L’école devient la grande priorité des réformes gouvernementales tant il devient difficile dans le contexte actuel de faire avancer les projets défendus par le Président de la République. Alors que deux piliers potentiels du gouvernement (Montebourg et Cahuzac) traversent la tourmente, Vincent Peillon va entrer dans le triangle des Bermudes scolaires, le pire, celui que craignent tous les Ministres depuis des décennies. Hostilité des parents, désapprobation systématique des enseignants, accusations rapides de brader l’intérêt des enfants… il est devenu quasi impossible de changer quoi que ce soit à la marche du système éducatif. Il prépare une loi devant refonder l’enseignement primaire. C’est probablement le plus ,mais c’est aussi le niveau de base auquel il faut apporter des réponses convaincantes. Avec une armature idéologiquement similaire à toutes celles qui l’ont précédée, le Ministère (à ne pas confondre avec le Ministre !) a retenu des axes d’action que ses penseurs estiment essentiels. Encore une fois, ce sont des considérations matérielles qui l’emportent sur une réforme profonde bien plus difficile, celle de la pédagogie et de la place accordée réellement à l’élève dans le processus d’apprentissage.
Justement, le premier aspect de ce qui devrait être une loi fondatrice, concerne la « formation » qui a été saccagée au cours des années sarkozistes de manière délibérée. Le débat va être tendu autour de ce sujet. Pour assurer une vraie formation initiale et continue pour les métiers du professorat et de l’éducation, Peillon va créer des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Elles seront reconstruites à l’échelle régionale avec des déclinaisons départementales sur les « ruines » des ex-IUFM. J’ai en mémoire, de mon passé de syndicaliste, la capitulation de Lionel Jospin, conseillé par son penseur, futur dépeceur de mammouth, un certain Claude Allègre qui, une nuit, dans une négociation, céda cette formation aux universités. Le 10 juillet 1989 sont créés les IUFM, des instituts chargés, dans chaque académie, de la formation de tous les enseignants, du premier comme du second degré. Cette loi indique : « Sera créé, dans chaque académie, à partir du 1er septembre 1990, un institut universitaire de formation des maîtres, rattaché à une ou plusieurs universités de l’académie » (article 17). Et lentement, le système, d’une complexité absolue et reposant sur des savoirs davantage que sur des savoirs-faire, va déraper. Les liens avec les universités sont variables et surtout inégalitaires d’une académie à l’autre. Lentement, la notion d’enseignement de la pédagogie se déroula avec de moins en moins de pratique. On en arrive même à expédier des enseignants, sans aucune formation réelle, face à des classes exigeantes ! Les écoles normales sont rangées au rayon des souvenirs ! Désormais, on va parler d’Écoles supérieures du professorat et de l’éducation dont le degré d’intégration dans les cursus universitaires n’est pas encore fixé, puisque des syndicats ne veulent pas qu’elles soient indépendantes des cursus universitaires… On attend la fin d’âpres négociations pour finaliser leur statut.
La loi prévoit, comme ce fut le cas pour toutes les autres, de faire entrer l’école dans l’ère du numérique afin de prendre véritablement en compte ses enjeux et atouts pour l’école. Encore une belle phrase, car on sait bien qu’il y a eu antérieurement des plans informatiques. J’ai « vendu » le premier, décidé par Jean-Pierre Chevènement, qui suivait celui sur les « minitel », monté par le Directeur du Centre régional de Documentation pédagogique d’alors. Inexorablement apparaît la volonté des élus locaux, financeurs des équipements, et comme nous entrons dans une période de vaches plus que maigres, il y a fort à parier que l’ère du numérique n’arrivera pas encore dans toutes les écoles (quel débit accessible ? Qui réglera les frais de fonctionnement, d’entretien. Quel sera le plan de formation, en cette période où les remplacements ne peuvent pas être assurés ?…) La ruée sur les tableaux numériques présentés comme des outils indispensables à la réussite scolaire attire déjà les marchands du temple pédagogique ! Quels seront les objectifs ?
