On est loin, très loin, du music-hall politique parisien !

Une journée en Mairie c’est une quinzaine de rendez-vous individuels qui se succèdent de 8 h à 18 h avec un repas de travail entre 12 h et 14 h… Les motifs inscrits au bas de la fiche ne varient guère : mutation professionnelle, soutien à une entreprise, emploi, logement, emploi, logement… place en EHPAD pour un ascendant en situation de dépendance, recherche de contrat d’alternance pour jeune berné par les lieux de formation lucratifs et en fin de soirée, présidence de la réunion des villes bastides de Gironde, à la recherche de financement pour leurs investissements 2013. Mon couloir va devenir l’antichambre des maux d’une société en crise profonde et surtout plongée dans une angoisse terrible sur son avenir immédiat. Les réponses à cette situation sont inaudibles, car depuis des décennies on a cultivé la réussite individuelle matérielle qui est un dû de la collectivité à chacun. Il n’y a plus que certains élus ayant porte ouverte, chez lesquels on vient chercher au maximum un miracle et au minimum un réconfort. On est loin, très très loin, de ce que les médias montrent d’une fonction éphémère confiée, qu’on le veuille ou non, par le suffrage universel. Pas un jour sans que je ressente ce décalage venant de généralisations débiles ou de comparaisons sans aucun fondement réaliste.

Depuis une semaine, avec trois adjoints et le personnel communal, nous nous débattons par exemple pour tenter de « sauver » une jeune femme SDF qui erre dans Créon. Elle était de passage, et a décidé de s’installer au cœur de la bastide. D’abord repérée comme dormant dans sa voiture, bien évidemment sans travail, elle avait pris ses habitudes dans les espaces publics. Elle partait, revenait, fuyait ou s’incrustait, présentant les symptômes d’une personne en déséquilibre psychologique. Que faire ? Quel rôle peuvent jouer les élus face à ces situations complexes ? Quelle est la bonne réponse ?

Plus de voiture après un accident… et désormais, elle dort sous le porche de l’hôtel de ville. « Mais que font les élus, pour ne pas dire le Maire ? » Ouvrir un dialogue avec une personne dans cette situation nécessite un savoir-faire que possède l’un des adjoints. Toutes les tentatives se révèlent pourtant vaines, car des expériences antérieures rendent l’approche thérapeutique impossible. Des heures et des heures durant lesquelles élus et employés s’efforcent de rechercher des pistes de négociation. Le foyer ? Rejet catégorique. Une hospitalisation ? Refus brutal. Le retour vers la famille ? Inenvisageable. La ville se mobilise avec des soutiens discrets. Les emplois antérieurs ont été à durée limitée en Lot-et-Garonne et bien évidemment la situation sociale est inexistante. Encore des heures d’échange pour parvenir à mettre en place un processus de retour à la vie collective et des échecs, des rebuffades, des déceptions. La maladie palpable ne permet pas de mettre en place des processus institutionnels. Et toujours des élus locaux qui ne renoncent pas. On envisage une hospitalisation d’office qui se révélera vite inutile car les CHS sont surchargés et ne conservent que les « cas » les plus difficiles. Elle ne met en danger ni les autres, ni elle-même. Alors, il faut abdiquer. Réunion, et on contacte la famille dont on a fini par obtenir le téléphone.

Encore plus de détresse du père. Désespoir et sentiment terrible d’impuissance des parents qui ont tenté tout ce qu’ils pouvaient pour « sauver » leur fille. Ils courent après elle. Ils tentent dans l’ombre, par des subterfuges, de la protéger. Le lien est mince car leur seule présence aggraverait la situation. L’hospitalisation à la demande d’un tiers a échoué… et la nuit approche.

Les adjoints contactent « Médecins du Monde » à Bordeaux pour des conseils. « Nous sommes submergés par les SDF en détresse et les Roms que nous suivons dans les squats… rappelez cet après-midi, mais là, c’est totalement impossible de vous parler ! ». On s’excuse et on repart dans les négociations, pour aboutir à l’acceptation d’un consultation chez un médecin généraliste. Elle conditionnera une solution provisoire d’hébergement. L’adjoint prend sa voiture et se rend chez le seul docteur qui ait accepté de recevoir cette jeune femme à la dérive… partie à la recherche d’un frère jumeau qu’elle n’a jamais eu. Emouvant. Douloureux. Déstabilisant. En fait, ce ne sera qu’un petit pas en avant, car le trajet sera encore long. Elle m’a écrit pour avoir du travail. Une longue lettre parfaite et détaillée, construite sur une table du café où elle passe au chaud sa journée. Elle va grignoter à la Crêperie, où la patronne l’a prise en pitié. La solidarité n’est pas un mot abstrait. Au moins une dizaine de personnes salariées ou bénévoles tentent de la soutenir.

