquer, du prêt-à-l’emploi qui d’ailleurs ne donne, à mon humble avis, plus le goût d’apprendre à lire et à écrire. Pour lire ça…

    Ce que je ne savais pas en revanche, c’est que cet intérêt jamais démenti pour la documentation sous toutes ces formes me conduirait aux technologies numériques. C’est il me semble une évolution normale mais qui montre le goût moi-même que j’ai pour apprendre vu que ces technologies n’existaient pas, de surcroît sous leurs formes actuelles, quand j’ai été formée.

    C’est pourquoi aujourd’hui comme hier, je me crois encore et toujours capable de proposer à des personnes adultes (jeunes et moins jeunes) une nouvelle forme d’accompagnement qui n’élimine pas la relation individuelle mais qui offre surtout des perspectives nouvelles, à tenter, de construction d’un savoir partagé, avec en plus l’attrait que représente le support numérique et grâce à lui, l’accès à des outils documentaires de qualité.

    J’y vois ici le moyen, s’il m’était permis de l’essayer, de le tenter, de retrouver la capacité d’accompagner des personnes pour les aider à résoudre les difficultés de la vie quotidienne à partir des problèmes qu’elles rencontrent, autrement dit de ce qui leur fait défaut dans leur vie de tous les jours, sur le modèle non prescriptif (comme par exemple leur inclusion dans un dispositif social) mais sur un mode contributif. Et je vous invite à prendre connaissance (si vous ne la connaissez pas déjà) de l’expérience rapportée dans l’article La Lettre du Cadre territorial du 1er décembre 2012 (p24) intitulée « S’enrichir de ses désaccords : la méthode Viveret ».

    Et je reste persuadée qu’au vu de l’état de prolétarisation qui touche toutes les catégories sociales de notre société actuelle, cette forme d’accompagnement représente aussi le trait d’union pour informer et former mes pairs lettrés à exercer librement pour eux-mêmes leurs activités sociales mais aussi professionnelles face à une captation de leur attention sur des procédés d’aide sociale qui malheureusement ne remettent pas en cause la société consumériste et ses conséquences toxiques.

    Je vous remercie de votre attention.
    Noëlle SANZ

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