A ce sujet il y a une piste : mettre le contenu des enseignements et la progressivité des apprentissages au cœur de la refondation. Une énième refonte des programmes sera pondue dans les meilleurs délais… comme si c’était l’essentiel. J’ai connu dans ma trop brève carrière, face à une classe, des dizaines d’instructions officielles, toutes contradictoires ou dénuées de bon sens. En fait, il faut redonner des objectifs globaux à l’école et individualiser au maximum les parcours afin que l’échec n’existe pas, grâce à des techniques pédagogiques. J’ai enseigné dans une classe dite à l’époque de « fin d’études », des classes dites de « transition » en quartier très difficile, des classes de 4ème pratiques et des cours moyens à plus de 35 élèves en ZEP (il paraît que c’est désormais très tendance de dire, au niveau le plus élevé de la vie politique, que l’on a effectué des passages en ZEP) et j’ai très souvent trouvé, après un temps plus ou moins long, un centre d’intérêt positif pour chaque gamin. En revanche, j’ai reçu après la publication de mon livre « jour de rentrée », une lettre poignante d’un enfant de la première classe dans laquelle j’ai exercé. Il m’a fait promettre de ne jamais divulguer son nom tellement sa blessure est toujours aussi douloureuse 45 ans plus tard ! Voici l’intégralité de son message, envoyé après une réunion durant laquelle j’ai retrouvé ces premiers enfants de ma vie professionnelle :
Quelle thérapie cette réunion!
« Depuis la réunion, je suis un peu perturbé. Je revendiquais ma condition de cancre dans sa bulle, comme Christian dans la sienne, de savoir et de soif d’apprendre. Les quelques mots que tu m’as dit en te souvenant de moi: élève timide et réservé, tu pouvais rajouté « nul ». Je le savais déjà, tout ça ne me concernait pas. Je n’étais pas comme les « autres » du moins je le ressentais comme tel. Depuis samedi, une question m’obsédait. Pourquoi? Pourquoi ne pas être comme les autres et apprendre même un peu. Question qui m’a taraudé toute ma vie.
Cette nuit, j’ai enfin pût remonter ce temps enfoui dans ma mémoire et volontairement oublier sans jamais parvenir à revenir. J’ai remonté le temps des cahiers avec ses pages blanches rendues avec juste la date, les annotations avec élève médiocre, leçons pas sues, devoirs pas faits…. Ses coup de règles sur les doigts qui m’indifférer, pour devoir pas faits, leçons pas apprises.
J’ai remonté le temps. Difficile, jusqu’en CP, mon premier cahier, mes premières lignes que je voulais montrer tout fier à ma mère, illettrée, fatiguée de ses 10 heures de boulot, fatiguée de cette vie de merde qu’ils menaient alors. Elle m’a pris le cahier énervée comme elle était souvent l’a jeté contre le mur avec un « Tu m’agaces avec ça! Alors que je ramassais le cahier, mon père toujours un peu aviné, à cru que j’avais fais une connerie, m’a infligé comme souvent une bonne raclée avec sa ceinture « ça t’apprendra à énerver ta mère! Et on ne pleure pas sinon c’est le double! Un homme ça pleure pas!
Je n’ai plus jamais ouvert un cahier à la maison, et plus concerné par tout ce qui touchait l’école de près ou de loin. Physiquement présent c’était tout. A tel point que je n’ai jamais pût réaliser des travaux dans des écoles 30 ans plus tard.
Le pourquoi je le connais à présent. Quel gâchis!
Je n’en veux pas à ces parents qui bossaient comme des dingues pour une poignée de figues, juste pour donner au petits de quoi manger.
J’en ai voulu à l’école, c’était peut-être plus simple pour moi. Jamais aux instituteurs(rices)
C’est pour ça que je n’ai pas beaucoup de souvenirs, j’oubliais à mesure, c’est tellement plus facile.
Tu ne pouvais pas le voir ni personne, j’avais déjà enfoui cet épisode dans ma mémoire et oublier. Çà devait rester quelque part dans mon subconscient qui me faisait dire de moi et me persuadait que j’étais un cancre dans le sens noble et pur du terme. C’est tellement facile de s’en persuader. J’ai de l’eau qui coule sur mes joues en pensant à ce jeune, je ne sais pas ce que c’est » un homme ça pleure pas! «
Merci , merci pour ce têtard, merci d’être à l’origine toi et ton livre de cette réunion, qui a fait qu’on c’est tous retrouvés, que je me suis moi, enfin retrouvé.
Tu vois, une pierre de plus pour l’édifice contre tes doutes! »
Je dédie ce message à celui qui va écrire la loi de refondation de l’école, et je pleure de tristesse, mais pour moi, ça vaut tous les discours ! Excusez moi mais j’ai de « l’eau qui coule sur les joues » d’émotion en le lisant et le relisant !
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Bonjour,
un bien beau témoignage, que dire après cela … Analyser ses propres échecs, aller au fond des choses et rebondir, une leçon de vie qui devrait inspirer chacun d’entre nous à commencer par ceux qui nous dirigent.
Bonne journée
Hé oui et le temps du bon certif ou les maitresses,maitres et instits étaient fiers lorsque les élèves recevaient leurs supers diplômes!