Il n’y a pas de pire souffrance que celle de l’impuissance à soulager la souffrance des autres ! Inutile d’en parler en public. Tout le monde s’en contrefout ! Dans le fond, qu’une jeune femme de 28 ans puisse dormir à Créon sous le porche de la Mairie n’intéresse pas grand monde. Ce n’est que le reflet parcellaire de ce monde complexe, partagé entre la fameuse liberté des individus et la responsabilité sociale collective que l’on laisse assumer par ceux qui sont réputés investis de cette mission ! Mais, pourquoi ne pas l’affirmer : je suis fier de tout ce « travail » humain et précautionneux fait autour d’une personne inconnue. Elle dénote encore une fois que certains élus savent encore privilégier des valeurs communes et surtout les mettre en œuvre ! On est loin, très très loin, des absurdités colportées par la connerie, cultivée par une opinion dominante, soigneusement entretenue par les grandes vedettes du music-hall politique national !

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Cet article a 6 commentaires

  1. PACIOS

    🙁 2012 tout va mal, j’ai grandi près de Créon et savoir qu’une jeune fille, plus jeune que moi erre sans foyer, sans famille, sans plus rien, relève de ce qui pour moi paraissait impossible dans ma jeunesse…
    Le monde va mal et j’espère de tout coeur que cette jeune fille tracera son chemin avec l’aide de tout ceux qui l’entourent, la soutienne sans la connaitre.
    Bcp de courage pour elle et bravo pour votre persévérance à tous!

  2. J.J.

    Hier soir aux infos de la « 2 » on a encore essayé de faire pleurer dans les chaumières.
    On y interviouvait des malheureux qui, suite à la décision de ne plus exonérer de charges les heures supplémentaires, ont vu leur salaire baisser horriblement de quelques dizaines d’euros pour la plupart ( en oubliant bien sûr ceux dont le salaire ne baisse pas, attendu qu’ils n’en ont pas).
    Les pauvres, ils vont être obligé de rogner sur leur budget loisir !

    Bien sûr, ceux qui sont obligés de rogner sur leur maigre budget chauffage n’ont pas ces soucis.

    Par contre, personne n’a pensé dans ce reportage à relever que, avec les « heures sup » de 9 millions de salariés, on aurait peut-être pu créer quelques emplois qui auraient fait baisser le nombre total des 3 millions(et plus) de chômeurs.
    C’est vrai, ce n’est pas possible partout, en particulier dans les petites entreprises.

    Mais je trouve quand même scandaleux que des travailleurs qui ont la chance d’avoir un emploi, au lieu de s’en réjouir et se faire discrets, crient comme cochon qu’on égorge ou comme nanti que l’on impose.

    Sans compter les hôteliers qui hurlent leur désespoir dans leurs arrières cuisines et les utilisateurs de grosses cylindrées qui vont voir diminuer leurs remboursements de frais de déplacement.
    On a oublié de faire remarquer à ces derniers qu’ils appartiennent généralement à des professions qui sont dispensées de participer à l’impôt Raffarin de la journée de solidarité…

  3. BOUZAT

    Si cela est possible l’association R.E.V. prendra cette personne en charge.
    Notre rôle est d’assurer l’accueil de personnes en position fragile dans la société.
    Organiser un le suivi, l’accompagnement et les facilités pour une intégration sociale ainsi que rechercher les conditions d’une insertion professionnelle durable.
    Nous pouvons l’accompagner pour la recherche d’un logement, sur la mobilité et particulièrement sur la santé. La volonté doit aussi venir de son côté.

  4. facon

    Je ne doute pas un instant de votre disponibilité, il suffit d’être abonné à votre blog pour mesurer concrètement et quotidiennement votre investissement. Comme je ne suis pas capable d’un tel sacrifice je me contenterai de vous dire bravo. Toutefois, conservant mon droit de regard critique sur la société je m’interroge sur l’utilisation expédiente de ces milliards que brasse l’Etat. A quoi servent donc nos services sociaux d’Etat ? Est il normal qu’un élu local se débatte seul face à des situations dramatiques ? Vérifiez l’argent public gaspillé en voyages de nos élites, en cocktails interminables, en séminaires inutiles, en mesures de sécurité disproportionnées et ruineuses. Qui a, en outre, le courage de dénoncer les vrais abus sociaux, personne. Dans ce monde totalement fou, quelques personnes tentent de faire de la substitution en donnant toujours plus, souvent au détriment de leur propre bonheur familial. Pour certains l’argent public coule à flots, les militaires s’amusent à grands frais avec leurs jouets de mort, le président possède un avion disposant d’un bloc opératoire, la haute fonction publique ne rêve que de pouvoir et de carrière, lâche au point de renoncer à sanctionner les tricheurs … Et notre justice qui, sous prétexte de représenter un Etat de droit croule sous ses propres turpitudes où les magistrats convoquent les procureurs, où elle oblige, pour le principe, EDF à dépenser un argent fou pour recalculer ses factures sur trois ans ? L’urgence est elle là quand on est capable d’avoir inventé une nouvelle catégorie sociale : celle des travailleurs pauvres ? On marche vraiment sur la tête et les français commencent à le découvrir. L’Etat ne peut plus cacher sa faillite.

    Je viens de terminer le livre d’Olivier Saby «Promotion Ubu Roi» publié chez Flammarion où il raconte sa scolarité à l’ENA décrivant comment les Enarques apprennent à capter et à confisquer le pouvoir. Une grande partie de nos misères vient de là, renégat de ce système on m’a sournoisement poussé vers la porte de sortie en m’accordant une retraite anticipée précédée d’une promotion. Cadre du ministère des finances j’ai pu vérifier en France, en Afrique, dans les DOM TOM le gaspillage de l’argent public. Plusieurs fois je me suis surpris vouloir faire un mauvais sort à mon interlocuteur haut fonctionnaire mégalomane que seul la notoriété intéressait. J’ai vu des choses invraisemblables et, pour l’anecdote, je ne prendrai qu’un exemple, celui de ce haut fonctionnaire faisant, par trois fois, repeindre les bâtiments et changer les moquettes jusqu’à ce que la couleur finisse par convenir à son épouse qui n’avait pour seule qualité d’être sa légitime et que personne n’avait jamais vu dans les locaux ! Les exemples sont légion et, souvent tout aussi choquants et beaucoup plus coûteux.

    Les classes moyennes croulent sous l’impôt, les travailleurs s’interrogent avec pertinence sur la valeur travail quant ils font leurs comptes. Rien de bien motivant dans tout cela.
    Cher monsieur Darmian vous n’avez que dix doigts pour boucher les fuites du tonneau des danaïdes, vous le savez mais, et c’est tout à votre honneur, vous ne baissez pas les bras qu’en vous en découvrez une onzième.

    La France rentre dans une période extrêmement dangereuse, je viens d’en discuter avec deux commerçants et mon mécanicien, chez eux aussi le moral est au plus bas. Tout le monde sait devoir faire des efforts mais l’exemple doit venir d’en haut.

    Il est une chose que je ne supporte plus c’est la langue de bois de nos élus nationaux incapables de montrer l’exemple de la solidarité en réformant en profondeur un système anachronique coûteux et contre productif dont ils vivent très bien ne souhaitant qu’une chose c’est de le faire durer. Trop occupés à leurs querelles byzantines, ils cumulent et se sont coupés des réalités, les vraies, celle que vous décrivez avec passion. Votre différence avec ces gens c’est que vous vous êtes sur le terrain et qu’au fond vous préférez à l’évidence le contact humain aux ors de la République.

    Continuez à dire ce que vous pensez, votre combat est probablement difficile mais ô combien rassurant pour les «français d’en bas»

  5. Cubitus

    Le problème de la gestion des deniers public est vicié dès l’origine. Alors qu’une ménagère regarde d’abord ce qu’elle a dans son porte monnaie avant de calculer ses dépenses selon ce qu’elle dispose, les collectivités publiques, État en tête, calculent d’abord leurs dépenses et ensuite réfléchissent à la façon de remplir le porte monnaie.

  6. facon

    Parfaitement d’accord, on chiffre les dépenses puis on ajuste avec les impôts … Facile non?

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